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Les opérations ouvertes de Latarjet produisent de meilleurs résultats chez les athlètes de compétition que chez les sportifs de loisir

Une étude clinique comparative de 106 athlètes âgés de moins de 30 ans



INTRODUCTION

La luxation gléno-humérale antérieure est une blessure fréquente chez les jeunes athlètes, en particulier dans les sports avec contact. La stabilisation chirurgicale est indiquée chez les patients présentant une instabilité récurrente d’épaule. Cela peut être une réparation des tissus mous telle que la technique de Bankart sous arthroscopique, ou avec fixation d’un bloc osseux comme l’opération ouverte de Latarjet (Open Latarjet Procedure=OLP). Des études ont montré la fiabilité et l'efficacité de l’OLP pour prévenir les luxations itératives, sans compromettre les résultats à long terme. Cette technique semble offrir une plus grande stabilité que celle de Bankart. Toutefois, avec le Latarjet, on a signalé des complications graves qui peuvent compromettre la fonction de l’épaule d’un d’athlète (ex : douleur postopératoire, infection, lésion neurologique, amplitude d’épaule limitée et ostéo-arthrose). La procédure de Bankart est préférée par la majorité des chirurgiens malgré les risques de récidive plus importants. Elle permettait un meilleur taux de retour au sport par rapport au Latarjet. Néanmoins, les jeunes athlètes sont vraiment exposés aux récidives. Les facteurs de risque sont : l’âge inférieur à 22 ans, le sexe masculin, le nombre de luxations pré-opératoires, les lésions de Hill-Sachs ou de perte d 'os glénoïde, l’hyperlaxité de l'épaule et la pratique d'un sport en compétition. L’opération de Latarjet est donc une alternative intéressante par rapport au Bankart bien qu’il soit prétendu « non anatomique ». La chirurgie vise principalement un retour rapide et efficace au sport et d'excellents résultats à long terme, sans récurrence de la luxation, en particulier chez les jeunes athlètes de compétition. Il convient d'accorder une attention particulière à ceux pratiquant des sports de collision ou de contact, car cela constitue un facteur de risque majeur de luxation récidivante après une opération.
 
L’objectif de cette étude est de déterminer si les résultats de l’opération de Latarjet dépendent du niveau de pratique sportives des patients ainsi que de rapporter les scores cliniques et le taux de complication avec un recul post-opératoire de minimum 2 ans. Ils ont aussi analysé les scores fonctionnels et la qualité du retour au sport en fonction du niveau de pratique sportive des patients.
Les opérations ouvertes de Latarjet produisent de meilleurs résultats chez les athlètes de compétition que chez les sportifs de loisir

METHODES :

Avec l'approbation du comité d'examen institutionnel du Center Ostéo-Articulaire des Cédres (COAC IRB), cette étude de cohorte rétrospective porte sur tous les patients ayant eu une opération ouverte de Latarjet et réalisé par Johannes Barth entre juillet 2007 et décembre 2012. Dans leur établissement, l'OLP est indiquée pour un minimum de 2 épisodes de luxation et / ou de subluxation, un résultat positif au test d'appréhension en position d'armement, un score d'indice d'instabilité ≥ 2 et l’évidence de lésions d'instabilité antérieure sur l’imagerie par tomodensitométrie (lésion humérale de Hill-Sachs et / ou du côté de la glène).
Les critères d'inclusion étaient : un minimum de 2 ans de suivi, un âge de 16 à 30 ans et une pratique régulière d’une activité sportive. Les critères d'exclusion étaient : une chirurgie d'instabilité antérieure, une procédure arthroscopique Latarjet, une instabilité multidirectionnelle et l'absence d'activité sportive.
Sur la cohorte initiale de 183 patients, 125 patients remplissaient les critères d'inclusion (Figure 1). Parmi eux, 13 (10,4%) patients n'ont pas pu être joint et 6 (4,8%) ont refusé de participer à l'étude. Les 106 patients restants ont été suivis en moyenne 46 +/- 16 mois (extrêmes 25-86 mois).
Le groupe des athlètes de compétition comprenait 57 patients, dont 39 (68%) étaient des professionnels ou jouaient dans une équipe nationale et 18 (32%) pratiquaient leur sport dans une ligue amateur. Le groupe des athlètes de loisir (contrôle) comprenait 49 patients.
Pour chaque patient, les sports pratiqués ont été classés en «contact ou collision», «contact limité» et «non contact», selon le classement de la Commission de médecine sportive et de santé physique de l'Académie américaine de pédiatrie (Tableau 1).  Il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes (tableau 2).
Le score de l’indice de sévérité de l’instabilité préopératoire, qui est corrélé au niveau de performance, était, comme prévu, significativement plus élevé pour les sportifs de compétition.
 
