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LE POINT SUR LE LCA



Pour notre 400ème speed meeting, nous faisons le choix de proposer un dossier spécial sur le ligament croisé antérieur (LCA). Cette démarche n’est pas anodine pour moi en tant qu’auteur de cette 400ème publication. Elle s’inscrit réellement dans une logique de transmission de l’information et dans le respect de ce qui fonde la génétique de Kinesport depuis sa création : la valorisation de notre profession

Un dossier sur la lésion musculaire aurait été largement représentatif de ce que nous cherchons à  proposer tant Arnaud Bruchard a permis d’avancer et d’innover sur le sujet depuis plus de 15 ans. Notre premier symposium en Janvier 2019 à Paris a ouvert de nouvelles perspectives sur le sujet en France et à l’international. Notre prochain Symposium en 2020 à Paris sur le LCA et la pubalgie ouvrira d’autres visions, nous l’espérons. La logique de cette démarche se trouve donc bien dans la valorisation de la profession en avançant ensemble, en limitant le corporatisme et en échangeant avec les autres professionnels. 

Nous aborderons dans ce document sur le LCA les sujets suivants : la chirurgie, la rééducation/réhabilitation, le return to play (RTP) et l’intérêt des neurosciences pour optimiser la prise en charge.  Nous reprendrons des écrits que nous avons déjà publié il y a quelques temps et que nous mettrons en relief avec les récentes publications, pour mettre en exergue notre vision sur le sujet.

​Chirurgie du LCA : des avancées importantes

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La chirurgie du LCA est en évolution constante depuis de nombreuses années. L’intérêt des évolutions chirurgicales est de diminuer le taux de récidive et d’améliorer le devenir à long terme du genou chez les patients après lésion du LCA. Deux points sont à ce jour très discutés et semblent prépondérants pour potentialiser la reconstruction du LCA (ACL-R) : 
1.    Rendre la chirurgie plus anatomique et biologique pour favoriser la cicatrisation de la greffe et rendre une cinématique du genou plus proche de celle antérieure à la lésion. 
2.    Proposer en pré-opératoire une évaluation structurelle et fonctionnelle des blessures du LCA beaucoup plus compréhensive, où l’anatomie du sujet et sa biomécanique jouent un rôle important, pour potentialiser la chirurgie.
Nous avions vu l’intérêt de l’utilisation du scanner 3D (images ci-dessous) pour évaluer la position des tunnels et l’élargissement éventuel aux sites d’insertions, ce qui d’après F.Fu pourrait donner des informations sur les causes potentielles de la défaillance de la greffe.

Autre outil d’évaluation intéressant, le Porto Knee Testing Device (PKTD – images ci-dessous) que le Dr J Mendes avait présenté lors du congrès Isokinetic en 2017 qui permet de mesurer la translation tibiale antéro-postérieure, postéro-antérieure, ainsi que la laxité rotatoire interne/externe lors d’un examen à l’IRM et CT-Scan.
LE POINT SUR LE LCA

Lors d’une étude en 2016 (Global rotation has high sensitivity in ACL lesions within stress MRI), 2016., Mendes et al. avaient prouvé que le PKTD était un outil discriminant fiable pour tester les laxités du genou. Cet élément est très intéressant dans l’évaluation pré-opératoire du patient car comme nous le savons, l’instabilité rotatoire post-opératoire est l’un des facteurs de risques importants des ruptures de la greffe.
Lutte active des chirurgiens spécialistes du genou, l’instabilité rotatoire a entrainé une convergence vers la recherche de techniques chirurgicales visant à limiter l’impact de cette dernière. L’exploration anatomique précise du compartiment externe du genou a permis l’émergence de technique visant à limiter l’instabilité rotatoire antéro-interne avec différentes techniques.
En 2017, le Dr B. Sonnery-Cottet dans une étude parue dans le AJSM (Anterolateral Ligament Reconstruction Is Associated With Significantly at a Minimum Follow-up of 2 Years A Prospective Comparative Study of 502 Patients From the SANTI Study Group), a évalué le taux de rupture de la greffe et de retour au sport, chez des patients entre 16 et 30 ans faisant des sports avec pivot, en utilisant la technique de reconstruction du LCA intégrant la reconstruction du Ligament Antéro-Latéral (ALL). Il s’agissait d’une étude prospective de patients ayant subi une reconstruction du LCA avec la technique os-tendon-os (B-PTB), technique DT4 (4HT), ou technique greffe des IJ + LAL, conduite par le Scientific ACL NeTwork Internatio-nal (SANTI) Study Group.
- llustration of anterior cruciate ligament reconstruction with a (A) bone-patellar tendon-bone (B-PT-B) graft, (B) quadrupled hamstring tendon (4HT) graft, and (C) hamstring tendon graft combined with anterolateral ligament reconstruction (HT+ALL).

