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Les changements dans la posture assise affectent l'amplitude des mouvements de l’épaule.



CONTEXTE
 
Les problèmes d'épaule sont généralement trouvés dans la population générale. Il a été constaté que ces problèmes représentent le 2e site douloureux le plus fréquemment cité chez les adultes [1]. La prévalence à 12 mois des plaintes d'épaule varie entre 4,7 % et 46,7 %. La prévalence tout au long de la vie varie de 6,7 % à 66,7 %. De nombreux facteurs de risque, y compris les facteurs physiques liés au travail, les facteurs psychosociaux et les facteurs ergonomiques sont considérés comme contribuant au développement des plaintes d'épaule. Une mauvaise posture, une activité musculaire soutenue, et un travail très répétitif au niveau ou au-dessus de l'épaule ont également été déterminés comme associés aux troubles de l'épaule. L'alignement thoracique, en particulier la courbure thoracique, est considérée comme cruciale pour déterminer la position de la scapula, qui influence la fonction globale de l'épaule.
 
Avec une cyphose thoracique excessive, l'orientation de la scapula sur le thorax est modifiée. Une position plus antérieure de l'épaule et une augmentation de l'antériorisation de la tête sont également évidentes [2]. Chez les personnes âgées, il a été constaté que les sujets présentant une cyphose thoracique sévère au repos avaient une distance acromio-humérale (espace sous-acromial) plus réduite que ceux avec moins de cyphose thoracique [3]. Cependant, la différence de distance acromio-humérale entre l'épaule saine et l'épaule conflictuelle tend à être évidente pendant le mouvement de l'épaule. Une différence significative de distance acromio-humérale est observée lorsque les épaules sont fléchies ou abductées à plus de 80°. Ces résultats peuvent affecter les amplitudes articulaires (AA) au dessus du niveau de l'épaule.
 
Il a été constaté qu'une cyphose thoracique excessive pourrait altérer la cinématique scapulaire ce qui affecte les AA d'épaule. Avec une augmentation de la cyphose dorsale, la scapula est moins en bascule postérieure et moins en rotation latérale pendant l'abduction de l'épaule le long du plan scapulaire [4,5]. Les AA actives d'abduction de l'épaule deviennent moindres dans la posture voûtée (différence moyenne = 15-24°) [5]. Les AA diminuées sont plus significatives chez les sujets symptomatiques avec des syndromes de conflit sous-acromial. L'AA en flexion de l'épaule dans le plan sagittal entre les postures érigée et voûtée au maximum se trouve diminuée avec une différence moyenne de 16 à 18° [6,7]. De ce fait, plusieurs études recommandent souvent des interventions qui corrigent l'alignement de la cyphose thoracique lors du traitement des douleurs d'épaule.
 
La majorité des études précédentes ont étudié la posture voûtée maximale ou la cyphose thoracique maximale. En général, il est peu probable qu'un individu assume continuellement une cyphose thoracique extrême pendant qu'il réalise ses activités quotidiennes normales. En fait, une mauvaise posture en cyphose thoracique modérée est plus fréquente. Cependant, les effets d'une cyphose thoracique modérée associée à une posture voûtée confortable sur les AA d'épaule n'ont pas été pleinement examinés. Par conséquent, les objectifs de cette étude [8] parue dans le Journal of Bodywork & Movement Therapies étaient d'étudier les effets de la position assise voûtée confortable sur les AA d'épaule et de vérifier si les AA d'épaule dans cette même position diffèrent de celles en position érigée et en position voûtée maximale.
 
METHODE
Schéma
 
Un schéma de mesures répétées sur un même sujet a été utilisé pour examiner si les différentes postures d'assise influençaient les AA d'épaule.
 
Participants
 
Trente hommes asymptomatiques âgés de 18 à 35 ans ont été recrutés par échantillonnage de commodité. La différence minimale cliniquement significative d'AA d'épaule entre les 3 postures assises a été fixée à 20° (estimée par [5] et [6]). Les sujets n'avaient pas d'antécédent de problèmes d'épaule dans les 6 derniers mois et ont été exclus sur la base de l'examen clinique. Les sujets présentant des signes positifs aux tests de Neer et de Hawkins-Kennedy ainsi que des douleurs à la palpation des tendons de la coiffe des rotateurs ont été exclus.
Quatre chercheurs ont impliqués dans la mesure. Le premier chercheur effectuait le moulage de la règle souple sur le rachis thoracique du sujet. Le second chercheur transférait la courbe thoracique sur papier et calculait la cyphose thoracique. Le troisième chercheur effectuait les mesures goniométriques des AA d'épaule. Le quatrième chercheur, qui se tenait en dehors de la zone de test derrière un rideau lors des tests, lisait le numéro sur la branche du goniomètre. Cette procédure visait à aveugler le quatrième chercheur des mouvements de l'épaule testés.
 
