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Plaintes chroniques après entorses de cheville : une revue systématique sur l'efficacité des traitements



Introduction
 
Les entorses de cheville sont des blessures musculo-squelettiques communes, fréquemment causées par l’activité sportive. Dans la plupart des cas il y a un traumatisme en inversion de la cheville avec dommage sur le ligament latéral, en particulier une rupture du ligament talo-fibulaire antérieur. Dans quelques cas, il y a plus de dégâts avec l’ajout de la rupture du ligament calcanéo-fibulaire. Aux Pays-Bas, 600 000 personnes ont une entorse de cheville chaque année, les médecins généralistes voient environ 125 000 patients (8 pour 1000 patients par an) [29]. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, respectivement, environ 23 000 et 5 000 blessures à la cheville surviennent par an [15].
Le traitement initial pour ce genre de blessure est principalement conservateur (mobilisation précoce, repos, cryothérapie, supports externes de type tape, contention ou attelle) [2]. Ce traitement mène dans 36 à 85% des patients à une récupération complète [32]. Cependant, le traitement chirurgical pour les entorses aigües de cheville sévères donnent des résultats légèrement meilleurs sur la fonction et l’instabilité comparé à un traitement conservateur [20, 27]. Toutefois, il reste incertain de savoir si ce léger bénéfice compense le coût élevé et le risque élevé de complications post-chirurgicales.
Dans différentes études, il est rapporté que 3 à 34% des patients avec des entorses latérales de cheville gardent des symptômes persistants tels que la douleur, l’œdème, l’entorse récidivante (ou la sensation de dérobement), les limitations d’activités et la participation sportive. 10 à 20 % rapportent des instabilités persistantes de la cheville blessée [16]. Quand ces plaintes persistent au-delà de 6 mois, le terme « entorse (latérale) chronique » ou « instabilité fonctionnelle de cheville » est souvent utilisé [16].

Par conséquent, bien que la plupart des patients récupère complètement après une blessure latérale en inversion de cheville, un pourcentage considérable a des symptômes persistants. Actuellement, il existe une incertitude sur la meilleure option de traitement pour ces patients. Il y a un manque de preuve sur l’efficacité des traitements disponibles dans le cas de l’entorse chronique.
L’objectif de cet article d'octobre 2014 paru dans le JOSPT [33] est de passer en revue de manière systématique l’efficacité des différents types d’intervention utilisés dans l’entorse latérale chronique de cheville, incluant aussi bien les différents traitements conservateurs (par exemple programme d’entraînement, thérapie manuelle, chiropractie, ...) que les traitements chirurgicaux.
 

 
Matériel et méthodes

 
Critères d’éligibilité des articles
 
Les articles devaient remplir les critères suivants :
(1) personnes de plus de 18 ans souffrant d’une entorse latérale de cheville avec des symptômes persistants tels que la douleur, l’œdème, l’instabilité ou la sensation de dérobement, au moins 6 mois après l’entorse de cheville.
(2) les schémas d’étude devaient être : essai contrôlé randomisé (ECR) ou essai clinique contrôlé (ECC).
(3) les études devaient être publiées en anglais, français, allemand ou suédois.
(4) n’importe lequel de ces critères de jugement décrit lors du suivi étaient inclus : douleur, fonction, œdème, proprioception, équilibre, récidives.
(5) les traitements inclus étaient : traitement fonctionnel, programme d’entraînement (neuro-musculaire, force, équilibre), kinésithérapie, thérapie manuelle, chiropractie, chirurgie ou la combinaison de ceux-ci.
 
Recherche bibliographique
 
La recherche a été effectuée sur les bases de données de Pubmed (Medline, de 1966 à octobre 2012), Embase, Cinahl et PEDro (de 1984 à octobre 2012) et sur le Registre Cochrane des Essais Contrôlés. Les termes de localisation et de traitement de la blessure, ainsi que le schéma d’étude, ont été associés par l’opérateur booléen AND. Des synonymes des termes ont été utilisés.
 
Sélection des études
 
Deux relecteurs ont indépendamment identifié les potentielles études pertinentes via les titres et les abstracts. Les études non disponibles de manière complète ont été exclues. Les relecteurs ont lu indépendamment les versions complètes des articles pertinents afin de confirmer leur sélection. Les références des listes des bibliographies de ces études ont été analysées afin de trouver d’éventuels autres articles pertinents. Tout désaccord entre les relecteurs concernant l’inclusion était résolu par consensus.
 