Le taux de rupture de la greffe avec la technique HT+ALL était de 2,5 moins que le taux de rupture avec la technique B-PT-B et 3,1 moins qu’avec la technique 4HT.
La greffe HT+ALL est associée avec un taux plus élevé de retour au sport au niveau antérieur comparativement à la greffe 4HT, mais pas de différence par rapport à la technique B-PT-B.
La conclusion de cette étude était donc que dans une population jeune et à risque de lésion participant à des sports à pivots, le taux de rupture de la greffe avec la technique HT+ALL est 2,5 moins important qu’avec la technique B-PT-B et 3,1 qu’avec la technique 4HT. Cela nous confirmait bien l’intérêt de considérer l’anatomie du compartiment dans la lutte contre l’instabilité rotatoire.

De récentes études nous montrent l’importance que revêt l’exploration du compartiment interne du genou et sa réparation éventuelle chez les sujets avec lésion du LCA. En effet, comme nous l’avons mis en relief dans une infographie récente, les lésions de l’attache capsulaire de la corne postérieure du ménisque médial (Ramp lésions) sont relativement communes lors d’une atteinte du LCA (23,9% de Ramp lésion d’après Sonnery-Cottet et al. en 2019). Les auteurs décrivent que l’augmentation du délai entre la lésion et la chirurgie du LCA entraine plus de lésions de Ramp. Cela est dû aux épisodes de subluxation rotatoire et antérieure répétitive. 

La notion de délai entre la lésion et la chirurgie est un débat grandement discuté. Très récemment, une étude nous montre l’association entre le délai de reconstruction du LCA (ACLR) après lésion et le risque de lésion du compartiment médial du genou (cartilage et ménisque). D’après les auteurs, le risque de lésion irréparable du ménisque interne retrouvé lors de l’ACLR est augmenté de manière significative après 8 semaines, et le risque de lésion de cartilage de haut grade (> ou égal à Grade 3) est augmenté après 5 mois.

Bien que commune à ce jour, la chirurgie de reconstruction (ACL-R) ne donne pas entière satisfaction au niveau des résultats sur de la cinématique du genou, ce qui entraine un grand point d’interrogation  sur le devenir à long terme de l’articulation du genou après ACL-R.
En réponse à cette réelle problématique, nous constatons depuis 2 ans l’émergence ou plutôt le retour des techniques de réparation (ACL Repair) du LCA.
Nous avions largement décrit la technique de Bridge-Enhanced ACL repair du Dr Martha Murray à Boston dans notre magazine Kinesport en 2017.
Plus récemment en 2019, d’après les travaux du Dr Di Felice et Van Der List, nous retrouvons des résultats intéressants avec un suivi minimum de 5 ans chez des patients après réparation (ACL Repair) du LCA.

