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Les pathologies musculo-squelettiques en course à pied (PMSCP) les plus fréquentes.

Une revue systématique. Par Erwan Tanguy



Les pathologies musculo-squelettiques en course à pied (PMSCP) les plus fréquentes.
 What are the Main Running-Related Musculoskeletal Injuries? A Systematic Review Lopes, Alexandre Dias; Hespanhol, Luiz Carlos Junior; Yeung, Simon S.; Costa, Leonardo Oliveira Pena Sports Medicine: 1 October 2012 - Volume 42 - Issue 10 - pp 891-905 doi: 10.2165/11631170-000000000-00000


La course à pied reste l’une des activités physiques les plus populaires dans le monde entier. Une revue d’études récente a eu pour objet d’actualiser les données de prévalence et d’incidence des différentes pathologies musculo-squelettiques chez le coureur à pied. Revenons sur cette étude et sur les informations que nous pouvons en ressortir.

La revue d’études :
une base de données a été construite à partir de Embase, Medline, Sportdiscus, LILACS, SciELO, sur une période, au total, de 1947 à octobre 2011. Les études rapportant les notions de prévalence et d’incidence étaient considérées comme éligibles. Pour rappel, l’incidence rapporte les nouveaux cas sur une période donnée (par ex sur le dernier mois), la prévalence rapporte le nombre de cas d’une pathologie par rapport à l’ensemble de la population) ; ainsi, la prévalence sur une période est toujours supérieure à l’incidence sur cette même période.
Ont été exclues les études considérées comme incomplètes et/ou manquant de précision. Les données extraites concernaient les caractéristiques bibliométriques, la conception des études, la description de la population de coureurs, la définition des PMSCP, comment les données étaient collectées et l’incidence et la prévalence pour chaque PMSCP.
Au total, sur 2924 titres possibles, 8 études ont été conservées pour un nombre final de 3500 coureurs.
Une analyse séparée a été faite pour les ultra-marathoniens (UM).

Les résultats :
au total, 28 PMSCP ont été recensées. Les pathologies les plus fréquentes différant selon que les coureurs soient des ultra-marathoniens ou pas.
Pour rappel, l ultra-marathon est toute course supérieure aux 42.195km classiques (on trouve en général le 50km, le 100km, le 50 miles ou 80km, le 100miles ou 160km ou des courses en termes de durée, souvent sur plusieurs jours). Pour les coureurs à pied, non UM, les pathologies le plus fréquemment rapportées dans les études étaient :
- le syndrome de stress tibial (sans distinction de notion de périostose ou périostite, cf cours Kinesport),
- les tendinopathies achilléennes (sans distinction de notion de paraténonite, bursite, entésopathie, tendinose…ck cours Kinesport),
- les fasciites plantaires .
- On trouve, ensuite, aussi les tendinopathies patellaires, les entorses de chevilles, le syndrome ilio-tibial, les lésions des ischio-jambiers, les fractures tibiales de contraintes, les tendinopathies des IJ, les syndromes fémoro-patellaires, les lésions des gastrocnémiens, les bursites trochantériques, les douleurs lombaires, les fractures costales, les entorses de genou, les lésions d’adducteurs de hanche, les fractures de contraintes de la crête iliaque, les bursites infra-patellaires, les tendinopathies des adducteurs, les tendinopathies du tibial postérieur et les lésions méniscales.

Pour les coureurs UM, les pathologies les plus fréquemment rapportées sont :
- les tendinopathies achilléennes,
- les syndromes fémoro-patellaires,
- les tendinopathies des fléchisseurs dorsaux,
- les tendinopathies patellaires,
- le syndrome de stress tibial,
- les lésions du quadriceps,
- les bursites trochantériques,
- les bursites du psoas,
- les tendinopathies des extenseurs des orteils,
- les entorses de cheville,
- le syndrome ilio-tibial,
- les lésions des gactrocnémiens,
- les tendinopathies du Long Extenseur de l Hallux, des fibulaires, les lésions du tibial antérieur.

Pour les coureurs non UM, la pathologie avec l’incidence la plus forte est la tendinopathie patellaire (22.7%) devant le syndrome de stress tibial (20%), l’entorse de cheville (15%), la tendinopathie achilléenne (10.9%), la lésion des IJ (10.9%) et la fasciite plantaire (10%). La prévalence, par ordre décroissant, par pathologie : la fasciite plantaire (17.5%), la tendinopathie patellaire (12.5%), la tendinopathie des IJ (12.5%), Retrouvez l’ensemble des données ici : Lien 1


Pour les coureurs UM, la pathologie avec la prévalence la plus forte est la tendinopathie des fléchisseurs dorsaux, sans distinction du tibial antérieur ou des extrinsèques du pied (29.6%). Viennent ensuite les tendinopathies achilléennes et patellaires (18.5%) et le syndrome fémoro-patellaire (15.6%).

L’étude ne donne pas d’incidence pour les pathologies des UM.
Retrouvez l’ensemble des données ici : Lien 2  

Selon les auteurs, les notions suivantes peuvent être dégagées :
La plupart de ces pathologies sont dites « d’overuse », les structures musculo-squelettiques sont donc soumises, chez les runners, à de fortes contraintes itératives.
Les pathologies sont prédominantes sous le genou, ce qui est conforme à la littérature existante.

