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Etude de l'architecture musculaire du supra-épineux après entraînements concentrique et excentrique



Introduction
 
Le supra-épineux (SE), impliqué à la fois dans l’abduction et dans la rotation latérale d’épaule [1,2], est l’un des quatre muscles de la coiffe des rotateurs. Il participe à la stabilisation dynamique de la tête humérale par rapport à la glène [3]. Parmi les muscle de la coiffe, le SE est le plus fréquemment touché par les syndromes de conflits et les tendinopathies [4]. Ces dernières sont communément prises en charge par traitement conservateur, pouvant consister en des étirements musculaires et tendineux avec du réentraînement et du renforcement musculaire des muscles de la coiffe des rotateurs et scapulaires [5,6]. Pour le SE, ces exercices de renforcement musculaire incluent souvent des activités d’abduction [3] concentriques (avec raccourcissement des fibres musculaires) et excentriques (avec allongement des fibres musculaires). Les exercices excentriques ne sont pas efficaces que pour le gain et l’hypertrophie musculaires mais aussi pour la guérison tendineuse. En effet, il a été trouvé une diminution de l’épaisseur du tendon avec de tels exercices [7] et une stimulation par les charges élevées de la synthèse collagénique et de la revascularisation [8,9]. Ces exercices excentriques sont utilisés pour traiter les tendinopathies du membre inférieur, mais la recherche suggère que ce type d’entraînement peut être aussi bénéfique pour les tendinopathies de la coiffe des rotateurs avec l’amélioration de la fonction du membre supérieur et de la douleur (en suivant un protocole excentrique d’abduction et de rotation latérale) [10].
A ce jour, peu d’études ont cherché les effets d’exercices concentriques et excentriques sur l’architecture musculaire humaine, ce qui est un déterminant primaire de la fonction musculaire [11]. La longueur des faisceaux de fibres (LFF) et l’angle de pennation (AP) ont un impact direct sur la capacité de production maximale d’un muscle : une augmentation de 20% de la LFF peut augmenter la force maximale de 25% [12]. A leur connaissance, les auteurs de cet article n’ont pas trouvé d’étude sur l’impact de l’entraînement sur l’architecture des faisceaux de fibres du SE.

Par conséquent, le but de cette étude de 2014 [13] était d’étudier les effets de deux programmes de renforcement dynamique, l’un concentrique et l’autre excentrique, sur :
- l’architecture des faisceaux de fibres du SE en utilisant un protocole échographique précédemment validé [14],
- la force isométrique et dynamique.
L’hypothèse des auteurs était que le type de mode d’entraînement pourrait influencer significativement le LFF, l’AP, l’épaisseur musculaire (EM) et le pic de force.


Les résultats de cette étude pourrait aider à améliorer les recommandations pour la pratique clinique chez les patients avec tendinopathies du SE.
 
 
Matériel et méthodes
 
Protocole général
 
Quatorze participants âgés de 18 à 50 ans et faisant une activité de loisir ont été volontaires pour cette étude. Les critères d’exclusion étaient la présence d’une pathologie présente ou ancienne  de la coiffe des rotateurs, une instabilité gléno-humérale, une pathologie neuromusculaire ou toute autre condition pouvant limiter la capacité des participants à réaliser les exercices d’épaule requis. Une personne n’a pas complété l’étude à cause de raisons personnelles, le groupe final était donc composé de 7 femmes et 6 hommes d’une moyenne d’âge de 28,2 ± 8,3 ans. Tous les consentements ont été faits avant la collection des données.
Les participants ont été randomisés dans chacun des groupes concentrique et excentrique et ont été autorisés à maintenir leur activité physique régulière tant que son intensité n’était pas altérée pendant l’étude.
 
Imagerie échographique
 
Les images échographiques ont été prises par l’investigateur principal entraîné à l’imagerie de ce type pour le SE et en suivant un protocole fiable et valide décrit par Kim et al. [14]. Les sujets été assis et l’orientation de la sonde d’échographie a été maintenue perpendiculaire au plan des faisceaux de fibres. La région antérieure du SE a été enregistrée dans trois positions différentes (en utilisant un goniomètre) :
- bras relâché à 0° d’abduction,
- bras relâché à 60° d’abduction,
- bras en contraction isométrique à 60° d’abduction.
 