Il a été demandé aux sujets d'enlever leur haut et de s'asseoir sur un tabouret sans dossier. Trois postures assises étaient successivement testées, c'est-à-dire posture érigée, posture voûtée confortable et posture voûtée maximale. Les postures ont été obtenues à l'aide de commandes verbales normalisées. Une fois les sujets ayant acquis la posture, un système de contrôle pouvant être ajusté dans les directions horizontale et verticale a été ajusté de sorte qu'il effleure le sternum des sujets (Fig. 1). Cela prévenait les changements de posture des sujets pendant les tests. Ensuite, une règle souple a été moulée sur le rachis thoracique des sujets, des processus épineux de C7 à T12, afin de déterminer l'importance de la cyphose thoracique dans chaque posture assise.
 

Dans chaque posture assise, il a été demandé aux sujets de déplacer au maximum leur épaule droite dans 4 directions : flexion, abduction, rotation latérale et rotation médiale avec 90° d'abduction. La séquence des mouvements de l'épaule a été randomisée. Afin d'éviter la fatigue, un repos de 10 secondes a été incorporé entre les mouvements de l'épaule pendant qu'un intervalle d'une minute était autorisé entre les différentes postures assises.
 
Les changements dans la posture assise affectent  l'amplitude des mouvements de l’épaule.

Mesures de résultats
 
Les degrés de cyphose thoracique ont été déterminés par la méthode de flexicurve [9]. Cette méthode a été choisie car elle est pratique et à bas prix avec une validité et une fiabilité acceptables pour une utilisation clinique. Une règle souple a été moulée sur la colonne dorsale des sujets des processus épineux de C7 à T12. Ensuite, elle a été retirée du dos des sujets  alors que sa forme a été maintenue de sorte que son contour puisse être dessiné immédiatement sur un morceau de papier. Avec une formule spécifique, les distances des processus épineux de C7 et T12 ont été mesurées et calculées afin d'obtenir la valeur de la cyphose thoracique. Cette méthode de flexicurve a été jugée fiable (ICC = 0,87) et valide (ICC = 0,91) [9]. Une étude pilote de la présente étude avait également démontré une grande fiabilité intra-évaluateur (ICC = 0.98) avec une seule mesure de la cyphose thoracique dans chaque position assise.
 
Les AA d'épaule ont été mesurées en utilisant un goniomètre standard. Quatre orientations ont été examinées. La flexion et l'abduction ont été effectuées respectivement dans les plans sagittal et frontal. Les rotations latérale et médiale ont été réalisées alors que le bras était à 90° d'abduction. Le placement du goniomètre a été réalisé en conformité avec un manuel [10]. Une étude pilote de la présente étude a montré une haute fiabilité intra-évaluateur (ICC entre 0,92 et 0,97) avec une seule mesure de l'AA d'épaule dans chaque direction.
 
Analyse des données
Les statistiques descriptives ont été utilisées pour les moyennes et les écarts-types. Le test de Kolmogorov-Smirnov a été utilisé pour confirmer la normalité de la distribution des données. Les différences d'AA d'épaule pour les 3 postures assises étaient testées à l'aide des mesures répétées à sens unique d'analyse de variance. Le test de Bonferroni a été utilisé pour déterminer quelle paire de comparaisons était responsable de la signification. La signification statistique a été fixée à p  < 0,05.
 
RESULTATS
 
Trente hommes d'âge moyen 20,5 ans (± 1,1), de poids corporel de 64,5 kg (± 14,8) et de hauteur du corps 1,7 m (± 0,1), ont participé à cette étude. Plus la position voûtée était importante, plus la cyphose thoracique a été constatée. Aucun sujet n'a été exclu pour avoir des AA d'épaule limitées. Les AA dans les 4 directions mesurées en position debout ont coïncidé avec les données normatives [10]. En posture voûtée confortable, le rachis thoracique arrivait à être à mi-chemin environ entre les positions érigées et voûtées au maximum.
La différence moyenne de 7,1° de cyphose thoracique entre les positions érigée et voûtée au maximum était d'environ la moitié des 16,6° de différence moyenne.
Il y avait des différences moyennes statistiquement significatives entre les 3 postures concernant la cyphose thoracique et les AA d'épaule (p < 0,001). Les analyses post-hoc ont démontré des différences significatives dans toutes les comparaisons (p < 0,001).
Les AA d'épaule maximales moyennes dans toutes les directions, à l'exception de la rotation médiale, étaient plus importantes dans la posture érigée assise. Dans la posture voûtée au maximum, une réduction moyenne de la rotation latérale de 26.03° ou près de 30 % des valeurs initiales était mesurée dans la posture assise érigée. D'autre part, la rotation médiale moyenne de l'épaule a été démontrée comme augmentant d'environ 20 %.
 
DISCUSSION
 
Les changements dans la posture assise ont clairement affecté les AA d'épaule dans toutes les directions. Les amplitudes maximales en flexion, abduction et rotation latérale d'épaule ont été réduites alors que la rotation médiale a été augmentée avec une cyphose thoracique.
 
