Introduction
La commotion cérébrale est une atteinte préoccupante en médecine sportive. Sa prévalence est estimée entre 1,6 et 3,8 millions de cas chaque année aux Etats-Unis (1). Cette lésion conduit à une altération de la fonction cérébrale avec des séquelles somatiques, cognitives et émotionnelles avec une sévérité accrue la première semaine suivant le traumatisme (2).
Cependant, les techniques de neuro-imagerie, comme la tomodensitométrie (CT) et l’imagerie par résonance magnétique (IRM), mettent rarement en évidence la présence d’anomalies structurelles (3).
Les critères de reprise d’activité (return to play = RTP), repose donc principalement sur la symptomatologie (2) et malgré le rétablissement clinique, il est prouvé que les personnes ayant des antécédents de commotion présentent un risque accru de blessure à court terme (4) ainsi que de dépression et de déficience cognitive à long terme (2,6). De récentes techniques d’IRM comme l’imagerie par tenseur de diffusion (DTI) permettent aujourd’hui de caractériser les altérations subtiles de la structure cérébrale et de la fonction associée à la commotion et sa récupération.
En règle générale, le DTI est utilisé pour mesurer l'anisotropie fractionnée (FA, l’orientation de la diffusion de l'eau) et la diffusivité moyenne (MD, quantifier la diffusion totale de l'eau, indépendamment de la direction) dans la matière blanche, où l'eau dans les fibres myélinisées présente une diffusion anisotrope fortement restreinte. La plupart des études de DTI sur la commotion sportive ont été transversale, signalant une FA et une MD altérés lors d'une blessure aiguë (dans la première semaine suivant le traumatisme) (7,8), ainsi que des modifications significatives de la substance blanche pouvant être objectivées plusieurs années après la lésion (9-11).
À ce jour, seules quelques études ont examiné les changements longitudinaux de la substance blanche chez des athlètes commotionnés, dont Murugavel et al.(12) montrant une récupération des anomalies microstructurales allant de 2 jours à 2 semaines après la blessure, alors que Henry et al.(13) n'ont observé aucun changement significatif, par rapport à la phase aiguë, 6 mois après le traumatisme.
L'IRM fonctionnelle (fIRM) fournit une méthode d’évaluation de la fonction cérébrale, basée sur les fluctuations régionales des niveaux d'oxygénation sanguine. Bien qu'elle soit moins utilisée dans la recherche sur la commotion cérébrale que la DTI, l'fIRM s'est avérée très sensible à l’altération des fonctions cérébrales suivant un traumatisme léger (14). En particulier, il y a eu un intérêt croissant pour l'fIRM de repos, où la connectivité fonctionnelle peut être mesurée en corrélant les séries temporelles entre différentes régions du cerveau. Cela quantifie l'intégration fonctionnelle, qui peut être perturbée lors de dommages neurologiques (15,16).
À l'instar de la DTI, la plupart des études sur l'fIRM de repos lors d’une commotion cérébrale ont été transversale, montrant une connectivité fonctionnelle modifiée lors d'une lésion aiguë (7) et pouvant perdurée jusqu’à 1 mois après la commotion (17-19).
Dans une étude longitudinale, Zhu et al.(19) ont rapporté des réductions significatives de la connectivité fonctionnelle pendant 1 à 7 jours après la blessure; mais à l'heure actuelle, on sait peu de choses sur la récupération fonctionnelle au-delà de cette phase initiale.
Ces résultats ont donné un aperçu de la pathophysiologie de la commotion cérébrale et des preuves préliminaires concernant la récupération du cerveau. Néanmoins, notre compréhension de la récupération reste à un stade précoce. Les quelques études longitudinales d'IRM ont été réalisée à distance des blessures et sans examen de neuro-imagerie spécifique au moment du RTP. En outre, ces études ont généralement porté sur une seule modalité d'IRM, ce qui limite notre capacité à comparer les changements fonctionnels et structurels associés à la récupération.
