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Effets de l'entraînement hypoxique intermittent effectué à un niveau élevé d'hypoxie sur la performance à l'exercice chez les coureurs hautement entrainés

Anthony M. J. Sanchez et al.



Résumé de l’étude : Etude randomisée contrôlée démontrant que l’entrainement intermittent en hypoxie de haute altitude / récup en normoxie (IHNT) entraine des améliorations supplémentaires dans le temps limite à épuisement et l’index de fatigue anaérobie comparé à un entrainement normoxique.
 
Introduction

Il est reconnu qu'une supplémentation hypoxique à l'entraînement provoque un stress métabolique plus élevé, notamment sur le muscle squelettique, en réduisant la pression partielle d'oxygène intramusculaire (Flaherty, O'Connor et Johnston, 2016). Ce stress supplémentaire favorise des réponses adaptatives sélectives qui conduisent à une amélioration de la performance athlétique, en particulier des performances aérobies (Keisho Katayama, Matsuo, 2003). Des données récentes ont également montré que l'entraînement par sprint répété en hypoxie (RSH) permet d'améliorer la capacité de sprint répété (RSA) chez les joueurs de sport d'équipe (Brocherie, Girard, Faiss, & Millet, 2015).

Les adaptations chroniques à l'altitude et à l'entraînement hypoxique normobare comprennent le remodelage musculaire et la modulation des facteurs centraux tels que la ventilation, l'hémodynamique ou les facteurs neuronaux. Les effets les plus reconnus de l'entraînement hypoxique sont la croissance de la densité mitochondriale, l'augmentation de l'activité enzymatique oxydative, l'augmentation de l'épaisseur capillaire et le passage de la combustion glycogènique et lipidique musculaire au glucose sanguin (Bailey et Davies, 1997; Böning, 1997; Flaherty et al. 2016). En outre, une augmentation transitoire de la concentration en hémoglobine et de l'hématocrite peut être observée, en particulier pour l'acclimatation à plusieurs semaines en altitude ou en hypoxie (De Smet et al., 2017, Park et al., 2016, Wehrlin, Marti et Hallén, 2016, Woods et al., 2017). Cependant, la durée de l'exposition hypoxique semble trop faible pour induire des adaptations hématologiques dans les interventions d'entraînement hypoxique (Constantini, Wilhite et Chapman, 2017; Park, Nam, Tanaka et Lee, 2016).

"IHNT" est une modalité d'entraînement par intervalles où les périodes d'exercice de haute intensité sont effectuées sous hypoxie, tandis que les périodes de récupération sont en normoxie. Effectuer des récupérations en normoxie pendant l’IHNT permet l'accomplissement de plus grandes charges de travail pendant les sessions (par exemple plus de répétitions), en particulier lorsque le stimulus hypoxique est la clé. Cependant, à notre connaissance, cette variante de l'IHT n'a pas encore été évaluée chez les athlètes.

Par conséquent, cette étude croisée en double aveugle visait à caractériser les effets d'un IHNT d'endurance (altitude simulée de 5 000 à 5 500 m) sur les capacités aérobies / anaérobies au niveau de la mer chez des athlètes entraînés en endurance. Cette étude visait également à évaluer si les changements potentiels dans les performances des athlètes étaient synchronisés avec les modulations des variables hématologiques. À notre connaissance, aucune étude n'a tenté de tester les effets de l'exercice à une altitude simulée aussi élevée, rendue possible par l'exposition à la normoxie pendant les périodes de récupération.
 
Matériel et méthodes

Participants
Quinze athlètes d'endurance masculins bien entraînés et compétiteurs au niveau régional et national se sont portés volontaires pour participer à cette étude.

Protocole
La figure 1 (a) présente la séquence du protocole expérimental. Il y avait au total huit semaines d'étude avec une semaine de pré-tests (S1), six semaines d’entrainement (S2 à S7) et une semaine de post-tests (S8). Sur S1 et S8, les participants ont effectué une batterie de tests comprenant un test incrémental, un test de temps limite avant épuisement et des tests de saut. Tous les tests de performance (S1 et S8) ont été réalisés en normoxie.

Test incrémental


Sur tapis roulant, le test a été initié avec une vitesse initiale de 10km.h-1 et la vitesse de course a été augmentée de 1 km.h-1 toutes les minutes jusqu'à épuisement.

