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L’exercice physique pour la prévention et le traitement des lombalgies, des douleurs de la ceinture pelvienne et lombo-pelvienne pendant la grossesse : une revue systémique et méta-analyse



RESUME
Cette revue systématique et méta-analyse porte sur 32 études soit 52 297 femmes enceintes. L’exercice physique prénatal a permis de diminuer la gravité de la lombalgie, de la douleur pelvienne et lombo-pelvienne mais ne diminue pas le risque d’apparition de ces pathologies pendant et après la grossesse comparativement à l’absence d’exercice.

INTRODUCTION
 
Environ 50% des femmes ont une douleur lombaire (Low Back Pain = LBP) ou pelvienne (Pelvic Girdle Pain = PGP) pendant la grossesse et 25% continuent à la ressentir un an après l’accouchement. Une étude de suivi sur 10 ans a révélée qu’une femme sur 10, présentant une douleur de la ceinture pelvienne pendant la grossesse, a des conséquences sévères pouvant aller jusqu’à 11 ans après l’accouchement.
La LBP est définie comme une douleur ou inconfort située entre la 12ème côte et le pli fessier, tandis que la PGP est localisée entre la crête iliaque postérieure et le pli fessier, en particulier au voisinage des articulations sacro-iliaques. La concomitance de LBP et PGP est dénommée douleurs lombo-pelviennes (LBPP). Elle impose une répercussion plus lourde en ce qui concerne la qualité de vie et les activités de la vie quotidiennes (AVQ) : perturbation du sommeil, de la vie sociale et sexuelle, de la capacité de travail et stress psychologique accru. Ce n’est donc pas surprenant que les femmes enceintes souffrant de PGP sont moins susceptibles de faire de l'exercice physique régulier pendant la grossesse.
Dans la population générale, des preuves de qualité « modérée » suggèrent que l'exercice a un petit effet positif sur la sévérité de la lombalgie par rapport aux soins habituels. De plus, l’exercice peut facilement être gérer en autonomie, effectuer à la maison et ne nécessite qu’un équipement minimal.
Les précédentes directives nationales et internationales ont approuvé les avantages de l’exercice pendant la grossesse en termes de condition physique, de bien-être général et de diminution du risque de développer des complications.
Les directives européennes pour le diagnostic et le traitement de la PGP, publiées en 2008, ont été les premières à mentionner que l'exercice devrait être recommandé pour les femmes enceintes, en mettant l’accent sur les AVQ et la correction des gestes potentiellement pathogènes. La revue Cochrane publiée en 2015 par Liddle et al. soutient cette recommandation. Elle conclue que l’exercice peut réduire la lombalgie liée à la grossesse. Cependant, la recherche est encore nécessaire parce que leurs conclusions, basées sur un nombre limité d'essais contrôlés randomisés (ECR), contiennent notamment des preuves de « faible qualité ».
La présente revue systématique et la méta-analyse sont réalisées dans le cadre de l'élaboration de la ligne directrice canadienne de 2019 sur l'activité physique pendant la grossesse. Le but de cette étude est d'examiner l'effet de l'exercice pré-natal sur les LBP, PGP et LBPP maternelles pendant la grossesse et dans la période post-partum.
 

METHODE
 
En octobre 2015, un groupe de réflexion transdisciplinaire s'est réuni pour identifier les résultats importants afin d’élaborer des lignes directrices.
Deux revues systématiques ont été entreprises pour étudier l'impact de l'exercice prénatal sur la santé fœtale et maternelle.
Les relations entre l'exercice prénatal et la prévalence ou la gravité de LBP, PGP ou LBPP maternels sont principalement examinées dans des études liées à la santé maternelle.
Cet article a suivi les participants et analysé les interventions, les comparaisons, les résultats et le cadre de conception des études.
La population cible fut les femmes enceintes sans contre-indications absolues ou relatives à l’activité physique.
L’activité physique pouvait être ponctuelle ou habituelle, seule ou combinée à d’autres interventions, de fréquence, d’intensité, de durée, de volume et de type variable. La mesure fut subjective ou objective.
L'exercice ou l'activité physique a été défini comme tout mouvement corporel généré par les muscles squelettiques entraînant une dépense énergétique supérieure au niveau de repos.
Les résultats pertinents étaient la prévalence et la gravité de la LBP, PGP ou LBPP pendant la grossesse et la période post-partum (jusqu'à 1 an après l'accouchement).
Tous les modèles d’étude étaient éligibles à l’inclusion, à l'exception des études de cas, des synthèses narratives et des revues systématiques.Les sources d'informations sont issues de bases de données type MEDLINE, COCHRANE, etc. jusqu’à janvier 2017.
Les titres, les résumés et le texte intégral de tous les articles compilés ont été indépendamment analysés par deux examinateurs.  
Pour les études où au moins un examinateur a recommandé l’exclusion, une décision finale concernant l'inclusion / exclusion a été décidé par consensus.
Des tables d'extraction ont été créées pour récupérer les données pertinentes de toutes les publications.
Toutes les études (ECR, études et études observationnelles) ont été évaluées pour déterminer le niveau de qualité de preuve et les sources de biais.
L’analyse statistique (méta-analyse) et la synthèse narrative ont été réalisées selon un modèle scientifique décrit dans l’article original.
L’exercice physique pour la prévention et le traitement des lombalgies, des douleurs de la ceinture pelvienne et lombo-pelvienne pendant la grossesse : une revue systémique et méta-analyse

