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Examen musculo-squelettique pour détecter des asymétries en natation



INTRODUCTION
 
L'examen musculo-squelettique est un outil clinique répandu utilisé pour déterminer si un athlète est asymétrique ou a des déficits qui pourrait l'exposer à un haut risque de blessure.
 
En natation, aussi bien les entraîneurs que les athlètes recherchent la biomécanique et la technique de nage idéales pour obtenir un avantage mécanique et optimiser les performances de natation.
Afin de renforcer le lien entre l'environnement sportif et la clinique, le dépistage clinique objectif a potentiellement un rôle central en apportant un aperçu des adaptations biomécaniques résultantes et des adaptations fonctionnelles spécifiques à chaque sport, qui sont souvent masquées quand on observe uniquement depuis le bord du bassin (dans le cadre de la natation).
 
Il est clairement établi qu'une perte de force, de coordination ou d'amplitudes articulaires au sein de la chaîne cinétique peut entraîner des performances sous-maximales. Cependant, la définition de ces relations chez les athlètes de manière générale est encore à établir.
 
Il existe des incertitudes quant au fait que des asymétries puissent altérer (améliorer ou inhiber) la fonction optimale, exacerber le risque potentiel de blessure, ou être sans conséquence ou sans résultat pertinent pour l'athlète. L'eau ne permettant pas d'effet d'accroche ni d'ancrage, il est impératif que chaque maillon de la chaîne cinétique fonctionne de manière efficace et rentable pour générer le maximum de force de propulsion au niveau des mains du nageur. Comprendre les processus de génération de force et d'absorption des contraintes par le corps aidera les cliniciens à prévenir ou à limiter les blessures. A travers un dépistage musculo-squelettique valable, le thérapeute clinicien peut identifier des possibles "maillons faibles" au sein du système et, à la connaissance des auteurs, l'impact de l'asymétrie sur la génération de force résultante au niveau de la main chez les nageurs n'est pas clair.
 
Un niveau d'asymétrie est considéré comme acceptable, dû aux différences inhérentes au corps humain. L'asymétrie de mouvement et de fonction musculaire a été étudiée dans de nombreuses populations, et a été déterminée comme étant amplifiée dans les sports à prédominance unilatérale. Bien que la natation soit un sport cyclique et bilatéral, il semble que les nageurs ne soient pas nécessairement adaptés bilatéralement en terme de puissance ou de torsion humérale.
 
L'objectif de la présente étude était d'explorer l'influence de l'asymétrie de force (recueillie par examen musculo-squelettique) et de mouvements cinématiques en 3D sur les mesures de performance via la production bilatérale de force au niveau des mains, chez des nageurs.
 
MÉTHODES
 
Sujets
32 nageurs ont été recrutés dans des clubs de natation locaux. La moyenne d'âge était de 15,3 ans (écart-type 2,6). La main dominante a été définie comme celle servant pour l'écriture.
Les sujets étaient inclus s'ils avaient réalisé une qualification nationale junior dans les 12 derniers mois au 100 m nage libre, et ne présentaient pas de blessure.
Les sujets étaient en revanche exclus s'ils avaient des antécédents de chirurgie de l'épaule ou de pathologie au niveau du rachis. Au total, 40 nageurs étaient éligibles.
 
Procédures
L'examen musculo-squelettique a été réalisé pour tous les nageurs. Un échauffement protocolisé de 5 minutes consistant en des "cercles avec les bras" a été réalisé avant les tests. Trois différents types de données ont été enregistrés : la force clinique, le mouvement cinématique en 3D de la nage, et la production bilatérale de force de nage à la main.
 
Mesures de la force clinique
Les valeurs de couple de force à l'épaule, défini comme la moyenne de 10 mesures répétées, ont été collectées par un dynamomètre Cybex 11 dans trois positions de test :
            - rotation médiale / latérale (concentrique / concentrique),
            - abduction / adduction (concentrique / concentrique),
            - adduction horizontale (isométrique).
 
Pour les deux premières, les sujets étaient assis, avec le membre supérieur attaché à la machine pour isoler le mouvement concentrique testé. Deux séries de 5 répétitions à 80°/sec ont été effectuées à une minute d'intervalle. Cette valeur a été choisie car elle correspond à la vitesse du bras lors de la nage et est plus à même de détecter les asymétries éventuelles. La rotation latérale a été mesurée à partir d'une position de départ horizontale le long d'un arc d'environ 110° par rapport à la verticale. C'était l'inverse pour la rotation médiale. Pour l'abduction, les sujets démarraient le bras le long du corps et parcouraient un arc d'environ 100° d'abduction, puis retournaient à la position de départ par une adduction.
La 3e mesure, l'adduction horizontale, nécessitait un test isométrique. Les sujets avaient pour cela le coude et l'épaule fléchis à 90°, à 20° d'abduction, et devaient réaliser une contraction isométrique des adducteurs horizontaux.
 
Données cinématiques et de force
Les mouvements cinématiques du membre supérieur et du torse ont été capturés à 120 Hz grâce à un système de suivi magnétique 3D et la force de la main a été recueillie grâce à un ergomètre. Huit capteurs ont été placés sur le corps de chaque sujet.
Les nages simulées ont été réalisées sur un banc de natation créé sur mesure favorisant les exigences normales de stabilisation de la chaîne postérieure. Chaque sujet a effectué trois tests de nage simulés espacés d'une minute maximum.
 

