Cynthia R. LaBella, William Hennrikus, Timothy E. Anterior Cruciate Ligament Injuries: Diagnosis, Treatment, and Prevention. Pediatrics 2014;133;e1437; originally published online April 28, 2014; DOI: 10.1542/peds.2014-0623
Le texte présenté ici reprend un article publié dans la revue Pediatrics en avril 2014, qui revient sur une blessure bien connue des kinésithérapeutes, mais davantage orienté sur son existence chez le jeune athlète. Cet article est disponible gratuitement ici (http://pediatrics.aappublications.org/content/133/5/e1437.full.pdf+html)
Les blessures du ligament croisé antérieur (BLCA) sont des pathologies de plus en plus fréquentes ces 20 dernières années chez les enfants et les adolescents physiquement actifs, observent les thérapeutes prenant en charge de jeunes athlètes. Les raisons d'augmentation de ce taux incluent le nombre grandissant d'enfants et d'adolescents participant à des sports organisés, une participation accrue à des sports à haute demande physique à un âge de plus en plus jeune, et à un taux plus élevé de diagnostic en raison d'une sensibilisation accrue à la possibilité de BLCA sur un squelette immature ainsi que par l'utilisation plus fréquente de l'imagerie médicale.
EPIDEMIOLOGIE DES BLESSURES DU LCA
En Norvège, chez les 10 - 19 ans, l'incidence annuelle des reconstructions primaires du LCA était de 76 /100 000 pour les filles et de 47/100 000 pour les garçons. Ces chiffres se basent sur des registres nationaux portant sur les patients opérés dans un hôpital. Ils sous-estiment ainsi la véritable incidence car les cas traités sans chirurgie ne sont pas comptabilisés.
De nombreuses BLCA sont relatives au sport, c'est pourquoi les taux de blessures sont plus élevés chez les athlètes. Les athlètes des hautes écoles ont des taux moins élevés de BLCA que ceux des collèges (5,5 contre 15/100 000) mais une distribution similaire des blessures parmi les différents sports. Aucune étude épidémiologique bien menée documentant les taux de BLCA n'a été réalisée chez les enfants de moins de 14 ans. Bien qu'il y ait eu des rapports de BLCA relatives au sport chez des enfants de 5 ans, les données limitées disponibles suggèrent que les perturbations du LCA chez les moins de 12 ans sont rares. Le taux de chirurgie du LCA pour les 12-13 ans est de 3,5/100 000 habitants, ce qui est faible comparé aux 16-39 ans (85/100 000) qui est le groupe avec le plus haut risque.
Différences de genre
Les BLCA commencent à augmenter significativement entre 12 et 13 ans chez les filles et entre 14 et 15 ans chez les garçons. Les athlètes femmes entre 15 et 20 ans représentent la population présentant le plus de BLCA.
CONSEQUENCES DES BLCA
Une BLCA à un âge précoce est un événement important changeant en quelque sorte le cours de la vie. En plus de la chirurgie et des mois passés en rééducation, le coût du traitement peut être colossal et le temps perdu de scolarité et de participation aux activités sportives peut avoir des effets considérables sur la santé mentale de l'athlète et sur ses performances académiques. En plus d'effets directs comme une éventuelle baisse des notes, une BLCA peut avoir des conséquences à long terme sur la santé. En effet, sans égard au type de traitement, les athlètes avec BLCA sont plus de 10 fois à même de développer précocement de l'arthrose dégénérative du genou, une condition qui ne limite pas seulement les capacités d'une personne à participer mais qui mène souvent à des douleurs et de l'instabilité. Une revue systématique portant sur un ensemble d'études sur le long terme suggère que le taux d'arthrose de genou 10 à 20 ans après BLCA est supérieur à 50 %. Cela signifie que les enfants et adolescents présentant une BLCA sont susceptibles d'avoir des douleurs chroniques et des limitations fonctionnelles vers leur 20-30 ans. Aucune de ces études n'a cependant démontré que la reconstruction du LCA faisait diminuer le risque d'arthrose du genou.
MÉCANISMES DE BLESSURE
Le mécanisme de blessures chez les athlètes est souvent plurifactoriel. Les théories proposées pour expliquer les mécanismes à la cause des BLCA incluent des variables extrinsèques (perturbations physiques et visuelles, attelles et interaction entre chaussure et surface de jeu) et des variables intrinsèques (facteurs anatomiques, hormonaux, neuromusculaires et biomécaniques).
Au moins 70 % des BLCA surviennent sans contact, ce qui signifie selon les études que soit il n'y a pas eu de contact en corps-à-corps, soit il n'y a pas eu de coup porté au genou.
FACTEURS DE RISQUE
Les BLCA chez les jeunes athlètes sont tout aussi multifactorielles. Les données montrent que de nombreux paramètres physiques et psychologiques affectent le taux de LBCA.
Génétique
Les facteurs génétiques jouent probablement un rôle, bien que ces facteurs de risque de blessure ne soient examinés que depuis peu.