RESULTATS
Au total, 32 études (n = 52 297 femmes) provenant de 14 pays sur quatre continents (Asie, Europe, Amériques et Afrique) ont été incluses. Il y avait 23 ECR (dont 13 « exercices isolés » et 10 « exercices + co-interventions », 5 examens non randomisées, 3 études de cohorte et une étude cas-témoin. Les co-interventions consistaient en une éducation à la grossesse, y compris le rôle des muscles du plancher pelvien pendant la grossesse et le post-partum, à l’anatomie et la physiologie des changements survenant pendant la grossesse, à la nutrition, aux stratégies de prévention et de gestion de la douleur non-médicamenteuse, à l’accouchement et à l’ergonomie. Les composantes de l’activité physique étaient le yoga, les exercices aérobies, le renforcement musculaire analytique et/ou global et la combinaison d’entraînement aérobie et de musculation. La majorité des interventions ont commencées au cours du deuxième trimestre de la grossesse et la plupart se terminaient à la fin du troisième trimestre
La fréquence des exercices variait de 1 à 14 fois par semaine, la durée de 20 à 75 minutes par session et l'intensité de faible à vigoureux.

Risques de LBP, PGP et LBPP pendant la grossesse
Des preuves de qualité « très faibles » ont été obtenues de 13 ECR (n = 2253) en ce qui concerne l'association entre l'exercice prénatal et les risques d’apparition de LBP, PGP ou LBPP pendant la grossesse. La qualité des preuves est passée de « élevée » à « très faible » en raison du risque sérieux de biais. Dans l'ensemble, l'exercice prénatal n'était pas associé à une diminution du risque de douleur pendant la grossesse par rapport à l’absence d'exercice (estimation globale basée sur 12 ECR, n = 1987; ou 0,78, IC à 95% 0,6, 1,02, I2 = 22%) (figure 2). Une étude de Granath et al., non incluse dans le méta-analyse, a indiqué que les femmes participant à des exercices aquatiques (n = 132) étaient moins susceptibles de signaler une lombalgie pendant la grossesse (p = 0,04) par rapport à celles qui pratiquent des exercices au sol (n = 134). Cependant, le taux de PGP n’est pas diffèrent entre les deux groupes.
Analyse de sensibilité :
L’estimation groupée pour les interventions portant sur les exercices isolés n’est pas significativement différente des groupes « exercice + co-interventions » (p = 0,24). Des preuves de très basse qualité montrent que l'exercice seul n'a pas réduit les risques de LBPP pendant la grossesse (6 études, N=343) (figure 2). Des résultats similaires ont été trouvés pour les groupes « exercice et co-interventions » (figure 2).
L’exercice physique pour la prévention et le traitement des lombalgies, des douleurs de la ceinture pelvienne et lombo-pelvienne pendant la grossesse : une revue systémique et méta-analyse

Gravité des symptômes de LBP, PGP et LBPP pendant la grossesse
Nous retrouvons des preuves de qualité « très faible » dans 14 ECR (n = 1188) indiquant une association inverse entre l'exercice prénatal et la gravité des différents types de douleur (LBP, PGP ou LBPP).
Quatre ECR supplémentaires non incluses dans la méta-analyse, en raison de l’absence d’un groupe contrôle ou d’une communication incomplète des données, ont également indiqué que l'exercice prénatal était associé à une gravité moindre des douleurs (LBP, PGP ou LBPP). Un essai supérieur mené par Peterson et al. (n = 22)  lors de courtes périodes de renforcement et d'exercices d'inclinaison du bassin, effectué cinq fois par semaine, diminuait la gravité de la lombalgie tout comme une technique neuro-émotionnelle (n = 20) ainsi qu’une manipulation de la colonne vertébrale (n = 15). Bien que cliniquement significative, la diminution est statistiquement non significative. Kilhstrand et al. ont rapporté que 30 minutes d’aquagym (groupe d'intervention, n = 129) effectuées une fois par semaine dans la seconde moitié de la grossesse réduit l’intensité de la lombalgie au cours de la 31ème semaine, ainsi qu'entre les 33ème et 38ème semaines de gestation comparativement à l’absence d’exercice (groupe témoin, n = 128). Kluge et al. ont indiqué que l’association d’une évaluation supervisée et de séance d’exercice à domicile (n = 26) pendant 10 semaines, diminue la sévérité de la lombalgie par rapport à l’absence d’exercice (n = 24).
 
