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Intérêt du travail fonctionnel dans la phase aiguë après entorse de cheville



Le processus de rééducation/réhabilitation d’une pathologie sportive quel qu’il soit, doit se faire de manière raisonnée et cohérente.
Chaque étape de la rééducation doit être optimisée, pour permettre au patient/sportif un retour aux activités dans des conditions optimales. Le devoir du rééducateur sera donc d’orienter le patient/sportif tout au long de ce processus, sans négliger une seule étape, dans un contexte de rééducation/réhabilitation global.
Dans ce cadre là, l’optimisation de la phase aiguë post-traumatique doit servir de pilier à l’édifice rééducatif.

Nous savons que les blessures de récidives sont importantes en sport de haut niveau. Ces dernières représentent 12% du total des blessures en football professionnel, provoquant une absence significativement plus longue qu’une blessure initiale (24 vs 18 jours d’arrêt).
Nous savons également qu’il existe un lien étroit entre le bon monitoring de la phase aiguë post-lésionnelle lors d’une lésion musculaire, et la qualité de la cicatrisation qui s’en suit. Lorsque l’on sait que 16% des lésions musculaires en football sont des rechutes, nous pouvons légitimement nous poser la question de la bonne conduite de la cicatrisation, et donc de l’optimisation de la prise en charge de la phase aiguë.


Au niveau des entorses de cheville, nous constatons un taux de récidive plus important pour les entorses de Grade I et II, dites moins graves. On dénombre pas moins de 30% de récidive sur les entorses de Grade II. Nous pouvons là aussi, nous poser la question de l’optimisation de la phase aiguë lors de ce type de blessure. La notion d’instabilité de la cheville qui va suivre, pour plus de 30% des patients après entorse de cheville, nous oblige à optimiser dés la phase aiguë notre programme de rééducation.
Beaucoup de questions se posent au thérapeute sur la conduite à tenir lors de la phase aiguë, en particulier au niveau de la mise en place d’exercices fonctionnels et les délais de leur mise en application.


Pour potentialiser notre prise en charge, il nous paraît important d’appréhender la place que doit prendre la rééducation fonctionnelle lors de la phase aiguë après entorse de la cheville.

Une étude de Doherty et al. paru en 2015 dans le Journal of Athletic Training étudie le comportement cinématique et le centre de pression, de patients ayant subi une entorse externe de cheville récente, lors du Star Excursion Balance Test (SEBT).
Le SEBT est un test fonctionnel sur une jambe utilisé pour évaluer les instabilités externes de cheville. Ce test a été validé par plusieurs études scientifiques.
L’étude de Doherty compare un groupe de 81 participants qui représente le groupe LAS (LateralAnkleSprain) ayant subi une entorse externe de la cheville dans les 2 semaines, et un groupe contrôle de 19 participants, ne présentant aucune pathologie des membres inférieurs.
Les auteurs ont choisi pour l’étude les directions antérieure (ANT), postéro-médiale (PM) et postéro-latérale (PL) du SEBT (photo ci-dessous), ces dernières étant d’après Gribble et al. en 2012, les plus représentatives des déficits posturaux relatifs à une atteinte du membre inférieur. Pour rappel, le sujet devra aller chercher le plus loin possible dans chacune des directions, et ce, en gardant son équilibre avec un appui unipodal unique.

L’étude nous montre que les patients ayant subi une entorse externe de la cheville récente ont des scores significativement moins bons au SEBT dans les 3 directions (ANT, PM, PL).
Les auteurs concluent qu’il existe bien une détérioration fonctionnelle après entorse externe de la cheville.

Cependant, les conclusions ne s’arrêtent pas là, l’étude nous fait également remarquer qu’il existe un déficit identique au niveau de la jambe non-lésée. L’effet de cette détérioration fonctionnelle étant plus important dans les directions PM et PL que dans la direction ANT.

L’étude nous montre aussi qu’il existe une diminution des mouvements de flexion de la hanche, du genou et de la cheville dans le plan sagittal, chez les patients du groupe LAS, et ce tout autant sur la jambe lésée que non lésée


Cette dernière observation pourrait indiquer un changement dans les stratégies de contrôle postural que les sujets du groupe LAS utilisaient avec leur membre atteint.
La détérioration fonctionnelle au niveau de la jambe non lésée chez les sujets du groupe avec entorse externe de cheville, semble indiquer, comme bon nombre d’auteurs le décrive, qu’il existe une dysfonction au niveau des motoneurones gamma, responsable d’une modification des afférences sensorielles.