Hormones
Les facteurs hormonaux jouent probablement un rôle ; cependant, les résultats des études sur ce point sont à la fois incertaines et controversées. Bien que le genou chez la femme semble être légèrement plus laxe (de l'ordre de 0,5 mm) au milieu du cycle menstruel, les BLCA ont tendance à se regrouper près du début des menstruations, au moment opposé dans le cycle.
Blessures antérieures
Comme pour d'autres blessures musculosquelettiques, l'un des facteurs prédictifs les plus importants de BLCA est l'existence d'un blessure précédente.
Âge et genre
BIen que le taux de BLCA augmente avec l'âge pour les deux sexes, les filles ont des taux plus importants immédiatement après le pic de croissance.
Facteurs anatomiques et anthropométriques
Un poids et un indice de masse corporelle (IMC) élevés ont été associés à une augmentation du taux de BLCA.
Un angle du quadriceps (angle Q) augmenté a été postulé comme étant un facteur de risque, mais il n'existe pas d'étude clinique prospective portant sur la relation entre l'angle Q et les BLCA. Une échancrure intercondylienne étroite (là où est logé le LCA) semblerait augmenter le risque de BLCA, car cet aspect est associé à un LCA plus faible et plus petit et causerait ainsi une augmentation de l'élongation du LCA sous haute tension. Cette notion est controversée selon les études.
Facteurs neuro-musculaires
La force musculaire et la coordination ont un effet direct sur les contraintes mécaniques sur le LCA pendant les mouvements sportifs. Un contrôle neuromusculaire faible de la hanche et du genou ainsi que des déficits de stabilité posturale ont été montrés comme des facteurs de risque de BLCA. Les sports de réception et de pivot impliquent beaucoup de mouvements rapides d'accélérations et de décélérations qui poussent et tirent le tibia antérieurement et placent le LCA sous contrainte. La translation du tibia peut être modulée par les ischio-jambiers et le quadriceps.
De plus, bien que la fatigue soit souvent citée comme un facteur de risque potentiel pour les LBCA, il existe relativement peu d'études publiées qui supportent ou réfutent cela.
FAIRE LE DIAGNOSTIC
Historique
Le patient avec blessure fraîche du LCA présente typiquement des douleurs, un épanchement du genou, une réduction des amplitudes articulaires et des difficultés à supporter le poids du corps. Souvent, un "pop" caractéristique est entendu ou ressenti par l'athlète au moment de la blessure. La prévalence d'une BLCA chez les athlètes en pédiatrie avec une hémarthrose traumatique du genou est d'environ 65 %. Le patient avec une blessure chronique du LCA présente typiquement des épanchements fréquents et la sensation que le genou se dérobe ou est instable lors des sports de saut ou de pivot.
Examen physique
Pour un athlète en pédiatrie avec un épanchement traumatique aigu du genou, le test de Lachman, le test du tiroir antérieur et le pivot shift test sont des examens cliniques qui aident à poser le diagnostic de rupture du LCA.
Le test de Lachman est considéré comme le plus précis des trois pour une rupture aigue du LCA, montrant une sensibilité groupée de 85 % (IC95% [83 - 87]) et une spécificité groupée de 94 % (IC95% [92 - 95]).
Imagerie
Pour l'athlète pédiatrique qui se présente avec un épanchement du genou traumatique, les radiographies doivent être obtenues pour exclure une fracture, une luxation, une blessure ostéochondrale ou une blessure épyphysaire en plus ou au lieu d'une rupture du LCA.
L'IRM n'est en général pas nécessaire pour poser le diagnostic de rupture du LCA, car un test de Lachman positif est suffisant. Cependant, en cas de difficultés à la réalisation du test (douleur, peur, manque de coopération), l'IRM peut être utilisée. La sensibilité et la spécificité de l'IRM pour détecter les ruptures du LCA chez les enfants ont été rapportées comme étant respectivement de 95 % et de 88 %. Pour les ruptures méniscales, elles sont de 100 % et de 89 % chez l'enfant.
TRAITEMENT
Le traitement d'une rupture du LCA chez l'athlète en pédiatrie est difficile et controversé. Cette pathologie chez l'enfant n'est pas une urgence chirurgicale. Plusieurs discussions opportunes avec les parents et l'enfant sur les options de prise en charge appropriées et sur la compréhension de leurs objectifs et de leurs attentes sont très importantes. La chirurgie n'est pas absolue. Les indications générales à la chirurgie incluent l'incapacité pour le patient à participer à son sport, l'instabilité qui entrave les activités de la vie quotidienne, et une rupture méniscale réparable associée ou une blessure du genou avec plusieurs ligaments rompus.
Le traitement des BLCA sur un squelette immature est controversé car les reconstructions standards du LCA impliquent l'utilisation de trous de forage qui traversent les épiphyses et peuvent potentiellement causer des troubles de la croissance, tels qu'un raccourcissement de la jambe ou un angle Q modifié. Auparavant, le retard de traitement chirurgical était très fréquent. Les chirurgiens orthopédiques recommandaient un traitement non chirurgical, incluant une attelle, de la rééducation et un arrêt du sport pendant plusieurs mois jusqu'à maturité du squelette, la chirurgie pouvait alors être entreprise.