L’exercice physique pour la prévention et le traitement des lombalgies, des douleurs de la ceinture pelvienne et lombo-pelvienne pendant la grossesse : une revue systémique et méta-analyse

Enfin, un essai de supériorité réalisé par Gupta et al. a signalé une plus grande amélioration des symptômes de la lombalgie chez les femmes qui ont effectué des exercices et de la physiothérapie (n = 20) par rapport à celles qui ont fait uniquement de la physiothérapie (n = 20).
Analyse de sensibilité
L’estimation groupée pour les interventions portant uniquement sur l’exercice n’a pas significativement de différence par rapport à l'exercice et co-interventions (p = 0,05). Plus précisément, il y avait des preuves de très faible qualité de huit ECR indiquant que l’exercice réduit la gravité de la lombalgie pendant la grossesse. En revanche, la qualité de preuve était « très basse » pour six ECR rapportant que l'exercice + les co-interventions n'ont pas réduit la gravité des LBP, PGP ou LBPP pendant la grossesse.

Probabilités de LBP, PGP et LBPP pendant la période post-partum
Trois ECR de « faible qualité » de preuve (n = 491), n’indiquent pas d'association entre l'exercice prénatal et la prévalence de douleur (LBP, PGP ou LBPP) pendant la période post-partum (OR 0,89, IC 95% 0,51, 1,56, I2 = 27%) (figure 4).
Analyse de sensibilité :
L’estimation groupée pour les interventions portant uniquement sur l’exercice ne fut pas significativement différent de l’estimation globale pour les groupes exercice + co-interventions (p = 0,70). Il y avait une qualité «faible» à «modérée» de preuve que l’exercice seul ou associé à d’autres interventions ait modifié le risque d’apparition de douleur post-partum (LBP, PGP ou LBPP)
 
Gravité des symptômes de LBP, PGP et LBPP au cours de la période post-partum
Un ECR de « faible qualité » de preuve, rapporté de manière narrative (données incomplètes), montrent que 30 min d'aérobie aquatique réalisées une fois par semaine (n = 129), dans la seconde moitié de la grossesse, réduit la gravité de la lombalgie dans la première semaine post-natale (P = 0,034) comparativement à l'absence d'exercice (n = 128).
 
En résumé, les résultats d’une analyse non randomisée et d’une étude de cohorte étaient en accord avec ceux des ECR précédents. Ils ont indiqué que l'exercice prénatal réalisé sous différente forme n'a pas réduit les risques de LBP, PGP ou LBPP pendant la grossesse ou au début du post-partum. De même, les résultats de quatre interventions non randomisées étaient en accord avec ceux des ECR et montraient une diminution de la sévérité de la lombalgie, de la PGP ou de la lombalgie (groupe exercice vs groupe absence d’exercice).

DISCUSSION
La présente revue systématique et méta-analyse s'ajoutent aux travaux de Liddle et al. en incluant trois nouveaux ECR (n = 293), des interventions non randomisées et des études observationnelles. De plus, les effets de l'exercice prénatal sur la prévalence et la gravité de la lombalgie maternelle, PGP et LBPP au cours de la période post-partum ont été évalués pour la première fois.
Similaire à la lombalgie non-spécifique dans la population générale, les facteurs de risque de LBP et de PGP liés à la grossesse sont supposés être multifactoriels (ex : augmentation de la laxité articulaire, déplacement du centre de gravité, augmentation de la charge axiale et modification vasculaire). La pathogenèse exacte reste incertaine. La nature complexe et imprévisible complique la prévention de l'apparition des premiers symptômes. Compte tenu de cette réalité, les directives européennes pour la prévention de la lombalgie (2008) recommandent que la prévention soit axée sur la réduction de l'impact des conséquences plutôt que sur les mécanismes déclenchants. En outre, une fois que la LBPP ou la PGP est apparue une première fois, il y a 85% fois plus de risque de développer une LBPP liée aux grossesses ultérieures. Cette information accentue le besoin de stratégies, fondées sur des preuves scientifiques, pour réduire la gravité de la douleur.
 
