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LESION DU LIGAMENT CROISE ANTERIEUR : EFFETS D’UN ENTRAINEMENT PREVENTIF SUR LES FACTEURS DE RISQUE NEUROMUSCULAIRES ET BIOMECANIQUES CHEZ DES SPORTIVES ADOLESCENTES



L’incidence élevée des lésions du ligament croisé antérieur (LCA) [1] est une préoccupation de santé majeure chez les adolescents pratiquant des sports tels que le football et le handball [2,3]. Aucune diminution de l’incidence des ruptures du LCA n’a été retrouvée cette dernière décennie dans une population d’athlètes universitaires féminines pratiquant des sports à risque [4,5]. La lésion du LCA est souvent associée à une limitation ultérieure de l’activité, représentant donc un enjeu majeur de santé publique.
La recherche sur la prévention des blessures du LCA a mis l’accent sur l’identification des facteurs de risque, dont les facteurs neuromusculaires et biomécaniques [7]. La majorité des lésions du LCA se produisent sur des situations « sans contact », lorsque le joueur effectue des changements de direction rapides [8-10].
Les auteurs de l’étude ont relevé un risque majoré de blessures du LCA sans contact chez les athlètes féminines lors de la combinaison d’une diminution de la pré-activation électromyographique (EMG) réduite du semi-tendineux (ST) et une augmentation de la pré-activation EMG du vaste latéral (VL), ce qui conduit à majoration de la différence de la pré-activation EMG ST-VL [11]. Hewett et col. [12] ont rapporté qu’un valgus du genou excessif et un moment élevé lors d’un Drop Jump étaient des critères prédictifs des lésions du LCA « sans contact ».
Les auteurs de l’étude présentée aujourd’hui ont mené un essai contrôlé randomisé chez des footballeuses et handballeuses universitaires, pour investiguer les effets biomécaniques et neuromusculaires d’un programme d’échauffement structurés réalisé lors de l’échauffement dont l’objectif est de prévenir les blessures aigües des membres inférieurs. Les auteurs ont supposé que 12 semaines d’un programme préventif, précédemment utilisé pour diminuer les blessures aigues de la cheville et du genou [13], diminueraient l’ampleur de la différence de pré-activation VL-ST, comparativement à un travail habituel (groupe contrôle). Les auteurs ont également émis l’hypothèse que l’entraînement prophylactique conduirait à une diminution du moment et de l’angulation du valgus du genou par rapport au groupe contrôle [12].
 
L’entraînement neuromusculaire préventif (ENP) utilisé dans cette étude a été développé par le personnel médical du Centre de Recherche en Traumatologie du Sport d’Oslo, des entraîneurs de la Fédération Norvégienne de Handball [13], et a permis de réduire de moitié l’incidence des blessures aigües de la cheville et du genou de jeunes handballeurs [13].

Le programme ENP comprenait des exercices sur plateau instable (wobble board), sur tapis d’équilibre (Airex) et des exercices avec ballons de football et de handball. Le programme comprenait des exercices d’intensité progressive. L’objectif principal des exercices était d’améliorer la prise de conscience corporelle et le contrôle moteur du membre inférieur (hanche, genou, cheville) lors de la position debout, de la course, des changements de direction, des sauts et des réceptions
(plus de détails à l’adresse suivante : www.klokavskade.no/no/Skadefri/Handball2/OEO).


