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Neuropathie d’enclavement du nerf ulnaire au coude : relations entre les résultats électrophysiologiques et les douleurs neuropathiques



Les neuropathies du nerf ulnaire sont les deuxièmes neuropathies d’enclavement les plus couramment rencontrées au niveau des extrémités supérieures, après le syndrome du canal carpien. Bien que le nerf ulnaire soit plus communément enclavé au niveau du coude, il peut également être piégé au niveau du bras et de l'avant-bras. Les signes les plus importants de neuropathie ulnaire au niveau du coude sont l'engourdissement des 4e et 5e doigts, une hypoesthésie de la paume en médial, une atrophie et une paresthésie des muscles de la main innervés par le nerf ulnaire, et parfois une déformation des doigts en flexion en raison d'un dysfonctionnement moteur du fléchisseur ulnaire du carpe (FUC).
 
La paresthésie peut être augmentée par la posture en flexion ou par une pression sur la gouttière ulnaire, et le nerf ulnaire peut devenir plus large et palpable. Quand il y a présence de douleurs, elles peuvent être localisées au coude ou s'étendre à la partie médiale de l'avant-bras ou du poignet. La douleur dans les neuropathies d’enclavement du nerf ulnaire peut être due soit à des mécanismes neuropathiques, soit à des douleurs mixtes avec des mécanismes nociceptifs musculo-squelettiques et articulaires en plus. Comprendre les mécanismes de la douleur et planifier un traitement approprié jouent un rôle important dans l'amélioration de la qualité de vie des patients [1].
 
L’échelle de douleur LANSS (Leeds Assessment of Neuropathic Symptoms and Signs) a d’abord été réalisée par Bennett afin de différencier cliniquement les douleurs neuropathiques des douleurs nociceptives [2]. Le temps nécessaire pour utiliser cette échelle est court, et l'évaluation est facile. La validation turque de la douleur par l’échelle LANSS a été réalisée par Yucel et al. en 2004 [3]. Le score total de ce test est de 24, et un score total supérieur ou égal à 12 est lié à des douleurs considérées comme liées à des mécanismes neuropathiques.
Les résultats au sein des études précédentes à propos de la corrélation des symptômes avec la sévérité des résultats électrophysiologiques chez les patients atteints de neuropathie ulnaire diffèrent. Aucune étude n’existe évaluant la corrélation des résultats électrophysiologiques avec les douleurs neuropathiques comme décrit par l’échelle LANSS.
 
Dans l’étude rapportée ici, parue très récemment dans le Journal of Physical Therapy Science, les auteurs ont cherché à évaluer la douleur chez les patients avec neuropathie ulnaire avec l’échelle LANSS, et à déterminer si elle est corrélée avec la sévérité des résultats électrophysiologiques.
 
Sujets et méthodes
 
Les patients envoyés à un laboratoire d'électrophysiologie avec suspicion de neuropathie ulnaire d’enclavement ont été évalués en fonction de leurs antécédents et de leurs examens systémiques et neurologiques. Le nombre total de patients était de 63. Seuls les patients présentant des symptômes de neuropathie ulnaire d’enclavement ainsi que des déficits moteurs et sensitifs ajoutés ont été inclus dans l’étude (faiblesse musculaire des muscles innervés par le nerf ulnaire, engourdissement des 4e et 5e doigts, signe de Tinnel positif au niveau du coude, déficit sensoriel le long des territoires sensitifs du nerf ulnaire). Les patients devaient se plaindre de ces symptômes depuis au moins 3 mois. Les critères d'exclusion étaient des signes cliniques de polyneuropathie, ou l’existence d’une radiculopathie cervicale, d’une atteinte du plexus brachial, d’une syringomyélie, d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA), d’un antécédent de problème orthopédique ou rhumatologique, d’une neuropathie héréditaire de sensibilité à la pression, d’un diabète sucré, d’une insuffisance rénale, d’une hypothyroïdie, d’une tumeur, d’un antécédent de dépendance à l’alcool ou à la drogue, ou encore d’un antécédent de traumatisme ou de chirurgie au membre supérieur et / ou à la région cervicale.
 