Tests de saut
Deux jours après le test incrémental, les participants ont effectué un test de Counter Mouvement Jumps (CMJ). Les athlètes ont été invités à effectuer le plus grand nombre de sauts avec une hauteur maximale dans une période de 45s.
Cette série de sauts maximum répétés s'est poursuivie pendant la période de temps définie et un indice de fatigue a ensuite été déterminé. L'indice de fatigue correspond à la baisse des performances de saut au fil du temps

Test de temps limite
Immédiatement après les tests de saut, les participants ont effectué une récupération active sur un cyclo-ergomètre suivi d'une récupération passive de 10 minutes. Ensuite, pour accéder à la performance d'endurance, les athlètes ont effectué un test de temps d'épuisement sur un tapis roulant motorisé à une vitesse de course correspondant à 95% Vo2max jusqu’à épuisement.

Protocole d’entrainement

La conception de l'étude randomisée en double aveugle comprenait un protocole d'entraînement en endurance, qui a été réalisé sur un tapis roulant motorisé. Les participants ont suivi un programme d’entrainement de six semaines (S2 à S7) avec trois sessions d’entrainements par semaine. Les séances d'entraînement consistaient en des exercices intermittents composés de six séries de cinq minutes avec cinq minutes de récupération passive entre chaque série. Le Groupe Hypoxique (GH) a effectué l'entraînement à une altitude simulée de 5 000 m pour S2 et S3 et de 5 500 m pour S4 à S7 respectivement. La récupération entre chaque série était à une altitude ambiante (375m) pour tous les groupes. Le groupe Normoxique (GN) s'est entrainé à une altitude ambiante (375m) pendant tout le protocole. Pour les deux groupes, l'intensité de l'exercice a été fixée à 80 et 85% de vVO2 max pendant les quatre premières semaines et les deux dernières, respectivement.

Les athlètes ont été invités à effectuer deux sessions supplémentaires d'entraînement d'endurance modérée par semaine en dehors du laboratoire.

Pour atteindre l'hypoxie ou la normoxie, les participants ont inhalé de l'air à travers un masque relié à un tube en plastique à un AltiTrainer200® (SMTEC, Nyon, Suisse).

De plus, la saturation en O2 (SpO2) a été mesurée avec un oxymètre digital.

Collecte et analyse d'échantillons de sang

Des échantillons de sang ont été prélevés chaque semaine (S1 à S8)

Les niveaux des variables sanguines suivantes [hémoglobine, Hb; hématocrite, Hct; réticulocytes, Ret; globules rouges, Rbc] ont été mesurés. Les niveaux d'EPO ont également été évalués.
 
Résultats

Sessions d'entrainement

La SpO2 était plus faible dans toutes les séances d'entraînement pour le GH comparé au GN durant les 30 dernières secondes d'entraînement (58,3 ± 2,2% contre 93,8 ± 1,0% pour HG et NG respectivement, P <0,001). L'évolution de la SpO2 d'un athlète représentatif du GH lors d'une séance d’entrainement est présentée en figure 1 (b).

Vitesse aérobie maximale et limites de temps

Les participants GH ont significativement amélioré leur performance durant l'exercice d'épuisement (337 ± 72s contre 427 ± 124s, P <0,05) alors qu'aucune augmentation n'a été trouvée pour NG. (423 ± 80 contre 413 ± 97s, P> 0,05). Néanmoins, ni GH ni GN n'ont montré de changements de vVO2max après la période d’entrainement (P> 0,05).

Indice de performance anaérobie
Il n'y a eu aucun effet de l'entraînement sur GN et GH. Cependant, l'indice de fatigue anaérobie avait tendance à être plus faible pour le GH que pour le GN (P = 0,078) après le programme d'entraînement (-0,291 ± 0,095.u contre -0,428 ± 0,152 pour GH et le GN, respectivement). (Figure 3)

Paramètres hématologiques

Aucun changement significatif pour tous les paramètres dans les deux groupes ne s'est produit tout au long du protocole d'entraînement (Tableau 1).

Discussion

Selon les données, l’IHNT (comme démontré avec le GH) semble plus efficace que l'entraînement d'endurance intermittent au niveau de la mer pour l'amélioration de la capacité d'endurance chez les athlètes hautement entrainés.
Avec un modèle expérimental en double aveugle, notre protocole IHNT a montré des effets supplémentaires sur un exercice de temps jusqu'à épuisement à une intensité correspondant à 95% de V02max.

Dans cette étude, le temps d'épuisement à une vitesse associée à VO2 max a été amélioré de 35% alors qu'aucun effet significatif n'a été rapporté dans le groupe normoxie. Bien que le protocole d'entraînement actuel diffère des études récentes qui ont également utilisé une procédure en aveugle (Holliss et al., 2014), la présente étude confirme qu'un IHT peut améliorer les performances d'endurance chez les athlètes hautement entraînés.