Description de la technique :
Une approche delto-pectorielle verticale et un écarteur autonome furent utilisés (figure 2A). Le ligament coraco-acromial fut incisé et le tendon mineur du pectoral détaché de l'os coracoïde. L'ostéotomie coracoïdienne a été réalisée au « genou » de la coracoïde (Figure 2B). La greffe coracoïdienne a été préparée à l’aide d’un guide-foret spécial (Figure 2C). La scission du muscle subscapulaire a été faite à la jonction des deux tiers supérieurs et du tiers inférieur. La capsule, délicatement identifiée, fut détachée du ventre du muscle pour exposer l’articulation et le bord antérieur de la glène. Les restes du complexe capsulo-labral ont été enlevés et la surface de la glène antérieure a également été décortiquée pour optimiser le contact osseux (Figure 2D). La greffe a été mise en place (Figure 2, E et F). Deux vis en titane ont été insérées pour fixer la coracoïde (Figure 2G). Enfin, la capsule a été suturée au ligament coraco-acromial, le bras étant en rotation externe complète (Figure 2H).
 
Les opérations ouvertes de Latarjet produisent de meilleurs résultats chez les athlètes de compétition que chez les sportifs de loisir

Rééducation Postopératoire
Le bras des patients a été immobilisé pendant 2 semaines à l’aide d’une écharpe et la rééducation a été limitée uniquement aux exercices pendulaires pendant cette période. Après 2 semaines, les patients ont été autorisés à effectuer des exercices quotidiens et des mobilisations articulaires avec assistance active (sans renforcement). Une amplitude complète des mouvements est attendue à 6 semaines mais le programme de renforcement n'est autorisé qu’à partir de 3 mois post-opératoires. Le retour au sport fut autorisé entre 3 et 4 mois après l'opération, selon les exigences du sport. L'épaule devait être indolore, avec une amplitude de mouvement complète, et la fusion de la greffe coracoïde réalisée à 3 mois (radio). Les paramètres cliniques et radiographiques ont été recueillis en pré et postopératoire lors de l'examen de suivi systématique à 6 semaines, 3 mois, 6 mois et lors du dernier suivi. Le critère de jugement principal au dernier suivi était la preuve d'une instabilité récurrente :
- appréhension antérieure (= peur de luxation lorsque le bras est en abduction et en rotation externe)
- subluxation (= sensation de luxation de l'épaule immédiatement suivie d'une réduction spontanée)
- une re-luxation diagnostiquée
Les critères de jugement secondaires étaient les scores cliniques liés à l’instabilité antérieure et à la pratique sportive : score de Rowe, score d’instabilité de l’épaule Oxford (OSIS), Indice d'instabilité de l'épaule en Ontario (WOSI) et niveau de satisfaction (excellent, bon, passable et médiocre).
 
Analyses statistiques
Un test t de Student a été réalisé pour comparer les résultats fonctionnels entre les groupes et les IC ont été fixés à 95%. Les données catégoriques ont été comparées avec le test exact de Fisher. La comparaison entre les données pré et postopératoires a été réalisée avec le test t couplé de Student. Une différence était considérée comme significative à p <0,05 (après correction de Bonferroni).
 

RÉSULTATS

Il n'y avait pas de différence significative dans les scores cliniques pré-opératoires sur l’échelle visuelle analogique (EVA), WOSI et le score de Rowe entre les 2 groupes (Tableau 3). La valeur subjective d'épaule avant l'opération était significativement plus élevée pour les athlètes de compétition par rapport aux athlètes de loisir.
Sur les 106 patients, 3 cas de luxation de l’épaule ont été rapportés : 2 athlètes de compétition (3,5%) et 1 athlète de loisir (2%). Les deux athlètes de compétition souffrant de luxations récurrentes pratiquaient des sports avec contact, suggérant un taux de récidive de 5,4% pour cette catégorie de sport. Leurs épaules ont été réopérées avec une procédure Eden-Hybinette, respectivement à 9 et 18 mois post-opératoires, sans aucune récidive au dernier suivi. L'athlète de loisir a préféré arrêter son activité sportive sans intervention chirurgicale itérative. Aucune subluxation n'a été signalée dans les deux groupes. Le test d'appréhension persistante a été retrouvé chez 7 athlètes de compétition (11,5%) et chez 5 athlètes de loisir (10%). Au dernier recul, le niveau de satisfaction était bon à excellent dans 97% et 94% des cas, respectivement. Les 3 items du score WOSI concernant les symptômes physiques, les sports et les activités de loisir (WOSI A, B et C) étaient significativement meilleurs en postopératoire pour le groupe compétition. Les résultats subjectifs des patients pour le retour au sport (SPORTS) et les scores de Rowe étaient également nettement meilleurs pour les athlètes de compétition que pour les sportifs de loisir. Les scores sans lien avec l'activité sportive, le score d'instabilité d'épaule d'Oxford (OSIS) et le test d'épaule simple (SST) étaient similaires pour les 2 groupes. En ce qui concerne le taux de retour au sport, les 57 (100%) athlètes de compétition et 34 (69,4%) des athlètes de loisir ont repris leurs pratiques sportives antérieures (tableau 4) à un niveau identique ou supérieur. Aucune complication aiguë n'a été signalée. Deux autres athlètes sportifs présentaient des anomalies osseuses de la greffe (radio), sans aucun effet clinique ni besoin de révision. Lors de l’évaluation radiographique à la dernière consultation, 94 athlètes (89%) en compétition et 12 (11%) athlètes en loisir ont été classés respectivement dans les catégories Samilson 0 et 1 (Figure 3). La progression de l'arthrose était similaire dans chaque groupe.
Les opérations ouvertes de Latarjet produisent de meilleurs résultats chez les athlètes de compétition que chez les sportifs de loisir