En Janvier 2019, Olmos, Sonnery-Cottet et Barth nous expliquent que la sélection appropriée des patients dans le cadre de l’ACL Repair est cruciale pour une utilisation réussie de cette technique. La réparation à l’arthroscopie isolée ne convient que chez les patients présentant une avulsion proximale du LCA (déchirures de Sherman de type I ou éventuellement de type II) et un tissu adéquat de bonne qualité permettant une reconnexion du ligament restant à la paroi fémorale. Ceci est principalement observé dans la phase subaiguë (entre 2 semaines et 3 mois) lors de la chirurgie, mais également dans la rupture chronique du LCA, si le LCA est cicatrisé au ligament croisé postérieur.
L’ACL Repair semble donc une technique qui mérite d’être largement suivi, les spécialistes s’accordent pour un délai de 5 ans de suivi post-opératoire pour « valider » la technique et permettre un plus large développement. 

L’ensemble de ces éléments nous montre que les évolutions chirurgicales (anatomique, biologique) sont au service du patient, pour permettre à ce dernier (sportif ou non de haut niveau) d’éviter une dégénérescence précoce du genou et reprendre son activité antérieure. 

​Qu’en est-il de la rééducation/réhabilitation des sujets après lésion du LCA en 2019 ?

La notion de phase de réhabilitation avec l’utilisation de critères cliniques fait aujourd’hui consensus pour la rééducation du LCA après chirurgie. La notion de temps comme guide de la réhabilitation est une notion désuète à ce jour. Cependant, d’après Burgi et al. en 2019, la notion temporelle pour guider le RTS est présente dans 85% des études, revue de 209 études sur le sujet (cf notre infographie)  

Comme nous le savons, certains critères sont importants en phase post-opératoire immédiate (Phase 1) comme la lutte contre l’œdème et l’AMI (Arthrogenic Muscle Inhibition), un retour à une amplitude d’extension à 0°, mais aussi le lever de sidération du quadriceps (concomitant à la lutte contre l’AMI). 

L’évolution en phase 2 vers le travail de renforcement et le contrôle neuromusculaire est connu de tous, ce qui permettra d’aller en phase 3 avec la reprise de saut, la course dans l’axe, pour enfin en phase 4 tendre vers la spécificité de l’activité et le RTP.

Des questions demeurent en suspens malgré cette vision qui semble consensuelle. En effet, lorsque l’on regarde dans le détail ces différentes phases, on retrouve trop souvent la présence d’une vision trop articulaire et musculaire de la réhabilitation du LCA. On remarque une intégration limitée de la gestuelle globale ou des nouvelles connaissances en neuroscience pour favoriser l’apprentissage moteur. Nous savons très bien que le contrôle moteur déficitaire du tronc est un facteur de risque de lésion du LCA. Il est donc légitime de se poser la question en phase 1 de la mise en place d’un travail spécifique sur le muscle transverse pour répondre aux problématiques de la gestuelle, avec l’objectif de diminuer le risque de récidive lésion du LCA

L’effort d’utilisation de recommandation de qualité pour la réhabilitation du LCA est important. Comme nous le montre R Andrade et al. en 2019 dans le BJSM, la qualité des guidelines proposées par les sociétés nationales et internationales d’orthopédie et de physiothérapie est bonne. Cependant, les auteurs de l’étude nous expliquent que la mise en pratique clinique quotidienne varie encore trop souvent d’un thérapeute à l’autre. En d’autres termes, la qualité des guidelines est bonne mais la mise en application est bien trop pauvre actuellement.
Deux points semblent donc prépondérants à améliorer dans le processus de réhabilitation : la mise en place des bonnes recommandations, mais aussi l’optimisation des recommandations pour favoriser un RTP sans danger

Le Return to Play (RTP) après chirurgie du LCA

En accord avec les constats de M.Buckthorpe dans un article récent publié dans Sports Medicine, nous devons optimiser la réhabilitation au stade avancé et l’entrainement au RTP après chirurgie du LCA.
Force est de constater que bien trop souvent les patients/sportifs retournent au sport avec des déficiences neuromusculaires, mais aussi avec des perturbations de la qualité du mouvement et une condition physique spécifique à leur pratique insuffisante. L’optimisation de l’entrainement au RTP pourra permettre de réduire le risque de récidive. Pour ce faire, il faudra intégrer les variables importantes de qualité du mouvement, de la fonction neuromusculaire adaptée, du conditionnement ou reconditionnement physique dans un cadre d’entrainement spécifique, en gérant de manière intelligente la charge de travail. Cette optimisation doit permettre l’émergence de système de rééducation du mouvement innovant, où la connaissance des stratégies d’apprentissage moteur possède une grande importance. L’utilisation des connaissances en neuroscience dans le processus de réhabilitation est l’un des éléments d’évolution pour le kinésithérapeute du futur.