L’évaluation électrophysiologique du groupe d'étude a été effectuée par un expert, sans connaissance des symptômes  ni des résultats de l’examen physique. Les études de conduction nerveuse, l’électromyographie par aiguille et l’échelle de douleur LANSS ont été réalisées dans l’ordre par une machine d’électromyographie (Medtronic, Skovlunde, Danemark). La température des membres des patients a été maintenue au-dessus de 32°C. La latence ulnaire motrice distale en bilatéral, la vitesse de conduction motrice du nerf ulnaire au niveau du poignet, sous le coude, et au-dessus des éléments du coude, ainsi que la latence, l’amplitude et la vitesse de conduction du potentiel d’action ulnaire sensitif en bilatéral ont été étudiées chez chaque patient. De même, la latence motrice distale du nerf médian, sa vitesse de conduction motrice au coude, ainsi que la latence, l’amplitude et la vitesse de conduction de son potentiel d’action sensitif ont été étudiées afin de détecter toute implication du nerf médian sur la partie affectée.
 
(Pour plus de détails sur les modalités de l’étude des nerfs, nous vous invitions à vous référer à l’article de référence, disponible gratuitement en ligne.)
 
Après avoir subi des examens neurologiques et électrophysiologiques, les patients ont été regroupés selon une classification basée sur des descriptions cliniques et électrophysiologiques de neuropathie ulnaire au coude comme : normale (classe 1), légère (classe 2), modérée (classe 3) et sévère (classe 4) [4] (tableau 1). 

Après le diagnostic de neuropathie ulnaire au coude, tous les patients ont bénéficié de la version turque de l’échelle de douleur LANSS, selon laquelle les patients ont été regroupés en deux groupes : ceux qui ont obtenu 12 points ou plus et ceux qui ont obtenu moins de 12 points.
 
L'analyse statistique est présentée avec les paramètres de moyenne ± écart-type et de pourcentage. Les comparaisons entre les deux groupes ont été réalisées avec l'aide du test de χ2.
 
 
Résultats
 
Basé sur les critères d’inclusion et d'exclusion, seuls 34 des 63 patients ont été inclus dans l'étude. Quinze (44,1%) des patients inclus étaient des hommes, tandis que les 19 restants (55,9%) étaient des femmes. La moyenne d’âge des patients était de 42,18 ans (19-63). La classification des neuropathies ulnaires du coude de Padoue [4] a été utilisée pour évaluer l’enclavement du nerf ulnaire des patients atteints de neuropathie ulnaire. Conformément au système de classification, 15 (44%), 14 (41,2%), 4 (11,8%) et 1 (2,9%) patients ont été classés comme classe 2, classe 3, classe 4 et classe 5, respectivement. Aucun patient n'a été inclus dans la classe 1. Selon l'échelle de douleur LANSS, 24 patients (70,6%) ont obtenu moins de 12 points. Le nombre de patients ayant obtenu plus de 12 points était de 10 (29,4%). Les groupes ont été comparés en utilisant le test de χ2, et aucune différence n’a été détectée.
 
L'âge moyen des patients qui ne possédait pas de douleur neuropathique selon l'échelle de douleur LANSS était de 45.33 ans (21-63). Douze (50%) de ces patients étaient des hommes, et les 12 autres (50%) étaient des femmes. Dix (41,7%) patients dans ce groupe ont été classés comme classe 2 et le reste ont été classés comme classe 3 (12 patients (50%)), classe 4 (1 patient (4,2%)), et classe 5 (1 patient (4,2%)), respectivement.
 
L'âge moyen des patients présentant une douleur neuropathique selon l'échelle LANSS était de 34,6 ans (19-56). Ce groupe était composé de 3 hommes (30%) et 7 femmes (70%). Cinq (50%) des patients de ce groupe ont été classés comme classe 2, et le reste ont été classés comme classe 3 (2 patients (20%)) et classe 4 (3 patients (30%). Il n'y avait pas de patients dans les classes 1 et 5 selon la classification des neuropathies ulnaires du coude de Padoue. Il n'y avait pas de corrélation entre l'échelle de douleur LANSS et les résultats à l’EMG (p > 0,05).
 
 
Discussion
 
Le nerf ulnaire est composé des fibres motrices des racines antérieures de C8 à T1 et des fibres sensitives de la racine postérieure de C8. Il peut recevoir certaines fibres de C7 également. Le nerf ulnaire passe à travers le plexus brachial par l'intermédiaire des troncs inférieur et médial au niveau proximal à l’aisselle. Il passe au-dessus de la paroi latérale de l’aisselle et passe à la face médiale du bras. Il suit la gouttière olécrânienne médiale, derrière l’épicondyle médial. Cette gouttière est la région la plus importante d’enclavement. Le nerf ulnaire ne se ramifie pas au niveau du coude. Il innerve deux muscles de l'avant-bras, le fléchisseur ulnaire du carpe (FUC) et le fléchisseur profond des doigts partie médiale. Il possède ensuite des branches jusqu’aux muscles de la main et la peau de la main.
 