Ces résultats sont en accord avec les études précédentes ; cependant, l'ampleur des effets dans cette étude était meilleure. En comparant les postures érigée et voûtée au maximum, la diminution moyenne de l'AA en flexion d'épaule dans cette étude était de 35,5° alors qu'elle a été rapportée comme étant de 17,7° dans d'autres travaux [7]. La diminution moyenne de l'AA en abduction d'épaule entre les postures érigée et voûtée au maximum s'est révélée être de 40,6° par rapport à 23,6° dans une autre étude [5]. La différence considérable entre les études est probablement due à des différences de populations testées et à l'âge des sujets. Etant donné que les sujets de cette étude n'avaient pas de pathologie de l'épaule, une plus grande flexion de l'épaule serait autorisée. Avec l'âge, les tissus du corps perdent leur flexibilité, ce qui les rend plus rigides et avec moins d'AA attendues [10]. 
Comme il n'y a pas eu d'études testant les effets de la cyphose thoracique sur les AA de rotations médiale et latérale de l'épaule, la comparaison des résultats avec des études antérieures n'est pas possible. La baisse de la rotation latérale peut être expliquée par l'orientation entre le tronc et l'humérus en position de départ. 
De plus, les scapula bougent le long de la cage thoracique et sont dans une position dans la position voûtée, le thorax est porté vers l'arrière ce qui amène l'humérus en avant du corps. En position de départ lors de la mesure de la flexion, l'épaule est déjà dans une position légèrement fléchie. Il y aurait moins d'AA en flexion disponible ensuite. 
 
Fait intéressant, les effets statistiquement significatifs de la cyphose thoracique sur les AA d'épaule ont été trouvés non seulement entre les postures érigée et voûtée au maximum mais aussi entre les postures érigée et voûtée de manière confortable. 
Ces résultats mettent en évidence que même une augmentation subtile d'environ 7,1° de la cyphose thoracique telle que celle survenant dans la posture voûtée confortable pourrait exiger une plus grande attention. Il a été montré qu'une réduction de 5,8° de la cyphose thoracique pourrait produire des AA sans douleur plus importantes en flexion (moyenne 16,2°) et en abduction (moyenne 14,7°) dans le plan scapulaire.
 
Cette étude comporte certaines limites. L'investigation seulement sur des sujets de sexe masculin dans la présente étude pourrait entraver la généralisation des résultats. De futures études chez les femmes seraient importantes pour déterminer si des résultats similaires seraient trouvés. La présente étude n'a pas évalué la mobilité intervertébrale de la colonne thoracique. Il est connu que les AA d'épaule complètes nécessitent une colonne vertébrale thoracique souple [11], en particulier pour l'extension [12]. Néanmoins, une restriction de mobilité rachidienne thoracique, le cas échéant, devrait être minime, car les sujets de cette étude étaient sains et n'avaient pas d'antécédents de douleurs rachidiennes au moment du test. Il convient également de noter que les réductions d'AA d'épaule dans cette étude sont considérées comme normales et non comme pathologiques.
Comme la plupart des activités quotidiennes ont lieu à ou au-dessus du niveau de l'épaule, le risque de contraintes répétées sur les structures autour de l'épaule en fin d'amplitude est envisageable. Une étude prospective pour déterminer s'il y aurait un lien de causalité entre la posture assise et les douleur à l'épaule est donc justifiée.
 
CONCLUSION
 
Les variations de la cyphose thoracique affectent les AA d'épaule dans toutes les directions testées. De plus grands changements d'AA d'épaule étaient associés à une plus grande augmentation de la cyphose thoracique. Même un changement subtil de la cyphose thoracique comme dans la posture assise voûtée confortable semble être cliniquement pertinent.
 
 
 
 
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[3] Gumina, S., Di Giorgio, G., Postacchini, F., Postacchini, R., 2008. Subacromial space in adult patients with thoracic hyperkyphosis and in healthy volunteers. Chi. degli organi di mov. 91, 93-96.
 
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[8] Kanlayanaphotporn R. Changes in sitting posture affect shoulder range of motion. J Bodyw Mov Ther. 2014 Apr;18(2):239-43. doi: 10.1016/j.jbmt.2013.09.008. Epub 2013 Sep 25.
 
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[10] Reese, N.B., Bandy, W.D., 2002. Joint Range of Motion and Muscle Length Testing. W.B. Saunders Company, Philadelphia.
 
[11] Strunce, J.B., Walker, M.J., Boyles, R.E., Young, B.A., 2009. The immediate effects of thoracic spine and rib manipulation on subjects with primary complaints of shoulder pain. J. Manual Manip. Ther. 17, 230-236.
 
[12] Edmondston, S.J., Christensen, M.M., Keller, S., Steigen, L.B., Barclay, L., 2012. Functional radiographic analysis of thoracic spine extension motion in asymptomatic men. J. Manipulative Physiol. Ther. 35, 203-208.