L'extensibilité et les amplitudes articulaires (AA) sont des facteurs importants pour les performances sportives, particulièrement chez des individus avec des douleurs musculo-squelettiques. L'extensibilité accroît la capacité à réaliser des activités fonctionnelles normales, permettant d'améliorer la forme, la force (la capacité à en générer), l'endurance et le bien-être psychologique. Le stretching est considéré comme améliorant l'extensibilité musculaire [1] et la tolérance à l'étirement [2,3,4], résultant en l'amélioration des AA, du mouvement et de la fonction. Inversement, même une légère perte d'extensibilité peut limiter les activités sportives et athlétiques. Les AA du genou ont un intérêt particulier du fait de leur influence sur la marche fonctionnelle, l'efficacité du mouvement et les performances sportives. Si les AA du genou sont limitées à cause de contraintes neurogènes (contrôles volontaire et réflexe) ou myogéniques (impliquant les propriétés actives et passives du muscle), elles peuvent être influencées par les techniques de stretching.
Plusieurs praticiens utilisent des combinaisons variées de paramètres d'étirement lorsqu'ils éduquent leurs patients aux étirements des ischio-jambiers (IJ) pour améliorer l'AA en extension du genou, en se basant souvent sur des résultats de recherches. Deux paramètres, le nombre de répétitions et la durée de chaque répétition, ont été exploités pour déterminer les manières les plus efficaces d'amélioration des AA [5,6,7,8]. Le nombre de répétitions souvent utilisé en stretching est compris entre 1 et 10. Dans bon nombre d'études, chaque étirement dure souvent entre 5 et 120 secondes et peut même aller jusqu'à 30 minutes.
Le propos de cette étude [9], parue dans le numéro de mai de Physical Therapy in Sports, est de déterminer si un temps constant de maintien d'un étirement selon des durées différentes et un nombre de répétitions différent pendant une période 6 semaines produit des changements différents d'AA en extension du genou, dépendant des IJ. En se basant sur les résultats de précédentes études [5,6], les auteurs ont émis l'hypothèse d'une part qu'un étirement de 3 fois 30 secondes améliorerait davantage l'AA d'extension du genou qu'un étirement de 9 fois 10 secondes, et d'autre part que les deux groupes bénéficiant d'étirements présenteraient une plus grande amélioration du mouvement articulaire que dans le groupe sans étirements.
METHODES
49 volontaires ont été qualifiés et ont commencé l'étude (âge 22 ± 4,4 ans) et seuls 34 ont réalisé l'étude. 15 participants n'ont pas terminé l'étude à cause d'un non respect du protocole proposé. Les sujets ont été inclus dans l'étude s'ils présentaient une raideur des IJ, déterminée par une perte d'au moins 30° d'extension du genou en position décubitus avec la hanche à 90° de flexion. Ils ne devaient pas avoir d'antécédent de blessure aux membres inférieurs (MI) dans les 6 derniers mois et de ne pas avoir de grossesse en cours ou prévue dans les 6 mois. Il a été demandé aux sujets de maintenir leur niveau d'activité habituel et de ne pas commencer de nouveaux exercices ou de nouveaux modes d'étirements. Les sujets ont été assignés en trois groupes :
- un groupe contrôle (10 au départ, 8 au final),
- un groupe avec 3 répétitions de 30 secondes d'étirements (20 au départ, 12 au final),
- un groupe avec 9 répétitions de 10 secondes d'étirements (19 au départ, 14 au final).
Mesure de l'AA d'extension du genou
Les mesures avant et après étirement ont été prises sur les deux MI. Les mesures à la base ont été prises un jour avant le début de l'étude. Les mesures d'extensibilité des IJ ont été réalisées par le test d'extension passive du genou, sujet en position décubitus. Le MI controlatéral était étendu et maintenu fermement sur la table par une sangle, alors que le MI mesuré était amené en flexion de hanche à 90°. Une marque était faite sur la cuisse controlatérale pour la faire correspondre avec une marque sur la table, afin d'assurer un positionnement constant sur la table lors des mesures répétées à la fin de l'étude. Un inclinomètre était maintenu sur la crête tibiale des sujets, au niveau de l'extrémité distale de la tubérosité tibiale. Pour maintenir 90° de flexion de hanche, la cuisse touchait une barre transversale intégrée à la table. Ensuite l'examinateur étendait passivement le genou jusqu'à ce que le sujet signale une sensation de "léger inconfort". Les mesures post-étirement ont suivi le même protocole et ont été réalisées 2 jours après le dernier jour de traitement. Toutes les mesures ont été prises par le même individu, un kinésithérapeute, en aveugle de l'assignation des groupes. La fiabilité du praticien pour cette méthode a été déterminée par l'utilisation d'un Coefficient de Corrélation Intraclasse (CCI3,1) avant l'étude, montrant un haut niveau de fiabilité (CCI3,1 = 1,96). Les mesures ont été enregistrées en degrés.