Le critère principal mesuré était la différence entre la pré-activité neuromusculaire du quadriceps (VL) et celle des ischio-jambiers (ST) lors d’une course avec changement de direction mesuré par EMG.
Les critères secondaires étaient :
  1. Pré-activité neuromusculaire du ST, VL et du biceps fémoral (mesurée à l’EMG),
  2. Angulation du valgus du genou lors du contact initial (CI) et le valgus maximal mesuré par analyse du mouvement 3D,
  3. Force musculaire des ischio-jambiers mesurée par dynanomètre manuel.
12 semaines d’ENP chez des jeunes joueuses de football et de handball ont abouti à une augmentation de l’activation du ST par rapport à l’activation du VL lors de la course avec changements de direction.  Le modèle de recrutement élevé des ischio-jambiers pourrait être un facteur protecteur des lésions du LCA « sans contact » [11].
Dans le groupe contrôle, la différence de pré-activation VL-ST a augmenté en faveur du quadriceps, ce modèle étant associé à un risque majoré de lésions du LCA [11].
De manière inattendue, la pré-activation du ST était plus faible dans le groupe contrôle à la fin de l’étude. Néanmoins un niveau réduit de l’activité musculaire pourrait produire un niveau de force équivalent des fléchisseurs du genou, hypothèse soutenue par l’augmentation de force de 11% des ischio-jambiers.
L’augmentation de l’activation du VL couplée à la baisse de l’activation du ST durant la course avec changements de direction pour le groupe contrôle pourrait être en faveur d’une activité motrice majoritaire des extenseurs du genou [11], résultats à mettre en lien avec le postulat indiquant qu’une force excessive du quadriceps associée à un faible recrutement de la chaîne postérieure est un haut facteur de risque de lésions du LCA [24].
Bien que les niveaux d’activation VL-ST du groupe contrôle n’ont pas atteints le niveau rapporté chez les athlètes féminines adultes qui ont subi par la suite une lésion du LCA, la différence observée dans le groupe contrôle peut néanmoins être considérée comme « à risque ». Si ce phénomène neuromusculaire se produit de façon transitoire durant l’adolescence, il pourrait expliquer le risque élevé de blessures du LCA [1].
Ces observations donnent donc du poids au besoin d’un travail spécifique neuromusculaire pour cette population.
Combien de temps est nécessaire pour modifier l’activation musculaire ? Wilderman et col. [25] ont rapporté que 6 semaines d’entraînement spécifique, 4 fois par semaine, ont permis d’augmenter l’activation du ST lors d’une course avec changements de direction.
Dans la présente étude, l’augmentation de l’activation du ST après 12 semaines  d’EPN (par rapport au groupe contrôle) et la diminution de la différence VL-ST lors de la course peuvent suggérer que l’entraînement proposé permet de réaliser une stratégie de « protection du LCA » [11].
Myer et col [28] ont montré que 6 semaines d’EPN suffisaient à améliorer les facteurs biomécaniques (valgus du genou par exemple) associées à un risque élevé de lésion du LCA. Cependant, contrairement à l’hypothèse des auteurs, aucune différence dans les facteurs biomécaniques n’a été trouvé. Le fait qu’une modification de l’activation neuromusculaire a lieu, sans aucun changement détectable des caractéristiques cinétiques ou cinématiques, pourrait indiquer que le programme proposé joue principalement sur les facteurs neuromusculaires. Autrement dit, l’activation musculaire permet de contrecarrer les charges externes appliquées au genou lors de la course.
Durant la période d’étude, 8 joueuses (sur 40) ont subi une blessure aigüe sur le membre inférieur. Une différence significative du nombre de lésions a été observée entre les 2 groupes (1/20 dans le groupe EPN vs 7/20 dans le groupe contrôle).
Quelles sont les nouvelles conclusions ?
  • La stratégie d’activation neuromusculaire du quadriceps et des ischio-jambiers lors d’une course avec changements de direction chez des adolescentes sportives peut être modifiée après 12 semaines d’entraînement prophylactique
  • L’entraînement neuromusculaire fondé sur des preuves induit une stratégie motrice de protection du LCA en affectant l’activité agoniste/antagoniste.
  • 12 semaines d’entraînement neuromusculaire n’ont pas affecté les potentiels facteurs de risque biomécaniques.
Quels impacts cela pourrait-il avoir sur la pratique clinique future ?
Les auteurs recommandent que ce programme fasse partie intégrante de l’entraînement hebdomadaire des athlètes féminines adolescentes dans les sports à risque.
Traduit par Erwann Le Corre
Article Original :
Zebis MK, Andersen LL, Brandt M et al. Effects of evidence-based prevention training on neuromuscular and biomechanical risk factors for ACL injury in adolescent female athletes:
a randomised controlled trial. Br J Sports Med 2015;0:1–7
Bibliographie
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  2. Clausen MB, Zebis MK, Moller M, et al. High injury incidence in adolescent female soccer. Am J Sports Med 2014;42:2487–94.

  3. Moller M, Attermann J, Myklebust G, et al. Injury risk in Danish youth and senior elite handball using a new SMS text messages approach. Br J Sports Med 2012;46:531–7.

  4. Agel J, Arendt EA, Bershadsky B. Anterior cruciate ligament injury in national collegiate athletic association basketball and soccer: a 13-year review. Am J Sports Med 2005;33:524–30.

  5. Ardern CL, Taylor NF, Feller JA, et al. Fifty-five per cent return to competitive sport following anterior cruciate ligament reconstruction surgery: an updated systematic review and meta-analysis including aspects of physical functioning and contextual factors. Br J Sports Med 2014;48:1543–52.

  6. Renstrom PA. Eight clinical conundrums relating to anterior cruciate ligament (ACL) injury in sport: recent evidence and a personal reflection. Br J Sports Med 2013;47:367–72.

  7. Alentorn-Geli E, Myer GD, Silvers HJ, et al. Prevention of non-contact anterior cruciate ligament injuries in soccer players. Part 2: a review of prevention programs aimed to modify risk factors and to reduce injury rates. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc 2009;17:859–79.

  8. Alentorn-Geli E, Myer GD, Silvers HJ, et al. Prevention of non-contact anterior cruciate ligament injuries in soccer players. Part 1: mechanisms of injury and underlying risk factors. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc 2009;17:705–29.
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Olsen OE, Myklebust G, Engebretsen L, et al. Injury mechanisms for anterior cruciate ligament injuries in team handball: a systematic video analysis. Am J Sports Med 2004;32:1002–12.
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  15. Myer GD, Ford KR, Palumbo JP, et al. Neuromuscular training improves performance and lower-extremity biomechanics in female athletes. J Strength Cond Res 2005;19:51–60.