Les neuropathies ulnaires au niveau du coude sont 3 à 8 fois plus fréquentes chez les hommes que chez les femmes [5]. Contreras et al. ont montré que les femmes ont 2 à 19 fois plus de graisse au coude et ils ont spéculé que ceci pourrait avoir un effet protecteur contre l’enclavement [6]. Toutefois, le tubercule coronoïdien est 1,5 fois plus grand chez les hommes, ce qui pourrait avoir un potentiel effet de compression. Malgré ces données, la plupart des patients de cette étude étaient des femmes (55,9%). Les auteurs n’ont pas considéré l’indice de masse corporelle (IMC) des patients lors de leurs évaluations. Une étude ayant comparé des femmes avec un IMC ≤ 22 et avec d’autres ayant un IMC > 22 a montré que celles ayant un IMC inférieur avait plus de neuropathie ulnaire au niveau du coude [5]. Les tissus graisseux sous-cutanés sont protecteurs contre la neuropathie ulnaire aiguë chez les femmes et les compressions externes semblent être une cause plus importante de neuropathie ulnaire au niveau du coude [5,6]. La raison de la haute incidence de la neuropathie ulnaire au niveau du coude chez les hommes pourrait être une plus grande quantité de tissu musculaire et la force de l'avant-bras [7].
 
Des mouvements répétés de flexion et d'extension composent une partie importante des enclavements au niveau du coude. Lorsque le coude passe d’une position d’extension à une position de flexion, la distance entre l’épicondyle médial et l’olécrâne est augmentée de 5 mm tous les 45 degrés [8]. La pression sur le nerf ulnaire lors de l'extension est de 7 mmHg, et avec une flexion du coude et un changement de la position de l'épaule et du coude, cette pression augmente à 11-24 mmHg. Il a été montré que la contraction du FUC avec une flexion de coude résulte en 200 mmHg de pression sur le nerf ulnaire. A partir du moment où le nerf ulnaire passe derrière l'axe de rotation du coude, une traction se produit également et cela provoque 5-8 mm d’élongation du nerf [9]. Des études ont montré qu’une combinaison simultanée d'abduction d’épaule, de flexion de coude et d’extension de poignet peut augmenter la pression au sein de la gouttière olécrânienne par 6 fois et que la plus grande quantité d'augmentation de la pression se produit avec cette position [9,10]. Au cours de flexions qui dépassent 90 degrés, la pression intraneurale est supérieure à la pression extraneurale. L’étude ici présente a été réalisée avec le coude se trouvant dans une position 70 degrés par rapport à l'axe horizontal.
 
Les patients atteints de neuropathie du nerf ulnaire au coude nécessitent de l’attention et sont étudiés en raison de la douleur. Un diagnostic précoce, une classification correcte et une compréhension des mécanismes sous-jacents de la douleur sont nécessaires pour décider du traitement approprié [11]. L’International Association for the Study of Pain (IASP) définit la douleur neuropathique comme une douleur induite par un dysfonctionnement ou un endommagement du système nerveux [12]. La douleur neuropathique périphérique est ressentie à cause du système nerveux péripherique, et la douleur neuropathique centrale est ressentie en raison de dommages du système nerveux central. Les symptômes de la douleur neuropathique sont les sensations de brûlures, de picotements, et parfois une douleur semblable à un choc électrique. Des paresthésies-dysesthésies, des allodynies-hyperalgésies, des mouvements involontaires des extrémités, et des manifestations du système nerveux autonome (transpiration, dérèglements et modifications au niveau vasomoteur) sont également observés.
La version turque de l’échelle de douleur LANSS a été validée pour la différenciation des douleurs nociceptives et neuropathiques [3]. Dans cette étude, la douleur a été évaluée par cinq questions sur la douleur telles que les dysesthésies, les dysfonctionnements autonomes, l'induction de la douleur, les douleurs paroxystiques et les douleurs thermiques. En outre, deux constatations neurologiques de douleur neuropathique, l'allodynie et le seuil de piqûre, ont été examinées.
 