Protocole d'étirement
Les deux groupes traités ont bénéficié d'étirement de 90 secondes par session. Tous les sujets ont été étirés passivement 6 jours par semaine pendant 6 semaines par une personne entraînée aux étirements. Les sujets étaient en décubitus et devaient garder leur dos bien à plat tout au long de l'étirement. L'une des hanches était fléchie à 90° avec le genou également fléchi à 90°. Le genou était ensuite tendu davantage jusqu'à la sensation de "léger inconfort" aux IJ, et la position était alors maintenue pendant la durée spécifique. Après chaque répétition, le genou était relâché voire plié afin de laisser le patient en position confortable pendant 10 secondes avant la prochaine répétition. Cela était répété à l'autre MI, les deux MI ont ainsi reçu les étirements d'après le protocole décrit. Les sujets étaient étirés 3 fois au laboratoire et 3 fois à la maison par des surveillants entraînés à cette procédure de stretching. Le groupe contrôlé était quant à lui allongé en décubitus avec un traversin sous les genoux pendant 180 secondes, pendant leur "session d'étirement". Un journal de suivi des étirements a été rempli par tous les participants afin d'encourager leur adhésion au protocole d'étude.
Analyse des données
Des statistiques descriptives ont été calculées pour toutes les variables dépendantes et pour les données démographiques des participants. Une analyse de covariance (ANCOVA) à 3 (groupe) x 2 (temps) a été utilisée pour analyser les changements d'AA avec l'AA initiale en tant que covariable. Le niveau de signification statistique a été établi à p < 0,05.
RESULTATS
Il n'y a pas eu de différence entre les groupes en terme d'AA d'extension de genou avant traitement pour chaque MI (MI droit p = 0,89 ; MI gauche p = 0,76). Il n'y a pas eu non plus de différence entre les MI droit et gauche au sein de chaque groupe (p > 0,7).
Il y a eu un effet moyen significatif sur la différence d'AA en extension de genou entre les groupes pour les deux MI après la période de traitement (MI droit F = 19,9, p < 0,001 ; MI gauche F = 25,4, p < 0,001). L'analyse post-hoc a montré que la différence significative était entre le groupe contrôle et les deux groupes expérimentaux (p < 0,001). Il n'y a pas eu de différence d'augmentation des AA entre les deux groupes avec stretching (p = 0,84). Il n'y avait pas de différence intra-groupe entre les deux MI lors des tests initiaux (p = 0,7) ou pour les mesures post-test dans aucun des groupes (post-test p = 0,9).
DISCUSSION
D'après les résultats, il apparaît que la durée totale d'étirement est plus importante que le nombre de séries ou de répétitions. L'augmentation moyenne de 12° dans le groupe 3 x 10 secondes et celle de 13,4° dans le groupe 9 x 10 secondes sont comparables à de nombreuses autres études utilisant un protocole similaire d'étirement sur 6 semaines. Les deux groupes de l'étude se sont donc étirés pendant 90 secondes au total, montrant une amélioration statistiquement, voire même cliniquement significative en intra-groupe d'extension du genou de plus de 12°.
Alors que la durée d'étirement apparaît être importante, la durée optimale n'est pas encore établie et peut beaucoup varier en fonction des individus. Il semblerait qu'il existe notamment un effet en fonction de l'âge d'après certaines études.
Il ne peut cependant pas exister de protocole d'étirement universel qui permettrait une augmentation constante optimale des AA pour tous les individus, à cause des facteurs tels que la variation d'âge ou encore des caractéristiques différentes selon les tissus musculaires et tendineux.
Les théories expliquant pourquoi le stretching augmente l'extensibilité musculaire incluent : la déformation viscoélastique, l'augmentation du nombre de sarcomères en série, la déformation plastique, la relaxation neuromusculaire et la modification de la sensation (tolérance à l'étirement). Dans une revue de Weppler et al. de 2010 [10], les auteurs ont discuté sur les différents appuis de ces théories dans la littérature. Ils ont suggéré que certaines d'entre elles n'apparaissent pas être fortement supportées par la recherche, et qu'elles restent ainsi des sujets de débat (cela concerne les théories de déformation plastique, de relaxation neuromusculaire et d'augmentation des sarcomères en série).
Des différentes théories sur la raison de l'augmentation des AA associée au stretching, une altération de la sensation de perception ou de la tolérance à l'étirement apparaît être celle la plus supportée dans la littérature.
La méthodologie ici employée ne permet pas une évaluation directe du changement de perception du participant, car il n'y a pas eu de mesure de la force utilisée lors de l'évaluation des AA, de même qu'il n'y a pas eu de standardisation formelle de la force à utiliser pour tendre le genou lors de la mesure des AA.
Les mesures post-test ont été réalisées au moins 24h après réalisation du protocole de stretching, au maximum à 48h, et ce afin d'éviter l'effet immédiat de la déformation viscoélastique sur l'AA.
CONCLUSION
L'étirement des IJ pendant 6 semaines pendant une durée totale de 90 secondes montre des augmentations d'AA du genou chez des jeunes participants sans égard au nombre de répétitions ou à la durée de chaque étirement individuel. D'après d'autres recherches, le changement de tolérance à l'étirement semble être le facteur primaire dans l'augmentation observée de l'AA d'extension du genou. Les praticiens peuvent utiliser plusieurs combinaisons de nombre et de durée de répétitions d'étirement pour améliorer l'extensibilité musculaire à condition que le temps total d'étirement soit considéré.
Bibliographie :
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