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Luxation gléno-humérale, ce qu’il faut savoir pour un retour sur le terrain efficace



La luxation gléno-humérale est une pathologie assez courante et que l’on rencontre donc assez fréquemment chez nos patients sportifs et non sportifs. L’hiver et les sports d’hiver vont ramener comme chaque année leur lot de blessures spécifiques et face à la rupture du croisé antérieur ou la fracture de la clavicule, la luxation gléno-humérale n’en demeure pas moins en reste. Elle représenterait environ 11% des traumatismes de l’épaule et serait à 95% de forme antéro-médiale. Les sportifs jeunes sont les plus concernés du fait de la pratique de certains sports à risque comme le ski, judo, handball, javelot…

Le parcours des patients ayant subi une luxation gléno-humérale, c’est-à-dire une perte complète des contacts anatomiques entre la tête de l’humérus et la glène de l’omoplate, reste sensiblement le même. Si la tête de l’humérus ne s’est pas remise d’elle-même dans sa cavité articulaire, le sportif connait la même succession d’étapes : les urgences (radio et réduction) puis le cabinet de kinésithérapie. Le choix du traitement (conservateur ou chirurgical) dépendra des lésions sous-jacentes tissulaires (capsulo-labrales) ou osseuses. La connaissance de ces lésions est importante car d’elles dépendra l’efficacité du traitement mis en place et le délai de retour sur le terrain sans complication. Il est en effet très important de savoir si les possibles lésions capsulo-labrales, garante de la stabilité passive de l’épaule, peuvent cicatriser ou si les lésions osseuses éventuelles de la glène ou de la tête humérale (encoche) ne constituent pas une voie anatomique favorable à la récidive ultérieure. Encore une fois, on constate ici l’importance d’une bonne imagerie qui peut orienter ou non sur un traitement conservateur ou chirurgical.


Afin d’éviter les récidives fréquentes, le traitement conservateur a été abandonné chez le sportif de haut niveau mais subsiste toujours aujourd’hui la question classique du choix chirurgical entre un « Bankart arthroscopique » (réinsertion labrale et retension capsulo-ligamentaire) ou un « Latarjet à ciel ouvert» (butée coracoïdienne).
Concernant la technique de Bankart, une analyse de la littérature [1] a montré que même avec les avancées techniques les plus récentes, le taux de récidive après stabilisation arthroscopique varie entre 10 et 30% et on sait aujourd’hui que les récidives de l’instabilité sont liées au recul et qu’elles augmentent forcément avec le temps. C’est pourquoi Balg et Boileau [2] ont codifié le Score ISIS (Instability Severity Index Score) qui permet grâce à 6 facteurs pronostiques pré-opératoires d’orienter l’indication thérapeutique en faveur de l’une ou de l’autre technique (Bankart vs Latarjet). Ils se sont aperçu en effet que la présence de ces facteurs pouvait favoriser la récurrence de l’instabilité en cas d’intervention de Bankart, particulièrement s’ils sont associés. Ce score ISIS ayant déjà été présenté dans un précédent speed meeting, il ne fait donc pas l’objet de cet article mais méritait d’être rappelé car la bonne indication chirurgicale est primordiale dans le traitement de la luxation gléno-humérale avec lésions tissulaire et/ou osseuses associées. De ce choix dépendra directement la survenue ou non d’une récidive sur le terrain qui est très importante dans les 2 ou 3 années qui suivent. On a malheureusement pu constater cette dure réalité chez le rugbyman Frédéric Michalak qui, se luxant l’épaule en Mars 2013 avec l’équipe de France lors des tests matchs en Nouvelle Zélande, récidivera 3 mois plus tard contre les All Blacks suite à une reprise trop précoce sur un traitement conservateur non indiqué pour un sportif de haut niveau comme lui. Mais la volonté d’un joueur de participer aux phases finales associée à un retour trop précoce sur le terrain peut faire perdre de vue la réalité patho-physiologique. En effet, ne pas se faire opérer quand on est sportif de haut niveau revient à jouer à la roulette russe. Les derniers chiffres montrent que le traitement orthopédique conservateur a autant de chance de réussir que d’échouer (récidive). Mais ces chiffres cachent souvent une réalité tout autre. En effet, beaucoup de ces sportifs compris dans les 50% de réussite ont diminué leur niveau antérieur de pratique sportive ou évolué vers un autre sport moins traumatisant, voir ont arrêté toute activité physique. De même, ces chiffres ne prennent pas en compte les sujets ayant des subluxations résiduelles fréquentes ou une épaule douloureuse instable.


