Les tendinopathies rotuliennes sont des blessures de surutilisation fréquentes dans les sports avec des exigences élevées en matière de développement de force explosive des extenseurs de la jambe. Cette pathologie est généralement appelée « genou du sauteur », dénomination proposée par Lian et al. [1].
La prévalence de « genou du sauteur » parmi les athlètes élites à travers 9 sports différents a été étroitement corrélée aux charges appliquées à l’appareil extenseur du genou. Le saut est une part intégrante des sports comme le volley-ball et le basket-ball, avec respectivement, 45% et 32% des joueurs touchés par ces tendinopathies. Le risque de développer le « genou du sauteur » est étroitement lié à deux paramètres du saut, à savoir le « combien ? » [2] et « à quelle hauteur ? » [3-7].
Chez les jeunes joueurs élites de volleyball, le risque de développer un genou du sauteur est augmenté par un facteur de 1,7 pour un entraînement d’une heure / semaine et de 3,9 pour un match supplémentaire dans la semaine [2].
Par ailleurs, les joueurs développant cette tendinopathie sautent 10% plus haut lors des tests de sauts que ceux ne la développant pas, spécificité appelée « le paradoxe du genou du sauteur » [3].
Cependant ces études n’ont pas pris en compte la fréquence des sauts mais seulement le nombre total des sauts lors des entraînements et des matchs.
Deux athlètes présenteront un nombre de sauts sensiblement différents durant une heure d’entraînement, même au sein d’une même équipe. Le sexe est également un autre facteur de risque pour le « genou du sauteur ». Des études réalisées dans des équipes norvégiennes de football et de handball ont montré que 2,5 fois plus de sportifs masculins développaient cette pathologie par rapport aux athlètes féminines pratiquant les mêmes sports [1]. Zwerver et al. [8] ont également trouvé un risque accru chez les hommes pour des athlètes amateurs hollandais de 7 sports différents. Visnes et al. [2,3] dans leurs études prospectives sur les joueurs de volley-ball élites, ont montré que les hommes avaient 4 fois plus de risques de développer une tendinopathie rotulienne que les femmes à charge de travail identique.
Fait intéressant dans ces études, il n’y avait que très peu voir aucune différence dans le volume total d’entraînement entre les sexes. Une explication possible à cette différence entre hommes et femmes vient de la tendance des hommes à sauter plus haut soumettant ainsi le tendon rotulien à des charges plus importantes [3]. Une autre explication pourrait être que les études ne se sont pas intéressées à la fréquence des sauts mais seulement au volume total.
Ainsi l’objectif de cette étude était d’examiner les liens entre fréquence des sauts et différences individuelles et de sexe chez des joueurs de volley élites durant les entraînements et les matchs.
METHODES
Les participants de cette étude étaient étudiants de 2ème et 3ème année dans le ToppVolleyNorge (TVN), programme de volley-ball. Le TVN combine un programme d’entraînement de haut niveau de volley-ball et un programme scolaire durant 3 ans. Les étudiants commencent à l’âge de 15-16 ans. Le TVN a pour objectif de recruter les joueurs juniors les plus talentueux de volley-ball en Norvège. En moyenne, l’école recrute 12 garçons et 12 filles pour an. 72 élèves suivent donc le programme chaque année.
L’équipe de l’école joue dans la deuxième plus haute division de la ligue nationale avec une équipe masculine et féminine jouant dans une compétition constituée de 6 à 8 équipes (matchs aller-retour d’octobre à mars) et participant durant la saison à 3 week-ends avec 16 à 20 équipes et 5 matchs à jouer par équipe. Les athlètes représentent également leurs clubs d’origine dans les ligues nationales norvégiennes et les compétitions juniors à différents niveaux.
Les joueurs sont divisés en 3 groupes pour les entraînements en fonction de leur classe. Une semaine classique d’entraînements est constituée de 2 à 3 séances de volley-ball le matin avant l’école et de 3 à 4 séances de volley-ball l’après-midi après l’école. Il arrive que certains entraînements soient communs à 2 ou 3 groupes. Le travail physique est quant à lui effectué de façon individuelle.
