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EFFICACITE DU PROTOCOLE D’ALFREDSON EN COMPARAISON A UN PROTOCOLE A PLUS FAIBLE NOMBRE DE REPETITIONS DANS LE CAS DE TENDINOPATHIE DE LA PARTIE MEDIANE DU TENDON D’ACHILLE



Aussi communes chez les sportifs que pour le reste de la population [2], les tendinopathies sont souvent associées à des douleurs et des déficiences persistantes malgré les traitements [3].
Des arrêts de travail et des fins des carrières sportives peuvent avoir lieu pour ces raisons, montrant l’important impact socio-économique de ces pathologies [4].

L’étiologie des tendinopathies présente encore de nombreuses inconnues. Dans certains cas, l’absence de prostaglandine, médiateur inflammatoire [5], a amené à remplacer le terme traditionnel de tendinite par celui de tendinopathie [6].
Par ailleurs, en raison  de l’absence de ces infiltrats inflammatoires, il est reconnu que l’utilisation des stratégies anti-inflammatoires est généralement inefficace dans ces conditions. Ce changement dans la compréhension de la physiopathologie a incité le recours à du travail musculaire excentrique, considéré comme une option viable pour la rééducation [7]. Les exercices excentriques sont considérés comme sûrs, et les travaux antérieurs indiquent le succès de cette approche dans le traitement des tendinopathies de la partie médiane du tendon d’Achille [8, 9, 10].

Le protocole d’Alfredson est un programme d’exercices utilisé dans le cas de tendinopathies d’Achille. Il a été largement adopté dans la recherche et dans la pratique clinique. Le protocole recommande la réalisation de 180 répétitions excentriques par jour [11]. Actuellement, il n’existe pas de justifications solides de ce volume de travail [12].  Dans ce protocole, en cas d’apparition de la douleur, le patient doit poursuivre les exercices demandés. Il est néanmoins conseillé d’arrêter le travail si la douleur devient invalidante. Cela soulève d’importantes questions sur l’adhésion du patient aux exercices et sur sa satisfaction du traitement qui peuvent avoir un impact sur l’efficacité globale du protocole proposé.
De plus, la plupart des études qui montrent la réussite des traitements par cette approche ont été réalisées sur des sportifs, ou tout du moins, une population d’actifs [13,14]. Les études portant sur des populations sédentaires ont quant à elles des résultats bien moins probants [8, 15].

L’objectif de l’étude présentée aujourd’hui et publiée dans le Journal of Orthopaedic and Sports Physical Therapy en février 2014, est de comparer l’efficacité du protocole d’Alfredson avec celle d’un protocole modifié respectant le seuil douloureux au sein d’une population d’actifs et d’une population de sédentaires présentant une tendinopathie de la partie médiane du tendon d’Achille.

Méthodes

Schéma de l’étude
Les participants (n=28) ont été affectés au hasard en 2 groupes qui ont tous deux appris le protocole d »exercice excentrique d’Alfredson.
Le groupe A dit « standard » (n=15)) a effectué 180 répétitions par jour tandis que le groupe B (n=13) a été invité à effectuer le nombre de répétitions que les participants pouvaient raisonnablement réaliser.

Critères d’inclusion et d’exclusion
Les participants devaient être âgés d’au moins 18 ans, avoir des symptômes depuis au moins 3 mois, avoir une douleur palpatoire pendant ou après l’activité au niveau de la partie médiane du tendon d’Achille (entre 2-7 cm de l’insertion proximale).
Les critères d’exclusion étaient des douleurs aux insertions tendineuses, des antécédents de fractures du membre inférieur, de chirurgie du membre inférieur les 12 mois précédents l’étude, la présence d’une bursite, de l’arthrite rhumatismale, du diabète ou tout autre trouble systémique, des injections de stéroïdes à proximité du tendon d’Achille le mois précédent l’étude, une expérience antérieure de renforcement excentriques, des symptômes de rupture partielle, toute malformation congénitale affectant le membre inférieur. 

Procédure
Chaque participant a été vu par le même clinicien tout au long de l’étude. Les participants ont effectué un apprentissage des exercices et ont reçu des instructions écrites ainsi qu’un journal d’entraînement leur permettant d’indiquer quotidiennement le volume d’entraînement réalisé. 