Quant est-il maintenant des 50% qui échouent face au traitement conservateur ? Il ne leur reste bien souvent que la chirurgie comme choix optionnel. Le score ISIS est alors un outil très intéressant pour décider en amont d’un Bankart (opération des tissus mous) ou d’un Latarjet (mise en place d’une butée osseuse). Il permet de faire le choix entre un Bankart ou un Latarjet en fonction de l’âge, l’hyperlaxité ligamentaire (> 90° rotation latérale), la présence de lésions des tissus mous et/ou osseuses associées et le type de sport du sujet (contact, armé). Si le score est petit (< 3), le choix est un Bankart, si le score est > 3, on opte pour un Latarjet. On constate alors un pourcentage de récidive bien plus faible (14%).
Même si les avis différent parfois selon les orthopédistes consultés, le choix de la chirurgie s’impose aujourd’hui chez le sportif de haut niveau d’âge < 25 ans (60 à 100% de récidive chez le patient de moins de 20 ans !) et ayant subi une luxation traumatique vraie. Les suites post-opératoires simples et la possibilité de retour sur le terrain à 3 mois font du Latarjet une option chirurgicale plus qu’intéressante.
 
En conclusion, il faut toujours garder à l’esprit que la rééducation (aussi bonne soit-elle) permettra de récupérer une certaine « tonicité musculaire » de la coiffe des rotateurs mais ne jouera en aucun cas sur les facteurs anatomiques c’est-à-dire, sur la résorption des lésions osseuses ou tissulaires importantes. Seule la chirurgie pourra réellement « stabiliser » une épaule et éviter la récidive. De nos jours, les progrès de l’arthroscopie ont permis à certains chirurgiens de commencer les « Latarjet sous arthroscopie » mais ce geste, difficile, reste encore rare et ne donne pour l’instant pas d’assez bons résultats pour évincer le Latarjet à ciel ouvert qui reste supérieur au Bankart dans la majorité des indications chirurgicales.
Pour la petite anecdote, Michalak a été opéré avec une butée osseuse en juillet 2013, il se blessera de nouveau à l’épaule en septembre mais cette fois-ci se luxera le tendon du long biceps avec une lésion du sous scapulaire associé. On comprend ici l’importance d’opérer précocement un sportif de haut niveau sur une telle pathologie car plus on récidive, plus on a une extension des lésions (tissus mous et lésions osseuses). Sa double luxation en mars et juin a dû fragiliser son plan tissulaire antérieur et bien qu’une butée ait été mise en place ensuite, le mal était déjà fait. Les moyens d’unions et de stabilité passive de l’épaule ne jouaient déjà plus complétement leur rôle.



Texte écrit par Arnaud Douville de franssu
[1] Hobby J, Grifn D, Dunbar M, Boileau P. Is arthroscopic surgery for stabilisation of chronic shoulder instability as effective as open surgery? A Systematic Review And Meta-Analysis Of 62 Studies Including 3044 Arthroscopic Operations. Journal of Bone and Joint Surgery (American), 89-B, No. 9, 1188-1196, 2007.
[2] Y. Roussanne, F. Balg, P. Boileau. Le score ISIS (Instability Severity Index Score) : une approche rationnelle pour la sélection des patients dans la stabilisation antérieure arthroscopique de l’épaule. Revue de Chirurgie Orthopédique et Réparatrice de l'Appareil Moteur, Volume 93, Issue 7, Supplément 1, Novembre 2007, p147.
Photo : Var matin