Introduction
La lésion du ligament croisé antérieur (LCA) est une blessure aigue et commune chez les sportifs. Cette atteinte ligamentaire reste un défi d’actualité pour les thérapeutes et les chercheurs [1]. La reconstruction du LCA (RLCA) est une chirurgie fréquente chez les athlètes souhaitant retourner à leur activité sportive (RAS) [2-4].
Après plastie du LCA, il est retrouvé un déficit de la force musculaire, une diminution de la stabilité avec un déficit musculaire pouvant aller jusqu’à 2 ans après la plastie [3,5-9]. Ces déficits peuvent être des facteurs de risque de lésions secondaires [10,11].
Au total, selon différentes études, 6 à 27% des athlètes qui retournent à l’activité après RLCA subissent une nouvelle lésion du LCA sur le genou homo- ou controlatéral (CL), dans les 10 années post-chirurgie [12-15].
Le déficit de force étant associé à un risque potentiel d’une future blessure du genou, l’augmentation de la force musculaire du quadriceps et des ischio-jambiers apparaît comme un facteur clef du succès du RAS après RLCA [16-19]. L’évaluation de la force musculaire après une plastie du LCA est couramment effectuée dans la batterie de tests cliniques et est un élément central de nombreuses études scientifiques [20,21].
Les dynamomètres isocinétiques souvent critiqués en raison du manque de spécificité de l’outil par rapport au geste sportif. Néanmoins, l’évaluation isocinétique est considérée comme le gold standard de la mesure de la force musculaire [22], sa reproductibilité et sa fiabilité d’utilisation en faisant une méthode d’évaluation de choix après RLCA [22-24]. Deux paramètres clefs sont retenus dans l’évaluation de la force après plastie : la symétrie entre jambe lésée et jambe saine et ratio entre quadriceps et ischio-jambiers de la jambe lésée (IJ/Q). Ces mesures ont souvent été mentionnées parmi les critères de RAS [2,17,25].
Un des objectifs d’une réhabilitation réussie consiste à faire retrouver au patient une force « normale ». La symétrie entre les membres considérée comme normale demande des valeurs comprises entre 70% - 90% de la force CL [2,26,27] tandis que le ratio peut quant à lui être compris entre 0.5 [29] et 0.8 [28] selon les vitesses sélectionnées. De nombreux cliniciens visent donc à retrouver ces valeurs pour valider le RAS [28]. Cependant, les protocoles choisis (modes de contraction, vitesses angulaire, amplitude, nombre de répétitions, correction gravité) peuvent influencer sur les résultats visés [30-32]. Le choix du protocole isocinétique semble donc essentiel pour réaliser le retour au sport.
L’objectif principal de cette étude était d’examiner et l’ensemble des protocoles d’évaluation de la force isocinétique utilisés pour les patients opérés d’une reconstruction. L’objectif secondaire est de proposer l’évaluation de la force musculaire appropriée et conforme avec les critères de RAS.
Discussion
Les auteurs n’ont trouvé aucun protocole d’évaluation normalisé de la force isocinétique après RLCA. S’il est nécessaire d’évaluer objectivement la force musculaire du patient après RLCA, il est nécessaire de définir précisément un protocole validé.
Dans cette revue systématique, le mode de contraction, la vitesse angulaire, le nombre de répétitions, l’amplitude du mouvement et l’utilisation ou non de la correction de la gravité ont été les principales variables qui étaient extraites des études sélectionnées.
Protocoles d’évaluation de la force musculaire
31 études (79%) ont utilisé un mode de contraction concentrique lors du test, plutôt que d’utiliser des contractions concentriques et excentriques. Le mode de contraction en lui-même affecte de manière significative le couple de force. Le couple de force excentrique est nettement supérieur au pic de couple concentrique (pour des paramètres identiques) ce qui peut être trompeur si on compare indirectement les résultats [68].Dans les activités sportives ou des contractions concentriques et excentriques sont réalisées, il pourrait être nécessaire de tester la force musculaires dans ces deux modes de contraction.