Le syndrome de stress tibial est rattaché à de possibles raisons. La première est due à la contraction répétée du tibial postérieur, du soléaire et/ou de l’extenseur commun des orteils durant la phase de pose du pied et de propulsion. Contraction qui entraine, selon les auteurs toujours, une inflammation du périoste. La seconde est la capacité insuffisante du remodelage osseux en raison du stress répété et persistant sur le tibia en raison de la réaction verticale ascendante du sol pendant la phase de pose du pied. D’autres critères reviennent comme l’attitude course en varus de genou, la fréquence de changement des chaussures ou encore la charge d’entrainement.
La charge de travail excessive est reconnue comme une des causes principales de tendinopathies. La répétition de ces contraintes sur le triceps sural peut prédisposer aux tendinopathies achilléennes. Une étude a montré que des courses de 1500 à 5000m sur le sable augmentaient sensiblement le risque de tendinopathies achilléennes. Cela peut s’expliquer par le fait que le sable demande une poussée plus importante alors que sur des courses courtes, les coureurs préfèrent utiliser l’avant-pied pour diminuer la phase d’appui et augmenter la vélocité.
Le tendon patellaire est exposé à de fortes et itératives contraintes en excentrique lors de la course, ce qui peut expliquer la forte prévalence mais principalement chez le UM. En effet, l’apparition soudaine du problème étant souvent décrite sur des courses de 5 à 8,5jours.
La fasciite plantaire est considérée comme l’une des pathologies les plus communes du pied. Elle se caractérise par un process dégénératif du fascia plantaire qui entraine entre autres, des douleurs sur le tubercule médial du calcanéus pendant la phase d’appui. Lorsque la capacité d’absorption des contraintes par le fascia plantaire, le coussin graisseux et les intrinsèques du pied, est insuffisante, alors le risque augmente. Une étude prospective a par ailleurs montré que les coureurs expérimentés sont moins atteints que les autres.

L’étude rapporte une divergence de vue concernant le syndrome fémoro-patellaire que de nombreuses études considèrent comme la plus fréquente et que cette étude ne classe qu’en arrière plan. Il y a probablement des confusions sur les termes de « runners knee » qui réfère tout autant au syndrome fémoro-patellaire qu’au syndrome ilio-tibial.
Et puisque les auteurs décrivent ici que la plus fréquente atteinte du genou est la tendinopathie patellaire, il conviendrait mieux d’utiliser le terme de « jumper knee » qui est celui généralement employé par la communauté de la médecine sportive. Concernant le syndrome fémoro-patellaire en lui-même, différentes études ont montré que la participation pour la première fois à un marathon, la prise de médication et le faible kilométrage d’entrainement par semaine et à l’inverse que l’augmentation de la distance et du nombre d’heures d’entrainement étaient des facteurs de diminution du risque de syndrome fémoro-patellaire.

Le cas de tendinopathie de la dorsiflexion est à analyser à part puisqu’il apparaît être propre aux UM. Une étude l’ayant même nommé « cheville de l’ultra-marathonien ». Les lésions du coureur à pied étant généralement dus à de répétitifs microtraumatismes sur de longues périodes, un suivi sur le long-terme est donc indispensable à la compréhension des PMSCP et leur(s) solution(s) au travers de l’entrainement.

Discussion autour de cette étude :

Les variations relativement importantes entre prévalence et incidence  doivent être expliquées statistiquement. En clair et par exemple, il y a moins de nouveaux cas de fasciites plantaires que de tendinopathies patellaires sur une année (2 fois moins) mais il y a plus de personnes atteintes sur cette même année (nouveaux cas mais aussi anciens) par la fasciite plantaire que par la tendinopathie patellaire (1,5 fois plus).
On en tire donc la conclusion statistique que bien que moins fréquente, la première pathologie perdure dans le temps.
Faut-il l’expliquer par des différences de sévérité de pathologies, par des retards de diagnostic, par des process de soins moins efficaces, etc… la discussion est ouverte mais n’a pas été prise en compte par cette étude.

Autre point statistique, et après tout, c’est l’objectif annoncé de cette étude, le tableau concernant les UM (lien 2) ne nous donne que la prévalence des pathologies et pas l’incidence. Nous ne pouvons donc tirer de conclusions concernant le point du paragraphe précédent. Par ailleurs, comme nous l’avons évoqué plus haut, il n’est pas systématiquement bien exposé les différentes lésions, à l’instar de la pluralité des tendinopathies, de syndrome de stress tibial (périostose ou périostite), fasciite plantaire (inflammation « vraie » ou souffrance de l’aponévrose plantaire, effondrement de l’arche interne, etc...)… On pourrait donc imaginer une optimisation de l’étude en subdivisant ces différentes lésions. Enfin, les auteurs dans leur discussion font état de plusieurs études, de notions épidémiologiques et d’agents pathogènes. On peut s’interroger de la place d’une telle analyse, aussi pertinente soit-elle, dans une méta-analyse d’études comme c’est le cas ici.
Toutefois, on notera la volonté de rendre plus factuelle et explicite les « à-priori » concernant les pathologies musculo-squelettiques du coureur à pied comme par exemple la remise en cause de la prépondérance du syndrome fémoro-patellaire. Autre point intéressant (mais rapporté par les auteurs d’autres études), celui de la diminution des risques de syndrome fémoro-patellaire lors de l’augmentation (bien programmée on l’imagine, évidemment) de la charge d’entrainement. Cela ouvre sur la notion récurrente de destruction/reconstruction des structures anatomiques et sur la possibilité essentielle de considérer que l’arrêt de l’activité n’est pas inéluctable.

Pour conclure, nous souhaiterions rappeler l’importance de la prise de conscience par le coureur de sa cinématique de course et de sa capacité à aligner correctement l’ensemble des ses articulations afin de réduire au maximum, les contraintes subies par l’organisme lors de la course à pied.