La présente étude aborde ces lacunes, en analysant les données DTI et fMRI chez un groupe de sportifs blessés (1) pendant la première semaine après la blessure et (2) après l'autorisation médicale de RTP.
Méthode
Vingt-sept athlètes ont été recruté à la suite d'un diagnostic médical de commotion cérébrale et scanné à deux moments : en phase aiguë (1 à 7 jours après la blessure) et lors du RTP. À titre de comparaison, 27 athlètes n’ayant subi aucune commotion cérébrale au cours des 6 mois précédant l'imagerie ont également été évalué. Sur la base de l'imagerie structurelle, aucune anomalie (p. Ex., Hyper-intensité de la matière blanche cliniquement significative, contusions et micro-hémorragie) n'a été identifié chez les athlètes du groupe test.
Résultats
Données de neuro-imagerie : du traumatisme au RTP :
La microstructure de la matière blanche a été évalué à l’aide de DTI pour mesurer l’anisotropie fractionnée (FA) et la diffusivité moyenne (MD. Une fIRM de repos a été réalisé pour mesurer la connectivité fonctionnelle globale (Gconn) permettant de quantifier la fonction cérébrale.
Pour déterminer comment les mesures IRM chez les athlètes commotionnés ont évolué du traumatisme au RTP, une analyse par régression des moindres carrés partiels (PLS) a été effectué pour chaque mesure IRM (FA, MD, Gconn).
La figure 1 montre les résultats de PLS pour l'anisotropie fractionnée (FA). Des effets généralisés sont observés au niveau de la matière blanche (figure 1A), incluant des zones situées principalement dans la corona radiata droite et bilatéralement dans les zones postérieures de la capsule interne. Comme représenté sur la figure 1B, ces régions ont montré une FA moyenne réduite par rapport au groupe témoin, pour les athlètes atteints de commotion aiguë (-0,0156 ± 0,003; p <0,001) et à la RTP (différence moyenne : -0,0167 ± 0,0031 ; p <0,001). Une diminution plus importante du FA moyen a été constaté au moment du RTP, mais l'effet n'a pas été significatif (variation moyenne: -0,0013 ± 0,0020 ; p = 0,68). Ceci indique des altérations persistantes de la FA lors de la l’autorisation de reprise.
Figure 1
La figure 2 représente les résultats PLS pour la diffusivité moyenne (MD). À l’instar de la FA, des atteintes étendues sont observées au niveau de la matière blanche (figure 2A), avec une prédominance dans la corona radiata et les parties postérieures de la capsule interne. Comme on l’a vu à la figure 2B, ces régions présentaient une augmentation de la MD croissante par rapport au groupe témoin, en phase aiguë (différence moyenne : (1,84 ± 0,66) × 10-5 mm / s ; p = 0,004) et lors du RTP (différence moyenne : (1,67 ± 0,52) × 10-5 mm / s ; p <0,001).
Bien que la MD ait diminué entre le traumatisme et le RTP, l’effet n’a pas été significatif (variation moyenne : (-0,11 ± 0,37) × 10-5 mm / s ; p = 0,78), ce qui indique des altérations persistantes dans le MD de la matière blanche au moment de la RTP.
Figure 2
La figure 3 montre les résultats PLS pour la fonction cérébrale, mesurés à l'aide de la connectivité fonctionnelle globale (Gconn). Les changements les plus importants ont été observé dorsalement (Fig. 3A) dans les lobes pariétaux inférieurs et le gyrus angulaire droit, ainsi que les gyrus temporaux intermédiaires et le lobe frontal inférieur gauche. Comme le montre la figure 3B, le Gconn moyen des athlètes atteints de commotion aiguë est significativement plus élevé que les témoins (différence moyenne : 0,0310 ± 0,0120 ; p = 0,03) et continue d'augmenter de manière non-significative par rapport aux témoins lors du RTP (différence moyenne : 0,0325 ± 0,0073 ; p <0,001) (variation moyenne : 0,002 ± 0,008; p = 0,92). Ces résultats indiquent la persistance d’une altération de la fonction cérébrale au moment de l'autorisation médicale.