Des recherches antérieures ont rapporté que les patients avaient plus de difficultés à réaliser les mouvements excentriques [69] que concentriques [70], car ils nécessitent une plus grande habileté motrice, un meilleur contrôle moteur et donc une fiabilité et une reproductibilité plus faibles. Des études antérieures ont montré une reproductibilité et une fiabilité très élevée des mouvements isocinétiques d’extension et de flexion du genou, cependant, dans toutes ces études, le travail excentrique des fléchisseurs et des extenseurs du genou présente une fiabilité et une reproductibilité plus faibles [24,69,70,71]. Même si le mode de contraction concentrique est le plus couramment utilisé dans la pratique clinique et dans la recherche [40,59,66], cela ne signifie pas nécessairement qu’il est le mode de contraction de choix. Toutefois, en raison de sa fréquence d’utilisation, il est retrouvé dans la littérature une abondance de données comparables [3,7,9,21,6,29,37-41,43,44,48-51,53-62,64-67]. Si l’évaluation de la force musculaire excentrique est utilisée, une session de familiarisation semble être nécessaire pour assurer une bonne fiabilité et intégrer les données aux critères de RAS.
L’impact de la vitesse angulaire sur les performances (pic de couple et travail) doit être prise en compte lors de l’évaluation de la force et dans le choix des paramètres du test pour le RAS [30,40,56,59]. Les deux vitesses les plus fréquemment retrouvées étaient 60°/s et 180°/s, dans respectivement 29 (74%) et 18 (46%) études, des déficits étant souvent retrouvés. Le couple de force diminue avec l’augmentation de la vitesse au-delà de 60°/s et le pic de couple se situe à une vitesse comprise entre 0°/s et 60°/s [72]. Pour cette raison, si la vitesse angulaire utilisée pour l’évaluation est supérieure à 60°/s, les déficits pourraient ne pas être mis en évidence. Les déficits de force pourraient ne pas être mis en évidence en raison d’une vitesse angulaire élevée, on pourrait donc supposer à tort que le critère de force pour le RAS est validé. Il est donc important d’utiliser une vitesse angulaire qui met en lumière les déficits de force.
D’autres paramètres du protocole d’évaluation peuvent affecter les résultats comme le nombre de répétitions, l’amplitude et l’utilisation de la correction de la gravité.
Pour la mesure du pic de couple, 5 répétitions sont recommandées, le pic de couple (ou moment de force maximum) étant généralement atteint à la 4ème répétition [73]. En utilisant 5 répétitions, il y a une plus grande chance d’enregistrer le pic de couple maximal, en générant un minimum de fatigue.
L’amplitude articulaire maximale est recommandée pour permettre au patient de maximiser la phase isocinétique en atteignant la vitesse angulaire sélectionnée et l’activation maximale volontaire [74].
La position angulaire peut fournir des informations précieuses sur les propriétés mécaniques de la contraction musculaire et l’amplitude de mouvement peut affecter les performances. Il est donc important d’utiliser systématique la même amplitude articulaire lors de l’évaluation entre les membres et entre chaque patient afin d’avoir des données comparables [72].
Enfin, l’utilisation de la correction de la gravité est importante pour avoir des résultats précis de la force musculaire du quadriceps et des ischio-jambiers [11]. Pour le mode concentrique, si la correction de la gravité n’est pas appliquée, la force musculaire du quadriceps sera diminuée en raison de la réalisation du mouvement contre la gravité tandis que la force musculaire des ischio-jambiers sera majorée, le mouvement agissant avec la gravité [75].
Synthèse des mesures et des résultats
Classiquement, les mesures de la force musculaire isocinétique sont représentées par le pic de couple et/ou le travail total [20]. Le pic de couple est une mesure de la force maximale exercée lors de l’extension et de la flexion du genou. Les répétitions sous maximales étant éliminées, le pic de couple est une bonne mesure de la force maximale [76]. En revanche, le travail total est une meilleure mesure de l’endurance musculaire [52,72].