L’entorse externe de la cheville entrainerait donc une détérioration périphérique et centrale, où la modification des afférences sensorielles modifierait indirectement les stratégies motrices de contrôle postural.
L’étude conclut sur l’importance d’administrer un protocole de réhabilitation bilatéral après entorse aiguë de la cheville. L’accent devant être mis sur la fonction neuro-musculaire des segments distaux et proximaux de la chaîne musculaire.
 
L’intérêt de la mise en place d’une rééducation fonctionnelle précoce par la thérapie par l’exercice notamment, est confirmé par Verhagen et al. en 2010 dans le BJSM qui montre que le risque de récidive est diminué de 50% jusqu’à 2 ans post-lésionnel, chez les sujets ayant suivi ce type de rééducation dès la phase aiguë.

Même constat dans l’optique de l’optimisation de la phase aiguë, l’étude de Tully et al. en 2012 nous montre que la pratique d’exercices thérapeutiques dans la première semaine après entorse de la cheville, a un effet bénéfique sur la capacité de marche du patient, comparativement à la simple application de glace et d’une compression.

Cependant, les exercices de l’étude n’ont pas pour vocation de recréer le schéma moteur perdu indirectement par l’atteinte périphérique. En effet, ces derniers étaient non portants et se concentraient essentiellement sur l’amélioration de l’amplitude articulaire et la récupération de la force.
Nous pouvons tout de même pondérer cette démarche qui nous semble trop analytique, au regard des études de Palmieri en 2004 dans le BJSM qui nous montre que l’épanchement articulaire au niveau de la cheville après entorse de grade I et II entraîne une facilitation de la commande des motoneurones des muscles : soléaire, tibial antérieur et long fibulaire. La notion d’AMR (Arthrogenic Muscle Response) au niveau de la cheville étant de ce fait à ce jour différencié de la notion d’AMI (Arthrogenic Muscle Inhibition) présente elle au niveau du genou (inhibition du quadriceps consécutif à l’épanchement articulaire du genou).
 
Conclusion
 
Pour conclure, nous pouvons dire que le travail fonctionnel après entorse externe de la cheville doit être débuté le plus précocement possible lors de la phase aiguë.
Les études actuelles nous montrent que les déficits consécutifs à l’entorse externe de cheville ne se limitent pas au côté de la jambe lésée, mais touchent également le côté non atteint.
Les modifications des afférences sensorielles résultant de l’atteinte articulaire périphérique entraînent également un changement au niveau du pattern moteur mis en place.
Les changements cinématiques consécutifs au niveau des articulations sus-jacentes (hanche et genou) doivent nous faire prendre conscience de l’importance de la prise en charge globale de ce type de pathologie.
Une nouvelle fois, il nous paraît primordial de mettre en place des stratégies thérapeutiques d’emblée fonctionnelle, dans les limites du réalisable, pour limiter les conséquences néfastes des modifications motrices, pouvant par la suite vicier la gestuelle du patient/sportif.
De notre point de vue, le processus de rééducation/réhabilitation d’une entorse externe de la cheville doit suivre une progression rationnelle et cohérente, de la phase aiguë au retour sur le terrain, où le travail fonctionnel demeure une pierre angulaire.

L’objectif principal étant de limiter le risque de récidive et de potentialiser la rééducation du patient/sportif.
 
Germain Saniel
 
Article de référence : Doherty C. et al. LaboratoryMeasures of Postural Control During the Star Excursion Balance Test After Acute First-Time LateralAnkleSprain, Journal of Athletic Training 2015;50(1).

 
Bibliographie

 
1 - E A L M Verhagen, K Bay, Optimisinganklesprainprevention: a criticalreview and practicalappraisal of the literature, Br J Sports Med 2010;44:1082–1088.
2 – Tully A. et al. Functional management of anklesprains: what volume and intensity of walkingisundertaken in the first weekpostinjury, Br J Sports Med 2012;46:877–882.
3 - R M Palmieri et al. Arthrogenic muscle response to a simulatedankle joint effusion, Br J Sports Med 2004;38:26–30.
4 - Gribble PA, Hertel J, Denegar CR, Buckley WE. The effects offatigue and chronicankleinstability on dynamic postural control. JAthl Train. 2004;39(4):321–329.
5 - Wikstrom E, Naik S, Lodha N, Cauraugh J. Bilateral balance impairmentsafterlateralankle trauma: a systematicreview and meta-analysis. Gait Posture. 2010;31(4):407–414.
6 - Doherty C, Bleakley C, Hertel J, Caulfield B, Ryan J, Delahunt E.Balance failure in single limb stance due to anklespraininjury: an analysis of center of pressure using the fractal dimension method.Gait Posture. 2014;40(1):172–176.
7 – Lin CWC et al. Economicevaluations of diagnostic tests, treatment and prevention for lateralanklesprains: a systematicreview, Br J Sports Med 2013;47:1144–1149.