Nous pouvons dire que la réhabilitation du LCA en 2019 est dans une phase de mutation, où l’émergence des recommandations est une réelle plus-value. Cependant, nous devons rester humble sur la mise en pratique clinique quotidienne de l’ensemble des ces guidelines, car la littérature nous montre qu’il existe encore trop de disparité de mise en application.

Il faudra donc continuer à transmettre l’information pour valoriser la pratique et coller de manière intelligente aux recommandations issues de la littérature scientifique. 
D’autres questions doivent se poser en lien avec la validation du RTP. En effet, on répertorie un nombre important de test pour valider ou non le RTP d’un patient alors qu'aucun écrit consensuel existe sur le sujet actuellement, et comme nous l’avons écrit auparavant, la notion de temps post-chirurgie reste le critère le plus utilisé, alors que nous le savons, cela ne permet pas de  limiter le risque de récidive.  

Premier problème sur lequel nous devons lutter de manière active est le faible échantillon de patient/sportif qui passe des tests pour valider leur RTP. Une méta-analyse sur le sujet montre que seulement 23% passent une batterie de tests pour valider leur RTP. Pourtant un nombre important d’études montre l’intérêt de faire passer aux sujets des tests spécifiques pour valider ou non le RTP après chirurgie du LCA.

En effet, en 2016 déjà, Kyristisis et al. dans le BJSM montrent que les sujets qui ne valident pas les six critères cliniques suivants ont un risque 4 fois plus grand de rupture de la greffe. Les critères cliniques étaient :
•    Test isocinétique à 60, 180 et 300°/s avec un déficit < 10% au niveau du quadriceps.
•    Single hop test, LSI > 90%.
•    Triple hop test > 90%.
•    Triple crossover hop test LSI > 90%.
•    Réhabilitation spécifique au sport sur le terrain complète.
•    T-Test (test de course) < 11s  

L’intérêt de l’utilisation d’une batterie de test est une nouvelle fois décrit par A Gokeler et al. en 2017 dans Knee Surgery Sports Traumatolgy Arthroscopie, qui montrent que les sujets à 6 mois post-opératoire qui passent une batterie de tests incluant des tests isocinétiques ainsi que des tests de saut ont pour la plupart besoin de réhabilitation additionnel.

L’intérêt des tests de RTP à 6 mois est confirmé par Nawasreh, Snyder-Mackler et al. en 2019 dans le British Journal of Sport Medicine qui nous montre qu’une batterie de tests à 6 mois post-opératoire incluant le time hop test de 6 mètres, le single hop test et le triple hop test en utilisant le LSI (Limb Symmetry Index), permet de prédire le RTP à 12 mois au même niveau d’intensité. Les auteurs expliquent également que les tests de sauts ont une valeur prédictive fiable des résultats du RTP à 12 et 24 mois post-opératoire. 

Enfin, très récemment en 2019, Webster et al. dans Sports Medicine et après révision critique de la méthodologie de l’étude par JJ Capin et al. démontrent que les sujets qui réussissent les batteries de test de RTP ont :

(1) un risque moins important d’autres pathologies du genou,
(2) un risque plus faible d’une autre lésion du LCA,
(3) un risque plus faible de rupture de la greffe, comparativement aux sujets qui ne valident pas la batterie de test.
Un dernier élément important doit nous alerter.