Plusieurs clichés ont été pris dans ces positions, ceux dans le plan frontal pour les faisceaux de fibres et ceux dans le plan sagittal pour l’EM. Toutes les mesures ont été faites par le principal investigateur qui était en aveugle du protocole des participants. La Figure 1 montre que la LFF (FBL en anglais sur la Figure 1) a été mesurée avec la distance linéaire entre les deux sites d’attache médial et latéral, l’AP (PA en anglais, * sur la Figure 1) par l’angle entre les faisceaux de fibres et leur site d’attache sur le tendon intramusculaire et l’EM (MT en anglais, voir Tableau 2) par la distance entre la surface superficielle du SE et la fosse supra-épineuse.
 
Evaluation musculaire
 
Un dynamomètre isocinétique a été utilisé pour mesurer le pic de force (force maximale produite) des abducteurs de l’épaule lors de la scaption (abduction dans le plan scapulaire) de la manière suivante :
- échauffement de 10 répétitions de scaption à environ 50 % de l’effort maximal,
- mesure de la force maximale isométrique à 60° d’abduction (position tenue 3 secondes) à 3 reprises avec 3 minutes de repos entre chaque,
- mesure de la force maximale en excentrique puis en concentrique entre 20° et 100° de scaption.
 
Interventions
 
Huit semaines d’entraînement, à raison de 3 sessions de 15 minutes par semaine séparées d’au moins 48 heures les unes des autres, avec des exercices de scaption active en concentrique ou en excentrique (dépendant du groupe alloué). Seul le bras droit a été entraîné. Les quatre premières semaines, les sujets réalisaient pendant leur session 4 sets de 8 répétitions à 60° par seconde (avec effort maximal). Les quatre dernières, il s'agissait de 6 sets de 6 répétitions à la même vitesse et au même effort. Une pause d’une minute était faite entre chaque set pour les deux groupes. Les participants étaient assis et attachés pour éviter les compensations. Des encouragements étaient donnés lors de chaque répétition.
 
Analyse statistique
 
Le seuil de significativité des différents tests utilisés était à p < 0,05.
 
 
Résultats
 
Au départ (pré-entraînement), les deux groupes étaient comparables par rapport :
- aux caractéristiques des sujets (sexe, âge, taille et masse, voir Tableau 1),
- à l’architecture du SE (LFF, AP et EM, voir Tableau 2),
- et aux pics de force (voir Tableau 3).


Etude de l'architecture musculaire du supra-épineux après entraînements concentrique et excentrique



Avec le bras relâché en position neutre, la LFF moyenne est significativement diminuée après un entraînement concentrique (p=0,007) alors qu’il n’y a aucun changement trouvé pour le groupe excentrique (p>0,05). En position relâchée à 60°, la LFF diminue dans les deux groupes (p=0,047) mais sans différence significative entre eux (p>0,05). Avec le bras en abduction active à 60°, la LFF moyenne est significativement diminuée après un entraînement concentrique (p=0,036) mais il n’y avait aucun changement pour le groupe excentrique (p>0,05).
 
Concernant l’AP, il augmentait significativement dans les deux groupes pour les trois positions (p=0,030 pour le bras relâché à 0°, p=0,002 pour bras relâché à 60° et p=0,025 pour le bras en abduction active à 60°), sans différence entre les deux groupes (p>0,05).
 
De même, l’EM augmentait après entraînement mais sans différence significative entre les deux groupes (p>0,05).
 
Enfin, les pics de force en isométrique, en concentrique et en excentrique augmentent significativement après entraînement (p<0,01) mais sans différence entre les groupes concentrique et excentrique (p>0,05).
 
 
Discussion
 
Après 8 semaines de programme d’entraînement en abduction, des différences significatives dans l’architecture des faisceaux de fibres et dans la force ont été trouvées. Le mode de contraction concentrique engendre une diminution de la LFF moyenne du SE. Lors du mode excentrique, cette longueur ne variait pas, elle était donc maintenue. Ceci peut avoir une signification fonctionnelle. En effet, les changements de la LFF peuvent avoir un impact sur les propriétés statique et dynamique du muscle [15]. Comme il est démontré dans cette étude, la préservation de la LFF associée à une augmentation de la force musculaire lors du mode excentrique peut suggérer que le SE est capable de maintenir une force sur une meilleure amplitude que lors du mode concentrique. Et cette combinaison peut être idéale pour les muscles de la coiffe des rotateurs comme le SE car l’amplitude gléno-humérale est importante. De plus, le mode excentrique pourrait avoir des propriétés de guérison tendineuse au niveau du SE comme pour les tendons du membre inférieur [8, 9] afin de lutter contre les microtraumatismes du tendon du SE lors des différentes activités fonctionnelles et/ou sportives. Enfin, la longueur du muscle a son importance dans les résultats de la chirurgie, une unité musculotendineuse rétractée ou plus courte étant plus difficile à réparer et ayant souvent des résultats inférieurs.
L’EM est utilisée comme mesure pour l’hypertrophie musculaire [16]. Dans les muscles pennés, l’hypertrophie est associée à une augmentation de l’AP. Une augmentation de cet angle peut augmenter la capacité de production de force en permettant à une plus grande quantité de tissu contractile de s’attacher sur le tendon, ce qui peut augmenter la section musculaire. Dans cette étude, l’AP et l’EM augmentent après l’entraînement mais sans différence entre les deux groupes.
Enfin, cette étude ne montre pas la supériorité d’un mode plus que l’autre pour le pic de force.
 