Evaluation des risques de biais
 
Deux relecteurs ont indépendamment évalué les études incluses en utilisant l'outil Risk of Bias (conseillé par la Collaboration Cochrane, composé de 12 items). Chaque critère était noté comme positif (1 point), négatif ou incertain (0 points pour les deux). En cas de désaccord, un consensus était effectué. La somme des points était calculée et une étude était caractérisée comme à faible risque de biais si elle avait un score de 6 ou plus (validité interne).
 
Analyse
 
La comparaison des thérapies était la suivante : I. Programme d'entraînement, II. Thérapie manuelle et chiropractie, III. Chirurgie et IV. Programme d'entraînement post-opératoire.
Un regroupement statistique a été réalisé pour les variables cliniquement homogènes.  Les preuves ont été classées par le système de cotation suivant :
(1) preuve forte : preuve scientifique dans plusieurs ECR avec des faibles risques de biais.
(2) preuve modérée : haut niveau de preuve d'un ECR avec faible risque de biais, un ou plusieurs ECR avec fort risque de biais.
(3) preuve limitée : seulement un ECR avec un risque de biais faible ou fort.
(4) preuve conflictuelle : résultats en conflit dans les ECR.
(5) pas de preuve disponible : pas d'ECR disponible.
 
 
Résultats
 
Sur les 56 articles extraits pour lecture complète, 21 ont rempli les critères d'éligibilité. Ces études investiguaient les programmes d'entraînement (n=12) [1,2,5-812-14,21,24,25], la chirurgie (n=4) [9,17,22,23], les programmes d'entraînement post-chirurgicaux (n=3) [18,19,22] et la chiropractie ou la thérapie manuelle (n=2) [11,26]. Les différents programmes d'entraînement consistaient en de multiples composants tels que l'entraînement en force, les exercices d'équilibre, proprioceptifs et la combinaison de ceux-ci.
Sur les 21 articles, la plupart a 2 à 3 items positifs et seulement 3 ont un score de 5-6 points [11-13]. Cependant, seulement 2 études étaient définies comme à risque faible de biais [11,13].
 
Programme d'entraînement versus contrôle
 
A court terme, chez les patients avec entorse latérale chronique de cheville, il y a des preuves conflictuelles de l'efficacité du groupe entraînement versus contrôle pour l'équilibre et la proprioception. Pour la fonction, il y a des preuves modérées à 4-6 semaines au suivi en faveur du programme d'entraînement. Pour la douleur, il existe des preuves limitées de l'efficacité du groupe entraînement.
A long terme, il y a des preuves modérées de l'efficacité de l'entraînement proprioceptif sur la récidive d'entorse.
 
Chiropractie ou thérapie manuelle versus contrôle
 
Il existe une preuve modérée à court terme de l'efficacité de la chiropractie ou de la thérapie manuelle sur la douleur et la fonction.
 
Comparaison des traitements chirurgicaux
 
Il y a des preuves insuffisantes pour conclure s'il y a un traitement chirurgical supérieur aux autres.
 
Traitement chirurgical versus traitement conservateur fonctionnel
 
Pour la fonction à long terme, il y a des preuves limitées en faveur de la chirurgie versus traitement conservateur fonctionnel.
 
Comparaison des programmes d'entraînement post-opératoires
 
Il existe une preuve limitée de l'efficacité de la mobilisation précoce et d'un programme d'entraînement après chirurgie chez les patients avec instabilité de cheville.
 
 
Discussion

 
Les programmes d'entraînement donnaient globalement de meilleurs résultats sur les effets préventifs d'une récidive comparés à un groupe contrôle. Cependant, la preuve clinique restait limitée à modérée. La chirurgie avait de bons résultats mais la preuve de l'efficacité est insuffisante due au manque de comparaison avec un groupe contrôle sans chirurgie.
Une des forces de cette revue est d'avoir réalisé la recherche bibliographique à l'aide de critères Cochrane. Du fait de l'hétérogénéité des essais, il n'a pas été possible de grouper statistiquement les données, surtout du fait de l'utilisation de différents critères de jugement. De plus, plusieurs études incluses avaient des puissances faibles à cause de petite taille de population.
 
Conclusion
 
Cette revue montre qu'il existe une preuve limitée à modérée de l'efficacité d'un programme d'entraînement comparé aux traitements fonctionnels les plus utilisés chez les patients avec plaintes chroniques de cheville, pour les critères de jugement douleur et fonction. La récidive des entorses de cheville pourraient être prévenue par un programme d'entraînement fonctionnel. Quand les patients ont des plaintes persistantes après un programme d'entraînement, le traitement opératoire avec un programme de mobilisation précoce postopératoire peut être conseillé.
 
 
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