Nous avions publié en 2018 un article sur les perturbations de la qualité de mouvement après chirurgie du LCA.
En effet, Welling et al. dans Knee Surgery en 2018 publiaient une étude sur les altérations du mouvement chez les sujets ACL-R lors d’un test de saut sur une jambe (Single Leg Hop Test – SLH). L'objectif était de conduire une analyse qualitative d'un SLH chez des sujets après chirurgie de reconstruction avec une méthode clinique simple grâce à l’utilisation de l’analyse vidéo en 2-D. L’étude avait aussi pour but de comparer la possible différence dans le pattern de mouvement entre les sujets hommes et femmes. Soixante cinq patients ont réalisé un SLH test à 6.8+/-1.0 mois après chirurgie du LCA. Une analyse vidéo dans le plan sagittal et frontal a été faite durant le SLH (Figure 1 ci-dessous). La flexion de genou au contact initial au sol (IC), le pic de flexion de genou, et l'amplitude de flexion de genou, ainsi que le valgus de genou ont été calculé. De plus, le calcul du LSI a été réalisé. 

 L'analyse du mouvement révèle que les sujets ont une diminution de la flexion de genou au contact initial au sol, ainsi qu’une diminution du pic de flexion de genou et l'amplitude de flexion de genou, lors d'un SLH sur le côté lésé comparativement au côté sain.

Malgré un LSI > 90%, l'étude montre que les sujets ACL-R montrent un pattern de mouvement altéré sur la jambe lésée comparativement au côté sain. 

Il est donc de mise d'être très prudent sur le fait de compter uniquement sur le score LSI pour déterminer la capacité au RTS. 

Pour conclure, l'étude montre que 60% des patients qui avaient un score LSI > 90% pour le SLH avaient malgré tout un pattern de mouvement altéré.   La même conclusion sur les limites de l’évaluation seule de la distance de saut est émise par Kotsifaki et al. en 2019 (Measuring only hop distance during single leg hop testing is insufficient to detect deficits in knee function after ACL reconstruction- a systematic review and metaanalysis) dans une revue de littérature et méta-analyse. En effet, les auteurs expliquent qu’il existe une différence de cinétique et de cinématique de la jambe atteinte après chirurgie du LCA (figure ci-dessous), malgré des performances similaires au SLH.

On remarque une similarité de conclusion dans les études King et Franklyn-Miller en 2019 (Whole body biomechanical differences between limbs exist 9 months after ACL reconstruction across jump/landing tasks) qui montre qu’il persiste des déficits biomécaniques (genou, cheville) à 9 mois post-opératoire sur les tests de sauts (DLDJ : double leg drop jump, SLDJ : single leg drop jump, SLHD : single leg hop for distance, HH : Hurdle Hop), les sujets essayant de façon inconsciente de rapprocher leur centre de masse du genou pour diminuer le travail de quadriceps, suggérant ainsi une réhabilitation insuffisante à 9 mois post-opératoire.

L'étude démontre aussi que le SLDJ permet de mieux identifier les déficits de hauteur et de longueur de saut que le SLHD. Le SLHD pourrait surestimer le statut de réhabilitation.
Cette étude montre donc l'importance d'inclure une analyse de la biomécanique lors de la phase d'appui pendant l'évaluation des tests de saut après ACLR.

L’ensemble de ces informations sur le RTP après chirurgie du LCA nous permet de dire qu’il est nécessaire d’intégrer une batterie de test pour valider le RTP post lésion du LCA, mais aussi qu’il est important d’avoir une démarche systématisée pour éviter que la notion de temps ou de sensation soient les seules à guider le patient et le professionnel de santé. Comme nous l’avons décrit, il sera prépondérant d’intégrer la notion de qualité du mouvement dans les tests de RTP. 
Le travail sur le sujet semble encore long pour arriver à un consensus, mais le défi s’avère passionnant. Nous espérons par les échanges qui vont se créer entre les différents spécialistes lors du Symposium Kinesport en Janvier 2020 pouvoir avancer sur ce thème important pour l’ensemble des professionnels.