Les entraîneurs ont été invités à filmer l’ensemble des entraînements des étudiants de 2ème et 3ème année pendant 1 semaine. 5 vidéos des matchs de la division 2 ont également été analysées (pour l’équipe masculine et féminine).
Les vidéos ont été analysées et chaque saut a été recensé avec l’identité de l’athlète, la phase de jeu (service, réception, passe, bloc, attaque…), l’intensité du saut (sous-maximal ou maximal), la stratégie d’atterrissage (équilibre bipodal ou unipodal droite/gauche) et le poste habituel de chaque joueur.
Les joueurs ont été inclus dans une étude de cohorte prospective de 5 ans. Un suivi visant à rechercher des douleurs quadricipitales, des douleurs d’insertion du tendon patellaire et une sensibilité palpatoire correspondante à la zone douloureuse a été réalisé tous les 6 mois.
Pour chaque joueur, la fréquence et le nombre des sauts ont été calculés puis divisés par le nombre d’heures d’entraînement et le temps de jeu lors des matchs.
RESULTATS
Exposition lors des entraînements
L’enregistrement vidéo a été obtenu à partir de 9 entraînements pour les garçons et de 10 entraînements pour les filles représentant respectivement 14,1 heures et 17,8h d’entraînements.
Ces entraînements impliquaient 26 garçons dont 12 ayant déjà présenté une tendinopathie patellaire durant leur séjour au TVN et 18 filles dont une avec le genou du sauteur.
Le nombre total d’entraînements était de 108 pour les garçons et 98 pour les filles. Un total de 7805 saut a été enregistré pour les entraînements, 4993 pour les garçons et 2812 pour les filles.
La fréquence des sauts lors des entraînements était variable, entre 50 et 666 sauts par semaine pour les garçons et entre 11 et 251 sauts pour les filles. Cela correspondait en moyenne à 35,7 sauts/h pour les garçons et 13,7 sauts/h pour les filles.
Il n’y avait pas de différence de fréquence des sauts entre les garçons avec et sans « genou du sauteur ». Les auteurs ont observé une différence entre la fréquence des sauts et le poste des joueurs pour les garçons mais pas pour les filles.
Pour les garçons, 10,2% des sauts ont été classés comme petits sauts, 20,6% comme sous maximaux et 69,1% comme maximaux. Pour les filles, les chiffres correspondant étaient de 1,4%, 10,9% et 87,7%.
Pour les deux sexes, la majorité des réceptions se faisaient sur les 2 pieds (94,2% pour les garçons et 94,5% pour les filles).
Exposition lors des matchs
5 matchs pour chaque sexe ont été analysés, soit un total de 5,9h pour les garçons (16 jeux) et 7,7h pour les filles (21 jeux). 20 garçons sur les 26 participants et 16 filles sur les 18 ont été retenus pour l’analyse des matchs.
Un total de 4138 saut ont été enregistrés au cours des 10 matchs, 2202 pour les garçons et 1936 pour les filles.
En raison de la variation du temps de jeu entre les joueurs, la fréquence des sauts était comprise entre 1 et 339 pour les garçons et entre 0 et 379 sauts pour les filles. La fréquence moyenne était de 62,2 sauts/h pour les garçons (138 sauts par set pour l’ensemble de l’équipe) et 41,9/h pour les filles (92 sauts par set pour l’ensemble de l’équipe).
Aucune différence n’a été trouvée entre la fréquence des sauts et le poste des joueurs que ce soit pour les garçons et les filles.
3,7% des sauts ont été classés comme petits sauts, 32,2% comme sous maximaux et 64% comme maximaux. Pour les filles, les chiffres correspondant étaient de 0,2%, 18,8% et 81%.
Pour les deux sexes, la majorité des réceptions se faisaient sur les 2 pieds (94,3% pour les garçons et 97,2% pour les filles).
DISCUSSION
Cette étude est la première à comparer la fréquence des sauts chez des joueurs de volley-ball participant à un programme d’entraînements de haut niveau commun.