DISCUSSION :
 
Leur étude confirme qu’au terme d’un suivi moyen de 4 ans, le taux de luxations récurrentes après une opération de Latarjet ne diffère pas entre les athlètes de compétition et les sportifs de loisir, quel que soit le sport pratiqué. Par conséquent, leur hypothèse n’a pas été confirmée: une incidence accrue de récidive ne s’est pas produite chez les athlètes de compétition. De plus, le plus grand groupe de « sportifs à risque » pratiquant un sport de contact n’affichait qu’un faible taux de récidive (= 5,4%). Tous les résultats fonctionnels se sont considérablement améliorés et la qualité du retour au sport était encore meilleure pour les athlètes de compétition que pour les athlètes de loisir. De plus, aucune lésion nerveuse n'a été rapportée et le taux global de complications était inférieur aux valeurs habituellement présentes dans la litérature.
Une autre conclusion importante de leur étude est que l’amélioration des scores cliniques liés à l’activité sportive était significativement supérieure chez les athlètes de compétition. À leur connaissance, il s'agissait de la première étude qui se focalise sur les résultats après un Latarjet dans ces 2 populations distinctes d'athlètes. Les auteurs d’une récente revue systématique ont analysé les résultats cliniques et rapportés par les patients à la suite d’une opération de Latarjet et une réparation de Bankart. Ils ont indiqué que le Latarjet comportait un risque considérablement réduit de récidive, sans différence de taux de complication et avec des meilleurs résultats cliniques. Dans cette présente étude, les scores post-opératoires WOSI, SPORTS et Rowe sont nettement meilleurs pour les athlètes de compétition que pour les sportifs de loisir, bien que les scores préopératoires soient équivalents pour les deux groupes. Cela pourrait être dû au fait que les athlètes de compétition sont plus disciplinés avec leurs programmes de rééducation et / ou ont une meilleure proprioception de l'épaule et une meilleure force musculaire.
Concernant le RTS après une procédure de Bankart, dans la littérature les auteurs ont rapporté des taux de récidive allant de 7% à 26% pour les sportifs avec contact et une augmentation significative au fur et à mesure du temps de suivi. Le taux de récidive pourrait être dû aux dommages récurrents au fil du temps sur les tissus mous réparés, en particulier dans les activités sportives à haut risque. Milchteim et al. ont signalé un taux de récidive de 6,4% observé chez 94 patients à 5 ans de suivi, ce qui est inférieur aux taux habituellement rapportés.  Soixante pour cent de leurs patients pratiquaient des sports avec contact contre 64% dans cette étude avec 4 ans de suivi. Alentorn-Geli et al. ont signalé un taux de récurrence de luxation de 10,5% après une réparation capsulo-labrale arthroscopique à l'aide d'ancres de suture sans nœuds chez 57 patients pratiquants le football et d'autres activités. Il est bien établi que les lésions de Hill-Sachs prédisposent à une instabilité récurrente après la stabilisation primaire de Bankart. Cette procédure est reconnue comme une technique chirurgicale fiable sans perte osseuse humérale mais des controverses subsistent quant au retour du sportif à la compétition. Garcia et ses collaborateurs ont signalé 6 patients (11,8%) présentant une luxation itérative au dernier suivi (60,7 mois) et un score WOSI moyen de 79,5%. Les résultats cliniques étaient pires que ceux rapportés dans cette étude et, contrairement à celle-ci, pratiquer le sport à des niveaux compétitifs était un critère d'exclusion.
Peu d’auteurs ont analysé les résultats de la procédure Latarjet en fonction des activités sportives des patients. Beranger et ses collaborateurs ont indiqué que le RTS fut possible chez tous les athlètes de compétition et les sportifs récréatifs après 6,3 mois. Les patients ont retrouvé un niveau égal ou supérieur dans 78,7% des cas. Quarante-sept athlètes ont été inclus, mais seulement 18 (38%) ont pratiqué des sports en compétition. La pratique d’un sport « over-head» ou d’un sport «forced overhead» a été identifiée comme un facteur de risque de ne pas revenir à un niveau similaire ou supérieur après la chirurgie. Ici, ils ont préféré utiliser la classification de l'American Academy of Pediatrics qu’ils ont trouvée plus pertinente. Neyton et ses collaborateurs ont évalué rétrospectivement 34 joueurs de rugby (37 épaules) stabilisés par Latarjet. Aucune luxation ni subluxation ne sont survenues au cours des 144 mois post-opératoire (12ans). Dans cet article, les résultats ont été similaire en ce qui concerne les luxations récidivantes et le retour au sport.
Blonna et al. ont comparé 30 réparations Bankart et 30 procédures Bristow-Latarjet. Ils ont découvert, après un suivi moyen de 5,3 ans, que la réparation par Bankart arthroscopique était associée à un meilleur taux de retour au sport et à une meilleure perception subjective de l'épaule. Cependant, les auteurs ont signalé un taux plus élevé de luxation récurrente. Les patients présentants une atteinte sévère de la glène (augmente le risque de récidive) ont été exclus. Dans cet article, les patients étaient significativement plus jeunes et l’aspect osseux n'était pas considéré comme un critère d'exclusion alors qu'il s'agissait d'un facteur spécifique lié à la récurrence de l'instabilité. En effet, Burkhart et al., ont analysé les résultats de 194 réparations de Bankart. Il y avait un taux de récidive de 6,5% chez les athlètes avec contact ne présentant pas de défauts osseux importants mais de 89% chez ceux présentant des défauts osseux importants.
Dans cet article, ils ont trouvé peu de complications après la procédure Latarjet alors que les lésions neurologiques sont les effets indésirables les plus fréquemment rapportés, avec un taux de complications allant de 3% à 25% selon les études cliniques. L'OLP est techniquement exigeante et il est possible d'éviter ces complications en protégeant le nerf supra-scapulaire, le plexus et l'artère brachial ainsi que le nerf musculo-cutané. Les complications semblent diminuer après une courte courbe d'apprentissage. La force de cette étude réside dans le grand nombre d'athlètes de compétition (<30 ans) analysés après le Latarjet par rapport à un groupe témoin d'athlètes de loisir. À leurs connaissances, aucune étude n’a jamais porté sur ce paramètre. Leur étude comportait également certaines limites. Il s'agissait d'une étude rétrospective, avec un recul moyen de 3,8 ans. Plus de luxations auraient pu être signalées avec un suivi plus long. Toutefois, les auteurs d’études antérieures ont indiqué que la récidive de luxation après une intervention de Latarjet se produit plus fréquemment au cours de l’année suivant la chirurgie, contrairement aux opérations type Bankart. Ces récidives se produisent lorsque le bloc osseux est positionné trop médialement. Cependant, Clavert et al ont montré que le positionnement du greffon n'avait pas de rapport. Les autres limitations de la présente étude sont la proportion de patients « perdus de vue » et le fait que peu de patients présentaient une perte osseuse importante. Ceci est une raison pour laquelle leurs résultats pourraient ne pas s’appliquer à de tels patients. 