Il existe des limites à cette étude. La demande d’effort maximal pour chaque sujet peut entraîner des différences dans la charge développée par chacun. De plus, seuls les bras droits ont été entrainés et testés, indifféremment du côté dominant de chacun.
 
 
Conclusion
 
Le mode d’entraînement est associé avec des changements de la LFF. Le mode excentrique apparaît avoir un rôle bénéfique à la fois sur l’architecture musculaire et le tendon, ce qui pourrait le rendre idéal pour les tendinopathies de la coiffe des rotateurs.
 

 
Références
 
[1] M.M. Reinold, K.E. Wilk, G.S. Fleisig, et al. Electromyographic analysis of the rotator cuff and deltoid musculature during common shoulder external rotation exercises. J Orthop Sports Phys Ther, 34 (7) (2004), pp. 385–394.
 
[2] G.A. Malanga, Y.N. Jenp, E.S. Growney, et al. EMG analysis of shoulder positioning in testing and strengthening the supraspinatus. Med Sci Sports Exerc, 28 (6) (1996), pp. 661–664.
 
[3] W.S. Burke, C.T. Vangsness, C.M. Powers. Strengthening the supraspinatus: a clinical and biomechanical review. Clin Orthop Relat Res (402) (2002), pp. 292–298.
 
[4] F.W. Jobe, D.R. Moynes. Delineation of diagnostic criteria and a rehabilitation program for rotator cuff injuries. Am J Sports Med, 10 (6) (1982), pp. 336–339.
 
[5] J.E. Kuhn. Exercise in the treatment of rotator cuff impingement: a systematic review and a synthesized evidence-based rehabilitation protocol. J Shoulder Elbow Surg, 18 (1) (2009), pp. 138–160.
 
[6] C. Littlewood, J. Ashton, K. Chance-Larsen, et al. Exercise for rotator cuff tendinopathy: a systematic review. Physiotherapy, 98 (2) (2012), pp. 101–109.
 
[7] L. Ohberg, R. Lorentzon, H. Alfredson. Eccentric training in patients with chronic achilles tendinosis: normalised tendon structure and decreased thickness at follow up. Br J Sports Med, 38 (1) (2004), pp. 8–11.
 
[8] K. Knobloch, R. Kraemer, M. Jagodzinski, et al. Eccentric training decreases paratendon capillary blood flow and preserves paratendon oxygen saturation in chronic Achilles tendinopathy. J Orthop Sports Phys Ther, 37 (5) (2007), pp. 269–276.
 
[9] H. Langberg, H. Ellingsgaard, T. Madsen, et al. Eccentric rehabilitation exercise increases peritendinous type I collagen synthesis in humans with achilles tendinosis. Scand J Med Sci Sports, 17 (1) (2007), pp. 61–66.
 
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[11] R.L. Lieber, J. Friden. Clinical significance of skeletal muscle architecture. Clin Orthop Relat Res (383) (2001), pp. 140–151.
 
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[13] Kim SY, Ko JB, Farthing JP, Butcher SJ. Investigation of supraspinatus muscle architecture following concentric and eccentric training. J Sci Med Sport. 2014 May 27.
 
[14] S. Kim, R. Bleakney, E. Boynton, et al. Investigation of the static and dynamic musculotendinous architecture of supraspinatus. Clin Anat, 23 (1) (2010), pp. 48–55.
 
[15] A.M. Gordon, A.F. Huxley, F.J. Julian. The variation in isometric tension with sarcomere length in vertebrate muscle fibres. J Physiol, 184 (1) (1966), pp. 170–192.


[16] J.P. Farthing, P.D. Chilibeck. The effects of eccentric and concentric training at different velocities on muscle hypertrophy. Eur J Appl Physiol, 89 (6) (2003), pp. 578–586.