Les auteurs ont trouvé beaucoup plus de différences interindividuelles qu’attendues dans la fréquence des sauts durant les entraînements et les matchs.
Le volume d’entraînements et la participation aux matchs représente un facteur de risque fort de « genou du sauteur » [2]. L’explication de la différence d’exposition entre les entraînements et les matchs était qu’un nombre important des athlètes touchés par cette pathologie étaient sélectionnés à différents camps d’entraînements avec l’équipe nationale junior ou pour leurs clubs d’origine durant les week-ends et les vacances [2]. En d’autre terme, les joueurs atteints étaient les plus talentueux.
Les différences observées dans la fréquence des sauts durant les matchs s’expliquent aisément. Les meilleurs joueurs ont un temps de jeu supérieur et plus de frappes, de blocs et de sets à jouer.
Les meilleurs joueurs sont plus susceptibles d’avoir un rôle central, d’être dans le six de départ et de rester plus longtemps sur le terrain. Durant les matchs, il n’y avait de différences entre les postes des joueurs. Ce résultat différent de ceux de Sheppard et al. [10], auteur ayant analysé 10 matchs de haut niveau (JO et matchs de préparation internationaux). Les auteurs de cette étude estiment qu’un échantillon plus large aurait pu révéler des différences entre les postes dans cette étude. Une étude transversale [11] auprès de joueurs de volley-ball néerlandais de 18 à 35 ans et de différents niveaux a révélé que certains postes étaient plus à risque dans le développement du genou du sauteur comme les réceptionneurs-attaquants et les centraux par rapport aux passeurs comme initialement indiqué par Lian et al. [5], en raison d’une plus grande taille, d’un plus poids plus élevé et d’une plus grande détente de ces joueurs.
L’étude présentée aujourd’hui montre qu’il existe des différences entre les joueurs dans la fréquence des sauts qui pourraient amplifier les précédentes différences rapportées dans la bibliographie et donc aggraver le risque de développer un genou du sauteur.
Plusieurs études épidémiologiques ont montré que le sexe des athlètes est un facteur de risque pour le genou [1-3, 8]. Dans l’échantillon étudié, 12 des 26 garçons ont ou ont eu au cours de leur séjour au TVN un genou du sauteur pour seulement 1 fille sur 18. Comme il semble n’y avoir aucune différence dans le volume total d’entraînement entre les sexes, l’explication serait que dans la mesure où les garçons sautent plus haut que les filles, les charges subies par les genoux sont supérieures. Dans cette étude, les auteurs ont montré que les hommes sautent 2,6 fois plus que les femmes durant les entraînements et 1,5 fois plus durant les matchs. Dans le groupe masculin, il y avait une plus grande disparité de la fréquence des sauts que dans le groupe féminin. Cette différence de fréquence peut s’expliquer partiellement par les différences dans le style de jeu.
La période de croissance, passage du statut de jeune talent à celui de joueur mature de haut niveau, est une période ou une grande proportion des garçons développent des problèmes tendineux.
Au volley-ball et dans d’autres sports à sauts, le meilleur conseil est de surveiller les joueurs les plus talentueux dont le saut représente un facteur clef de la performance, afin de s’assurer qu’ils ne soient pas surexposés lors des entraînements et des matchs [3,13,14].
Implication pratique : Compter le nombre de sauts comme solution ?
Le baseball a introduit un comptage du nombre de lancers pour limiter les charges subies par l’épaule et le coude des jeunes lanceurs [12].
Cependant un comptage manuel au volley-ball prend du temps. L’analyse pour cette étude a nécessité 3h pour 1h d’entraînement si les exercices étaient simples allant jusqu’à 6h pour des exercices complexes. Introduire une routine de comptage lors des entraînements nécessiterait donc le développement d’une technologie permettant de collecter et d’analyser les données.
CONCLUSION
De nombreuses différences ont été trouvées entre les groupes quant à la fréquence des sauts à l’entraînement et en match.
Ainsi, la fréquence des sauts peut représenter un important facteur de risque dans le développement du « genou du sauteur ».
PAR ERWANN LE CORRE
BIBLIOGRAPHIE
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