Truni et al. ont constaté que la sévérité des symptômes du syndrome du canal carpien ne différait pas entre les groupes neuropathiques et non neuropathiques [13]. Dans cette étude, le nombre de cas pour lequel les mécanismes neuropathiques pourraient être la cause sous-jacente de la douleur due à la neuropathie ulnaire au coude était de 10 (29,4%). Le nombre de cas qui ne supportaient pas les douleurs neuropathiques était de 24 (70,6%). Il n’était pas possible de comparer les deux groupes, puisque quelques cas présentaient des douleurs à cause de mécanismes neuropathiques. Les auteurs de l’étude ont constaté que les résultats électrophysiologiques de la sévérité de la compression du nerf ulnaire au coude ne différaient pas entre les groupes neuropathiques et non neuropathiques tels qu'évalués par l'échelle de douleur LANSS. Il n’y a pas eu de patients cliniquement en classe 1. Cela peut être en raison du petit groupe d'étude. En outre, tous les patients inclus dans l’étude étaient des patients qui avaient été envoyés à un laboratoire d’électro-neurophysiologie, et cela peut être la raison expliquant l'absence de patients à un stade précoce.
 
 
Conclusion
 
Un point à retenir est que, au cours des EMG de routine, les nerfs avec des diamètres moyens et grands sont étudiés. L’activité des fibres C et A delta, qui jouent un rôle important dans la conduction de la douleur, ne peut être examinée lors d’une enquête de routine EMG. Afin d'étudier l'activité de ces fibres, des études spéciales telles que des micro-neurographies et du laser sont nécessaires.
 
 
Article de référence
 
Halac G, Topaloglu P, Demir S, Cıkrıkcıoglu MA, Karadeli HH, Ozcan ME, Asil T. Ulnar nerve entrapment neuropathy at the elbow: relationship between the electrophysiological findings and neuropathic pain. J Phys Ther Sci. 2015 Jul;27(7):2213-6.
 
Article disponible gratuitement en ligne : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26311956
 
 
Références
 
[1] Ha M, Son Y, Han D: Effect of median nerve mobilization and median nerve self-mobilization on median motor nerve conduction velocity. J Phy Ther Sci, 2012, 24: 801–804.
[2] Bennett M: The LANSS Pain Scale: the Leeds assessment of neuropathic symptoms and signs. Pain, 2001, 92: 147–157.
[3] Yücel A, Şenocak M, Kocasoy Orhan E, et al.: Results of the Leeds assessment of neuropathic symptoms and signs pain scale in Turkey: a validation study. J Pain, 2004, 5: 427–432.
[4] Padua L, Aprile I, Mazza O, et al.: Neurophysiological classification of ulnar entrapment across the elbow. Neurol Sci, 2001, 22: 11–16.
[5] Richardson JK, Green DF, Jamieson SC, et al.: Gender, body mass and age as risk factors for ulnar mononeuropathy at the elbow. Muscle Nerve, 2001, 24: 551–554.
[6] Contreras MG, Warner MA, Charboneau WJ, et al.: Anatomy of the ulnar nerve at the elbow: potential relationship of acute ulnar neuropathy to gender differences. Clin Anat, 1998, 11: 372–378.
[7] Barnekow-Bergkvist M, Hedberg G, Janlert U, et al.: Development of muscular endurance and strength from adolescence to adulthood and level of physical capacity in men and women at the age of 34 years. Scand J Med Sci Sports, 1996, 6: 145–155.
[8] Werner CO, Ohlin P, Elmqvist D: Pressures recorded in ulnar neuropathy. Acta Orthop Scand, 1985, 56: 404–406.
[9] Bozentka DJ: Ulnaire tunnel syndrome pathophysiology. Clin Orthop Relat Res, 1998, (351): 90–94.
[10] Green JR Jr, Rayan GM: The ulnaire tunnel: anatomic, histologic, and biomechanical study. J Shoulder Elbow Surg, 1999, 8: 466–470.
[11] Kang JH, Lee YS: Sensory nerve conduction studies in the diagnosis of diabetic sensorimotor polyneuropathy: electrophysiological features. J Phys Ther Sci, 2012, 24: 139–142.
[12] Merskey H, Bogduk N: Classifications of chronic pain: Description of chronic pain syndromes and definition of pain terms. Report by the International Association for the Study of Pain Task Force on Taxonomy. In: Merskey H, Bogduk N (eds.) Seattle: IASP Press, 1994.
[13] Truini A, Padua L, Biasiotta A, et al.: Differential involvement of A-delta and A-beta fibres in neuropathic pain related to carpal tunnel syndrome. Pain, 2009, 145