Dans cette revue de littérature, le pic de couple a été signalé dans 32 études tandis que le travail total a été rapporté dans 11 études. Les déséquilibres entres les membres ont utilisé dans l’ensemble des études le pic de couple maximal. Ces deux paramètres, pic de couple maximal et travail total, ont montré une grande fiabilité (entre pré- et post-test) et permettent une mesure précise de la force des extenseurs et des fléchisseurs du genou [20,69,71,77]. Le pic de couple étant la mesure la plus couramment utilisée, les données concernant le ratio (IJ/Q) et les comparaisons entre les membres sont riches et comparables entre les études [6,9,43,46,47,51-54,59].
Le pic de couple semble donc un paramètre essentiel dans les critères de RAS après RLCA bien que l’endurance musculaire et son impact dans la validation du RAS devrait être davantage étudiée.
La comparaison entre les membres et le rapport IJ/Q dépendent du protocole choisi, un changement dans les paramètres du protocole tels que le mode de contraction ou la vitesse angulaire pouvant modifier les performances et donc les résultats de l’évaluation [30-32,73].
Critère de reprise au sport et force musculaire
Une constatation secondaire de cette revue était que, bien que la force isocinétique est fréquemment mesurée après RLCA, seulement 15 études (38%) ont déclaré la force isocinétique comme critères de RAS. Parmi ces 15 études, 8 se sont appuyées sur la comparaison de la force musculaire du quadriceps et des ischio-jambiers entre les membres mais avec des fourchettes différentes [40,41,43,50,51,54,56,66].
Des recherches antérieures ont rapporté que des variations dans les ratios existaient selon le type de contraction (concentrique ou excentrique) [47,52,63]. Ces études ne montrent pas si un mode de contraction met plus en évidence qu’un autre un déficit. Il pourrait donc être intéressant d’utiliser les deux modes de contraction pour mettre en évidence les asymétries entre la jambe lésée et la jambe saine.
7 études ont utilisé 60°/s comme vitesse angulaire la plus basse, 1 ayant utilisée 180°/s. Les études ont rapporté que la comparaison entre les membres devait se situer entre 70% et 90% de la force CL. Cependant, de nombreuses études font état d’une augmentation de cette indice avec la vitesse angulaire [7,29,30,45,59]. Cela pourrait signifier que dans certaines études, le critère de RAS a été plus facilement atteint que dans d’autres.
Dans cette revue, 34 études (87%) ont rapporté la mesure des asymétries entre les membres inférieurs pour évaluer la force. Barver-Westin et Noyes [16] ont conclu que le membre lésé devait avoir une force supérieure à 90% du membre CL pour autoriser le RAS, tandis que Van Grinsven et col. [19] ont rapporté que le membre lésé devait atteinte au moins 95% de la force du membre CL. En dépit de cela, parmi les 8 études, seule celle de Cardone et col [40] a indiqué que le critère de force était prédicteur du RAS. Les auteurs ont suggéré qu’un déficit de force de 25% des extenseurs de la jambe lésée à une vitesse de 60°/s est un critère de RAS fiable.
Cependant, cette étude a eu relativement peu de suivi et n’a pas étendu sa conclusion à la force des fléchisseurs.
Ces résultats mettent en évidence que la force isocinétique du genou n’a pas été suffisamment validée comme un critère de mesure utile de RAS.
Ainsi, l’objectif secondaire de l’étude, de proposer un protocole d’évaluation sur la base des critères de RAS n’a pas été possible. Au lieu de cela, les auteurs proposent un protocole basé ceux proposés dans la littérature actuelle.
En résumé, les auteurs proposent le protocole suivant pour une évaluation la plus valable pour le RAS :
- Nombre de répétitions : 5 répétitions
- Groupes musculaires : Extenseurs et Fléchisseurs du genou
- Mode de contraction : Concentrique
- Vitesse angulaire : 60°/s
- Amplitude articulaire : 0 – 100°
- Utilisation de la correction de la gravité
- Paramètre analysé : Pic de couple
Article original :
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