Discussion
La principale constatation de cette étude était la persistance d’altérations dans la microstructure de la matière blanche et de la fonction cérébrale de repos lors de l’autorisation médicale de RTP. Ce qui pourrait indiquer la présence de processus biologiques de récupération toujours en cours malgré le rétablissement clinique.
Les analyses DTI ont révélé une altération significative de la microstructure cérébrale lors de la phase aiguë mais également au moment de la reprise, comprenant une diminution du FA et une augmentation du MD. Ce qui est en accord avec les études antérieures (9,12).
Plusieurs phénomènes physiologiques peuvent conduire à cette constatation, comme un œdème intracellulaire, où la perte de l’homéostasie ionique entraîne un gonflement cellulaire (20,21). Les lésions cérébrales peuvent également induire un œdème vasogénique, où la rupture de la barrière hémato-encéphalique entraîne une absorption de fluide dans les espaces interstitiels (20). Un autre facteur potentiel est la neuro-inflammation due aux perturbations de la barrière hémato-encéphalique (22). Mais, à l'heure actuelle, nous avons une compréhension incomplète de la façon dont ces différents processus contribuent aux changements microstructuraux observés suite à une commotion cérébrale.<
Pour FA et MD, aucune différence significative n'a été observé entre les lésions aiguës et la RTP. Cela suggère qu'il y a des changements limités dans la microstructure du cerveau dans l'intervalle de temps suivant la commotion cérébrale (c'est-à-dire une médiane de 18 jours à partir d'une blessure jusqu’au RTP, allant de 4 jours à 8 mois).
Ces résultats sont étayés par une méta-analyse DTI antérieure, qui a identifié à long terme des anomalies de la substance blanche associées à une lésion cérébrale traumatique légère (27). Dans le domaine du sport, des études antérieures ont rapporté la présence d’altérations cérébrales jusqu’à plusieurs mois voire même plusieurs années après le traumatisme (10,11,13).
Les analyses d'fIRM à l'état de repos ont révélé un taux élevé de Gconn pour les athlètes commotionnés, à la fois en phase aiguës et lors du RTP. Ce qui confirme les résultats antérieurs (28).
Une connectivité fonctionnelle élevée peut être la conséquence d'un dysfonctionnement neuro-métabolique, qui se produit après un impact (30).
Alternativement, il a été proposé qu'une intégration fonctionnelle élevée reflète une plus grande redondance de la fonction cérébrale et puisse servir de mécanisme de protection suite à une lésion traumatique (29). Les résultats actuels peuvent donc refléter une réponse adaptative aux blessures, ce qui aiderait à maintenir la fonction et à atténuer les résultats négatifs si une deuxième blessure était acquise pendant la période de rétablissement suivant la commotion initiale.
Les gyrus pariétaux et angulaire identifiés à la figure 3 sont essentiels à l'intégration visuelle et sensorielle, tandis que le lobe frontal inférieur joue un rôle dans le contrôle cognitif.
Un dysfonctionnement dans ces régions est particulièrement préoccupant, car les déficits de l'intégration visuelle et de sa réponse sont des séquelles courantes de la commotion cérébrale (2) et le bon fonctionnement de ces domaines est essentiel pour les athlètes afin d'éviter une nouvelle blessure lors de la participation sportive active.
En outre, le gyrus temporel moyen a montré une connectivité modifiée pour les athlètes commotionnés. Cette région étant impliquée dans des fonctions sémantiques, y compris le traitement de l'action (33).
La persistance des différences dans la structure et la fonction du cerveau à la RTP soulève la question de savoir quand ces différences devraient se dissiper. Ainsi, il sera crucial pour les études futures d'examiner les changements intra-sujets dans les mois qui suivent la résolution des symptômes, afin de déterminer si, et quand, les marqueurs fonctionnels et structuraux de la commotion se sont dissipés.
Article original
Churchill NW et al. Neuroimaging of sport concussion : persistent alterations in brain structure and function at medical clearance. Scientific reports | 7: 8297 | DOI:10.1038/s41598-017-07742-3
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