 

Examen musculo-squelettique pour détecter des asymétries en natation

Résultats des mesures
 
Une asymétrie a été définie lorsqu'il existait une différence de pourcentage entre les deux côtés supérieure à 10%. Les sujets ont été répartis dans le groupe asymétrique si une asymétrie était présente dans au moins une des mesures de force clinique. Les sujets de ce groupe ont ensuite été divisés en un groupe de nageurs capables de compenser le déséquilibre clinique (ceux avec une mesure de force à la main symétrique) et ceux qui ne compensaient pas (production asymétrique de force à la main). Une analyse finale a permis de séparer le groupe avec compensation en deux : d'une part ceux qui compensaient avec une stratégie cinématique alternative, d'autre part ceux utilisant une stratégie de force / de puissance.
 
Analyse
Elle a été faite par une ANOVA à un facteur et un test post-hoc de Tukey.
 
RESULTATS
 
Les mesures de force ont montré que 84% des sujets (27 sujets sur 32) étaient asymétriques du point de vue de la rotation médiale, de l'adduction ou de l'adduction horizontale. La mesure de force la plus asymétrique était celle de la rotation médiale (21/27). 86% de ces sujets présentaient aussi au moins une autre mesure asymétrique de force. Un tiers des sujets (8/27) avec asymétrie à une mesure ou plus ont semblé contrebalancer l'un des déficits de force par une autre asymétrie de force, de telle manière que la production finale de force soit symétrique.
Un schéma de mouvement altéré a été utilisé par presque un tiers (6/27) des nageurs pour compenser l'asymétrie de force et produire une force finale symétrique.

Par exemple, un changement important de rotation thoracique peut altérer la position du corps et les forces de manière à ce que la production de force au niveau de la main soit symétrique.

Les sujets répartis dans le groupe symétrique ont montré une force symétrique lors de toutes les mesures, ce qui a résulté en une production de force symétrique au niveau des mains.

Chez les sujets avec asymétrie uniforme, les déficits de force étaient toujours du même côté alors que dans le groupe avec asymétrie mixée, les sujets avaient des déficits de force des deux côtés.
Une asymétrie dans les mesures de force a été retrouvée chez environ 84% des nageurs. Les 16% restants présentaient une symétrie à la fois de mesures de force et de production de force à la main.

Au total, environ 60% de tous les nageurs produisaient une force symétrique aux mains. Cette adaptation (chez 50% des nageurs asymétriques) d'une asymétrie de force à une production de force symétrique à la main est due à des stratégies compensatrices de la part des athlètes (déséquilibres de force bilatéraux ou déficit de force unilatéral avec compensation cinématique).
 
Des différences statistiques entre ceux qui ont pu compenser et ceux qui n'ont pas pu ont été mises en évidence pour la symétrie de flexion du coude (10.2 versus 19.1 respectivement, p < 0.05), et pour l'adduction (35.9 versus 52.7 respectivement, p < 0.05). Aucune relation entre l'asymétrie de force en rotation médiale et les nageurs de sprint versus les nageurs de distance n'a été trouvée (Pearson’s = -0.81, P = 0.66).
 
DISCUSSION
 
En comprenant davantage les relations entre les mesures de force, les mouvements cinématiques 3D et les forces résultantes au niveau des mains, ainsi que leur influence dans toute la chaîne cinétique, les cliniciens peuvent être en mesure de prévenir ou de limiter les blessures en identifiant les "maillons faibles" ou les zones de charge augmentées à travers le système.
 
Les données de cette étude suggèrent que l'asymétrie au niveau de la musculature propulsive peut potentiellement induire deux problèmes chez le nageur : de futurs déséquilibres de force et des stratégies compensatrices de mouvement altérant la chaîne cinétique et ainsi les forces induites sur le corps.
 
Les résultats indiquent que quand un nageur présente un déséquilibre de force de l'un des groupes musculaires propulsifs d'un côté, il peut développer un déséquilibre de force dans un groupe musculaire alternatif (comme démontré pour la majorité (86%) des nageurs) et présenter quand même une production de force totale symétrique (vu dans un tiers des cas).
 
 
Cliniquement, de telles mesures de dépistage devraient guider les thérapeutes dans la possibilité de réalisation de stratégies d'intervention préventives. Une symétrie de force diminue les chances ou les besoins de compensation ou de charge modifiée dans d'autres domaines de la chaîne cinétique (en effet, elle a donné lieu à une symétrie maintenue de la force des nageurs dans cette étude). Il semble qu'obtenir un profil musculo-squelettique équilibré devrait être un objectif de réadaptation, tout comme une asymétrie musculo-squelettique supérieure à 10% peut nécessiter une adaptation ou une stratégie de compensation avec le potentiel d'influencer à la fois les processus de production de force et d'absorption des contraintes du corps. Les outils de dépistage cliniques devraient englober tous les muscles de propulsion afin d'évaluer avec précision si l'asymétrie est telle qu'une stratégie compensatoire est nécessaire.
 
L'une des limites de l'étude réside dans le fait que les mesures n'ont pas été prises dans l'eau mais lors d'une tâche de nage simulée à sec.
 
CONCLUSION
 
Ces résultats soulignent l'importance du dépistage clinique, et sa capacité à identifier les éventuelles faiblesses qui fourniront une direction pour le développement de la force. Cela permettra de rassurer l'athlète sur le chemin qu'il suit, en vue d'une performance optimale et peut également aider à prévenir les blessures.
 
 
 
 
 
Evershed J, Burkett B, Mellifont R. Musculoskeletal screening to detect asymmetry in swimming. Phys Ther Sport. 2014 Feb;15(1):33-8. doi: 10.1016/j.ptsp.2013.02.002. Epub 2013 May 20.