​Place du cerveau dans la prévention/prise en charge du LCA

Le dernier sujet que nous allons aborder lors de cette 400ème speed meeting est le l’impact de la lésion du LCA sur le système nerveux central (SNC). Nous transmettons les informations sur ce sujet depuis bientôt 3 ans, car il nous paraît prépondérant de considérer les adaptations du SNC après lésion du LCA. Notre objectif est de favoriser l’innovation en réhabilitation pour optimiser la prise en charge en kinésithérapie.

Déjà en 1996, Valeriani et al. décrivaient dans une étude à l’électro-encéphalogramme (EEG) une absence de stimulation du cortex somato-sensoriel (aire corticale péronière P27) sans anormalité au niveau périphérique (N14), ce qui indiquait une modification corticale somato-sensorielle en lien avec les mesures cliniques des erreurs du sens de position articulaire après lésion du LCA. Les mêmes auteurs décrivaient que ces déficits somato-sensoriels n’étaient pas résolus après chirurgie.
Les études récentes montrent également les anormalités corticales qui suivent la lésion du LCA, suggérant qu’il existe bien un déficit de transmission des informations sensorielles en direction du cortex à partir du genou lésé.
La persistance de cette altération malgré la chirurgie et réhabilitation est un point fondamental à considérer.
Ces perturbations au niveau du cortex somato-sensoriel entrainent une altération de la perception proprioceptive, ce qui rend les sujets plus susceptibles au risque de lésion et de récidive.

Les techniques d’imagerie modernes comme l’imagerie de  diffusion ou l’IRM fonctionnelle (IRMf) offrent une résolution spatiale supérieure à l’EEG et à la Stimulation Magnétique Tans-crânienne (TMS), capables de  capturer le cerveau entier et une aire cérébrale très petite.
L’IMRf par exemple, permet de visualiser les changements hémodynamiques qui se produisent dans le cerveau en entier en quantifiant les réponses hémodynamiques (HRF) depuis le niveau des réactions d’oxygénation cérébrales (BOLD).
Après lésion du LCA, on remarque une augmentation de l’activation des aires motrices primaires et de planification, alors que l’activation cérébelleuse diminue. Ces modifications confirment l’utilisation de nouvelles stratégies d’apprentissage pour viser spécifiquement les aires neurales considérées.

En 2016, Grooms et al. ont réalisé une étude qui avait pour objectif d’investiguer les différences d’activation du cerveau durant des flexions/extensions du genou chez des sujets après reconstruction du LCA, comparativement à des sujets contrôles.
Les résultats indiquent que les sujets ayant subi une ACL-R ont une augmentation de l’activation du cortex moteur controlatéral, du gyrus lingual (structure en lien avec le processus visuel, encodage de la mémoire visuelle) et des aires somato-sensorielles secondaires  homolatérales.

Ces derniers (ACL-R) ont de manière concomitante une diminution d’activation du cortex moteur homolatéral et du cervelet comparativement aux sujets du groupe contrôle. Cette étude montre que l’activation cérébrale est altérée lors de la flexion/extension chez les sujets après une ACL-R. 
Le profil d’activation des sujets après ACL-R indique un transfert vers une stratégie visuo-motrice et non sensori-motrice pour réaliser des mouvements du genou.

Cette réorganisation fonctionnelle du cortex va forcer les aires sensori-motrices secondaires à augmenter leurs contributions au pattern de mouvement normal. Ce processus altère la proprioception, le contrôle postural, la force ainsi que contrôle neuromusculaire. Ceci réduit potentiellement l’habileté du système nerveux à répondre et réagir de façon efficace aux actions non anticipées et aux charges répétées sur l’articulation. Ces modifications sensorielles et motrices augmentent le risque de lésion de récidive.

La dépendance visuo-motrice très bien décrite par les études de Grooms doit nous faire repenser notre façon de concevoir les exercices en réhabilitation. Comme le décrit très bien A Gokeler et al. l’utilisation de focus externe vs focus interne pour l’apprentissage moteur permet au sujet de mieux intégrer le mouvement de le transférer de manière beaucoup plus efficace dans une tâche motrice complexe. 