On estime que le changement d'intensité de la douleur des lombalgies non spécifiques est au moins de 15 à 20% grâce à l’activité physique. La lombalgie affecte plus de la moitié des femmes enceintes et est une pathologie d’autant plus affaiblissante lorsqu’elle est associée à l’invalidité, la dépression et une qualité de vie réduite. Par conséquent, le nombre de congé maladie est plus élevé pendant la grossesse. L’activité physique peut offrir une gestion autonome efficiente, dans le cadre d'une approche plurimodale, afin de diminuer la gravité des symptômes chez les femmes enceintes.
Les mécanismes par lesquels l'exercice réduit la gravité de la douleur restent floue. Il est suggéré que l’activité physique diminue les changements biomécaniques survenant pendant la grossesse. Ces modifications sont la diminution de la charge sur la colonne vertébrale, la stabilisation des articulations et la contribution à un meilleur alignement segmentaire statique et dynamique. D'un point de vue plus général, l’exercice peut aider à inverser le déséquilibre musculaire du tronc ou initier un processus de désensibilisation de la douleur.
Seules quatre études ont étudié l'effet de l'exercice prénatal sur la prévalence de la douleur après la grossesse, et une seule étude examine la gravité de la douleur dans la première semaine après l'accouchement. Malgré les preuves limitées, les résultats sont en faveur de l'exercice prénatal comme moyen de diminuer l'intensité de la douleur pendant la période post-partum. Cependant, étant donné que la PGP peut devenir handicapante lorsqu’elle persiste au-delà de l’accouchement, et considérant qu’une seule étude a évalué l’impact des exercices prénatals sur la douleur une semaine après la naissance, des études supplémentaires sont nécessaires pour examiner l'effet de l'exercice prénatal sur la gravité de la douleur pendant cette période.
Il convient de noter que les définitions utilisées par les auteurs pour classer LBP, PGP ou LBPP n’ont souvent pas été révélés. De même, les méthodes utilisées pour vérifier la présence de symptômes étaient diverses (subjectives ou objectives), ce qui a probablement entraîné une grande hétérogénéité des populations ou une mauvaise classification et une inclusion incorrecte de certaines femmes.
De plus, un petit nombre d’études ont fourni des résultats à partir de données conçus pour évaluer le handicap de la lombalgie plutôt que la douleur.
Malheureusement, à cause du manque d’information, des analyses de sous-groupes basées sur les caractéristiques des femmes, tels que les niveaux d'activité physique antérieure, l’IMC avant la grossesse ou antécédents de LBPP, n'ont pas pu être réalisées.
Enfin, la plupart des études incluses ont été affaiblies par les petites taille d’échantillon, le taux d'abandon élevé, le manque de conformité des exercices d’intervention et le peu d’information sur les co-interventions.
La méthodologie rigoureuse (GRADE) est un point fort de cette revue systématique. Quatorze pays de quatre continents étaient représentés dans les études. Les critères d'inclusion larges lui permettent d’être la plus complète à ce jour.
Toutefois, quand il n'était pas possible d’inclure les résultats dans une méta-analyse, ils ont été rapportés de manière narrative. De même, les chercheurs étaient également incapables d'identifier les points de rupture concernant les changements cliniquement significatifs dans les résultats d’étude. En conséquence, il est possible que les résultats aient été surestimé ou sous-estimé dans leur pertinence.

CONCLUSION

L’exercice initié pendant la grossesse n’est pas efficace pour diminuer la prévalence prénatale ou postnatale de la lombalgie, de la douleur pelvienne ou lombo-pelvienne.
En revanche, l’exercice prénatal a eu un large effet sur la diminution de la sévérité de la lombalgie, de la PGP et de la LBPP pendant la grossesse. Une étude a corroboré cette conclusion pour le post-partum, bien que d'autres n'aient montré aucune association.
D'autres recherches sont nécessaires pour identifier les meilleures modalités d’exercice, ainsi que la meilleure période pendant la grossesse pour initier l’activité physique, afin d’optimiser le traitement de la lombalgie maternelle, de la PGP et LBPP.

Davenport MH, Marchand AA, Mottola MF, Poitras VJ, Gray CE, Jaramillo Garcia A, Barrowman N, Sobierajski F, James M, Meah VL, Skow RJ, Riske L, Nuspl M, Nagpal TS, Courbalay A, Slater LG, Adamo KB, Davies GA, Barakat R, Ruchat SM
Br J Sports Med. 2019 Jan;53(2):90-98. doi: 10.1136/bjsports-2018-099400. Epub 2018 Oct 18.