Aucun consensus n'existe sur la meilleure méthode pour traiter une rupture du LCA chez l'athlète en pédiatrie. Les techniques chirurgicales sûres et efficaces continuent d'évoluer.
La rééducation après chirurgie du LCA peut nécessiter des modifications en fonction du patient et de la procédure chirurgicale. En général, un programme de rééducation gradué mettant l'accent sur l'extension totale, l'appui complet immédiat, les amplitudes articulaires actives, le renforcement musculaire du quadriceps, des ischio-jambiers et des muscles de la hanche peut être commencé dans les premières semaines après chirurgie. Une rééducation progressive pendant les 3 premiers mois après la chirurgie inclut des exercices articulaires, des mobilisations patellaires, des exercices proprioceptifs, un entraînement d'endurance et des exercices de renforcement en chaîne fermée. La course en ligne droite, les exercices pliométriques et les exercices spécifiques au sport concerné sont ajoutés après 4 à 6 mois. Le retour au sport arrive généralement entre 7 et 9 mois après chirurgie.
Retour au sport
Des études sur des athlètes de multiples sports montrent que 78 à 91 % des sujets retournent à leur activité sportive après reconstruction du LCA. Cependant, seulement 44 à 62 % retournent à leur niveau sportif antérieur.
CONCLUSIONS ET ORIENTATIONS POUR LES PRATICIENS
1. Le nombre de BLCA chez les jeunes athlètes a augmenté pendant les 20 dernières années, coïncidant avec le nombre croissant d'enfants et d'adolescents participant à des sports organisés et intensifs à un âge de plus en plus précoce, et à un plus grand taux de diagnostic en raison de la sensibilisation accrue et d'une plus grande utilisation de l'imagerie médicale de pointe.
2. Les facteurs de risque intrinsèques pour les BLCA incluent un important IMC, une pronation exagérée de l'articulation subtalaire, une laxité ligamentaire généralisée et une diminution du contrôle neuromusculaire du tronc et des membres inférieurs.
3. Le taux de BLCA est faible chez le jeune enfant et augmente rapidement pendant la puberté, en particulier chez les filles, qui présentent des taux plus importants de BLCA que les garçons pour un même sport.
4. Bien qu'il y ait probablement des facteurs multiples soulignant les différences de taux de BLCA sans contact chez les athlètes hommes et femmes, le contrôle neuromusculaire peut être le facteur le plus important et le plus modifiable.
5. Les BLCA nécessitent souvent une chirurgie et/ou de nombreux mois de rééducation, et beaucoup de temps perdu à l'école et en participation aux sports.
6. Le meilleur examen physique pour une rupture du LCA est le test de Lachman.
7. L'IRM peut être utile pour le diagnostic des ruptures du LCA et des blessures méniscales et chondrales associées pour l'athlète en pédiatrie, dont l'examen physique peut être difficile à réaliser en raison de la douleur, de l'épanchement et du manque de coopération.
8. Une rupture du LCA chez le jeune athlète n'est pas une urgence chirurgicale. De multiples discussions avec l'athlète et les parents peuvent être nécessaires pour comprendre les objectifs de l'athlète et les attentes des parents, et pour éduquer la famille sur les options de traitement possibles.
9. L'âge du squelette du patient, mesuré par une radiographie antéro-postérieure du poignet et de la main gauches, ainsi que par les stades de Tanner, sont utiles au thérapeute pour décider du traitement le plus approprié pour une rupture du LCA chez un athlète au squelette immature.
10. Les pédiatres et les chirurgiens orthopédiques prenant en charge des jeunes patients avec BLCA doivent les avertir que quel que soit le traitement choisi, il y a un risque augmenté d'apparition précoce d'arthrose sur le genou blessé. De telles discussions doivent être documentées de manière appropriée dans le dossier médical du patient.
11. Les changements musculo-squelettiques qui diminuent la stabilité articulaire dynamique des athlètes féminines à haut risque et qui potentiellement conduisent à des taux plus élevés de blessures au sein de cette population peuvent être modifiés si des exercices d'entraînement neuromusculaire sont instaurés précocement au milieu de l'adolescence, au moment où les facteurs de risque neuromusculaires des BLCA commencent à se développer.
12. L'entraînement neuromusculaire semble réduire le risque de blessure chez les athlètes adolescentes de 72 %. Un entraînement préventif qui inclut des exercices pliométriques et du renforcement, combinés à du feedback sur les bonnes techniques, semble être le plus efficace.
13. Les pédiatres et les chirurgiens orthopédiques devraient diriger les patients avec les plus hauts risques de BLCA (ex. adolescentes, patients avec précédente BLCA, laxité ligamentaire généralisée, historique de BLCA dans la famille) vers des ressources appropriées pour réduire leurs risques (ex. (http://www.aap.org/cosmf). De telles discussions doivent également être bien documentées dans le dossier médical du patient.
14. Les pédiatres et les chirurgiens orthopédiques qui travaillent avec des écoles et des organisations sportives sont encouragés à éduquer les athlètes, les parents, les coaches ou toute autre personne impliquée, aux bénéfices d'un entraînement neuromusculaire pour réduire les risques de BLCA et à les diriger vers des ressources appropriées.