L’utilisation de lunettes stroboscopiques pour contraindre la prise d’information visuelle permettra au sujet d’utiliser à nouveau des stratégies motrices sensori-proprioceptives et non seulement visuo-sensori-motrices. La réalité virtuelle pour contextualiser les exercices thérapeutiques est également une innovation qui servira au kinésithérapeute dans l’avenir, pour permettre au patient/sportif de développer des circuits neuronaux compétents de manière précoce lors de la réhabilitation.

L’analyse des connexions fonctionnelles du cerveau fait partie des éléments d’avenir que ce soit dans l’optique de faire évoluer nos prises en charge et d’intégrer des innovations technologiques qui nous permettront d’impacter le cerveau (lunettes stroboscopiques, biofeedback, feedback en temps réel, réalité virtuelle, stratégie d’apprentissage moteur), mais aussi dans la volonté de déterminer des profils à risque.

En effet, en 2018 Diekfuss et al. ont évalué grâce à l’IRMf la connectivité cérébrale au repos avant saison chez des joueuses de football US professionnelles universitaires. Deux de ces athlètes ont eu une lésion du LCA par la suite (ACLI). Les auteurs ont comparé ces sujets (ACLI) avec 8 coéquipières qui n'ont pas subi de ACLI (Con). La comparaison étant basée sur l'âge, la qualité, le sexe, la taille et le poids, pour examiner les différences des connectivités en pré-saison. Les régions d'intérêt motrices du genou (ROIs) ont été créées à partir de données préalablement publiées à partir desquelles 5 aires spécifiques ont été sélectionnées comme échantillon pour l'analyse. On retrouve une connectivité significativement meilleure entre le cortex sensoriel primaire gauche (région du cerveau responsable de la proprioception) et la région postérieure droite du cervelet (une région du cerveau responsable de l'équilibre et de la coordination) pour le groupe Con relativement aux sujets ACLI.

Pour conclure, ces données préliminaires indiquent que les sujets qui ne déclareront pas de lésion du LCA (ACLI) montrent des connections fonctionnelles plus fortes entre une région corticale sensori-motrice et une région du cervelet responsable de l'équilibre et de la coordination. Les auteurs expliquent que ces conclusions peuvent aider à guider le développement d'entrainement biofeedback conduit par le cerveau pour promouvoir et optimiser la neuroplasicité adaptative pour réduire les erreurs de coordination et le risque de blessure. 

Nous vous proposons une infographie qui fait la synthèse d’un des derniers articles de Dustin Grooms sur les altérations de la connectivité fonctionnelle du cerveau comme élément contributeur de la lésion du LCA chez le joueur de football masculin. Un nouvel article qui nous montre l’intérêt dans l’avenir de considérer les neurosciences en prévention des lésions du LCA, même si de nombreuses recherches seront nécessaires pour valider ces intentions.
Dustin Grooms que nous aurons le plaisir de compter parmi nous lors de notre Symposium et qui viendra présenter ses travaux et avancées sur l’implication des neurosciences dans la prévention et la réhabilitation du LCA.

CONCLUSION

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Pour conclure cette 400ème publication, nous espérons avoir pu partager notre vision sur le LCA, c’est à dire une approche pluridisciplinaire, basée sur l’échange avec les différents intervenants auprès du patient/sportif.
Selon nous, il semble nécessaire que le kinésithérapeute puisse se placer dans ce continuum dès la phase post-opératoire, jusqu’au RTP. Pour cela, nous devons continuer à échanger avec nos confrères chirurgiens et médecins, mais nous devons également devenir de plus en plus experts dans notre démarche de réhabilitation, en limitant les implications du hasard.
C’est dans cette démarche d’expertise que s’inscrit notre Symposium Kinesport qui aura lieu à Paris en Janvier 2020. Au regard des différents intervenants qui seront présents, nous espérons vivement montrer notre implication dans la recherche de l’expertise et de valorisation de la profession. 

Germain Saniel