De manière inattendue, les résultats ont démontré que le protocole IHNT peut avoir certains effets sur la performance anaérobie, comme suggéré par la tendance observée concernant la baisse de la performance au cours de la succession de CMJ entre GH et GN. Cependant, il a été démontré que l'entraînement par intervalles de sprint en hypoxie régulait positivement l'activité de la phosphofructokinase musculaire et le seuil anaérobie plus que la normoxie (Puype, Van Proeyen, Raymackers, Deldicque et Hespel, 2013).

Les découvertes actuelles n'ont pas établi si l'IHNT peut améliorer d'autres composants de la performance anaérobie, ce qui justifie certainement d'autres investigations, en particulier avec un intérêt dans la comparaison des effets avec l'IHT classique.

En ce qui concerne les variables hématologiques, chaque modalité d'entraînement n'était pas suffisante pour induire des changements significatifs dans le contenu des réticulocytes, des globules rouges, de l'hémoglobine et de l'érythropoïétine. Les estimations des variations du volume plasmatique et des valeurs de l'hématocrite n'ont pas indiqué de différences significatives tout au long du protocole. Ces résultats sont en accord avec les données antérieures de Jullian al. et Roels et al. soulignant que l'exposition hypoxique pendant l'entraînement est probablement trop courte pour stimuler suffisamment l'érythropoïèse et favoriser l'augmentation des marqueurs érythropoïétiques (Julian et al., 2004, Roels et al., 2005).

En résumé, les données actuelles étayent la littérature antérieure en étendant l'absence d'effet de l’IHT sur plusieurs variables hématologiques systémiques à un entraînement intermittent en hypoxie élevée.

Conclusion
 
La présente étude randomisée en double aveugle a indiqué que l'IHNT améliore les performances d'endurance chez les athlètes d'endurance bien entraînés. Bien qu'il soit conseillé de faire preuve de prudence lorsqu'on propose des IT aérobie en ce qui concerne les performances anaérobies, la présente étude semble indiquer qu'avec une forte exposition à l'hypoxie, les IT ne devraient pas compromettre les performances anaérobies.
 
Article original : Anthony M. J. Sanchez & Fabio Borrani (2018): Effects of intermittent hypoxic training performed at high hypoxia level on exercise performance in highly trained runners, Journal of Sports Sciences, DOI: 10.1080/02640414.2018.1434747

 
Références :
 
Bailey, D. M., & Davies, B. (1997). Physiological implications of altitude training for endurance performance at sea level: A review. British Journal of Sports Medicine, 31(3), 183–190
Böning, D. (1997). Altitude and hypoxia training–A short review. International Journal of Sports Medicine, 18(8), 565–570.
Brocherie, F., Girard, O., Faiss, R., & Millet, G. P. (2017). Effects of repeated- sprint training in hypoxia on sea-level performance: A meta-analysis. Sports Medicine (Auckland, N.Z.), 47(8), 1651–1660.
 Constantini, K., Wilhite, D. P., & Chapman, R. F. (2017). A clinician guide to altitude training for optimal endurance exercise performance at sea level. High Altitude Medicine & Biology, 18(2), 93–101.
De Smet, S., Van Herpt, P., D’Hulst, G., Van Thienen, R., Van Leemputte, M., & Hespel, P. (2017). Physiological adaptations to hypoxic vs. Normoxic training during intermittent living high. Frontiers in Physiology, 8, 347
Flaherty, G., O’Connor, R., & Johnston, N. (2016). Altitude training for elite endurance athletes: A review for the travel medicine practitioner. Travel Medicine and Infectious Disease, 14(3), 200–211.
Julian, C. G., Gore, C. J., Wilber, R. L., Daniels, J. T., Fredericson, M., Stray- Gundersen, J., ... Levine, B. D. (2004). Intermittent normobaric hypoxia does not alter performance or erythropoietic markers in highly trained distance runners. Journal of Applied Physiology (Bethesda, Md.: 1985), 96(5), 1800–1807.
Katayama, K., Matsuo, H., Ishida, K., Mori, S., & Miyamura, M. (2003). Intermittent hypoxia improves endurance performance and submaxi- mal exercise efficiency. High Altitude Medicine & Biology, 4(3), 291–304.
Park, H.-Y., Nam, -S.-S., Tanaka, H., & Lee, D.-J. (2016). Hemodynamic, hemato- logical, and hormonal responses to submaximal exercise in normobaric hypoxia in pubescent girls. Pediatric Exercise Science, 28(3), 417–422.
Puype, J., Van Proeyen, K., Raymackers, J.-M., Deldicque, L., & Hespel, P. (2013). Sprint interval training in hypoxia stimulates glycolytic enzyme activity. Medicine and Science in Sports and Exercise, 45(11), 2166–2174.
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Woods, A. L., Sharma, A. P., Garvican-Lewis, L. A., Saunders, P. U., Rice, A. J., &
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