CONCLUSION : 

A la suite d’un suivi de quatre ans, l’opération ouverte de Latarjet a donné de bons résultats pour les athlètes de compétition et de loisir, avec des taux de récidive équivalents dans les deux groupes (≃5%). Les scores cliniques et les taux de retour au sport étaient toutefois nettement meilleurs pour les athlètes de compétition, quels que soient le type de sport et le niveau de compétition. Le Latarjet pourrait donc être envisagé en stabilisation primaire de l’épaule, en particulier chez les athlètes de compétition présentant des exigences fonctionnelles élevées et des risques importants de re-luxation.

Article original:
Open Latarjet Procedures Produce Better Outcomes in Competitive Athletes Compared With Recreational Athletes , A Clinical Comparative Study of 106 Athletes Aged Under 30 Years 
Laurent Baverel, MD, Pierre-Emmanuel Colle, PhD, Mo Saffarini, MEng, MBA, Guillaume Anthony Odri, MD, and Johannes Barth, MD Investigation performed at the Department of Orthopaedic Surgery, Centre Osteoarticulaire des Cèdres, Grenoble, France
The American Journal of Sports Medicine 1–8 DOI: 10.1177/0363546518759730
 
Annexes :
Les opérations ouvertes de Latarjet produisent de meilleurs résultats chez les athlètes de compétition que chez les sportifs de loisir