Exercice excentrique
Les deux groupes ont pratiqué les exercices excentriques tels qu’ils sont décrits par Alfredson et al. :
http://www.kinesport.info/LESIONS-TENDINEUSES-ET-TRAVAIL-EXCENTRIQUE_a2138.html
Le groupe « standard » a réalisé 180 répétitions par jour répartis en 3 séries de 15 répétitions genou tendu et genou fléchi, 2 fois par jour. L’autre groupe a réalisé les mêmes exercices, 2 fois par jour, avec l’objectif d’atteindre le même nombre de répétitions que le groupe « standard », mais en ayant la possibilité de choisir le nombre de répétitions qu’ils pouvaient tolérer.
Les deux groupes ont été informés qu’ils pouvaient travailler jusqu’à l’inconfort mais sans douleur excessive. Les participants ont été encouragés à progresser dans leur entraînement en portant des sacs à dos lestés quand les exercices devenaient moins douloureux. Il a également été demandé après les séances d’éviter des fortes sollicitations ou des activités sportives afin d’obtenir un repos relatif jusqu’à la diminution des douleurs.

Mesure des résultats
Le Victorian Institute of Sport Assessment-Achilles (VISA-A) a été choisi comme évaluation principale pour cette étude (http://www.kinesport.info/Le-score-VISA_a2103.html). Cet auto-questionnaire se compose de 8 questions évaluant la douleur, la fonction et la capacité à participer aux activités, avec une note allant de 0 à 100 (plus le score est élevé, moins l’atteinte est sévère). Le VISA-A est réputé comme valide et fiable chez les personnes atteintes de tendinopathies d’Achille [16].

L’échelle visuelle analogique (EVA), sur laquelle 0 signifie « pas de douleur » et 100 « pire douleur imaginable », a été utilisée comme mesure secondaire de l’intensité de la douleur perçue. L’EVA est considérée comme valide, fiable et sensible aux changements cliniques [17] et a été utilisée comme mesure des douleurs relatives aux tendinopathies [3].
La satisfaction du traitement (ST) a également été utilisée comme mesure secondaire. Il a été demandé aux participants d’évaluer la ST en la qualifiant de pauvre, modérée, bonne, excellente.
Une évaluation a eu lieu aux 3ème et 6ème semaines.

Résultats
Nombre de répétitions
Le nombre moyen de répétitions réalisées par jour étaient de 112 pour le groupe B et de 166 pour le groupe « standard ». La différence entre les deux groupes est statistiquement significative.
Aucune différence significative n’a été retrouvée entre le nombre de répétitions et le niveau d’activité des participants (actif ou sédentaire).
VISA-A
L’évolution clinique des participants a été améliorée au sein des deux groupes. L’amélioration du groupe B est quasi linéaire passant en moyenne  de 47,1 au départ à 62,5, différence statistiquement significative.
Pour le groupe « standard », le score s’est d’abord détérioré (semaine 3) pour finalement s’améliorer à la semaine 6, passant en moyenne de 49,6 à 58,7, différence statistiquement significative.
La différence entre les groupes n’est pas significative à la semaine 6. Une différence significative a été trouvée à la semaine 3 qui peut être partiellement attribuée à l’aggravation du VISA-A du groupe « standard ».

EVA
Une amélioration des scores  des deux groupes a été relevée, avec une différence plus marquée pour le groupe B mais non significative.

 
Satisfaction du traitement
La satisfaction du traitement n’a pas été associée à un type de traitement reçu. Aucune corrélation significative n’a été trouvée entre le traitement, le taux de satisfaction et des modifications dans les scores du VISA-A et de l’EVA.

Discussion
Les résultats retrouvés à l’EVA après 6 semaines de protocole sont semblables à ceux précédemment retrouvés dans la littérature sur le protocole d’Alfredson.
Des études antérieures se basant sur des protocoles de 12 semaines et de 16 semaines ont également constatées une modification du VISA-A avec des résultats similaires à ceux présentés [8, 13, 15, 18, 19].
Il est à signaler que cette étude n’a pas suivi les participants après le protocole de 6 semaines. Le volume total de travail serait beaucoup plus élevé sur une période plus longue et pourrait être associé à de plus importantes améliorations. Il serait important dans le cadre de recherches futures d’étudier l’influence à long terme du nombre de répétitions sur les évolutions cliniques.
Dans la présente étude, il a été retrouvé une différence significative du VISA-A (pour les deux groupes) et une aggravation du score significative à la semaine 3 pour le groupe « standard ».  Par ailleurs, la  progression du groupe B tend à être plus importante bien que non significative. Ces constatations peuvent avoir des répercussions sur le dosage des exercices excentriques, suggérant qu’un dosage respectant la tolérance des patients permet d’empêcher la première aggravation des symptômes tout en étant aussi efficace. Une enquête plus approfondie sur l’impact à court terme de la nécessité de pratiquer les 180 répétitions semble bien nécessaire.

Une définition optimale du dosage des exercices excentriques (durée, fréquence, intensité) apparaît comme nécessaire à la rééducation des tendinopathies. Le dosage des exercices doit passer une perspective de rééducation personnalisée permettant d’adapter la charge de travail imposée aux patients.  Silbernagel et col. [13] ont utilisé un modèle de surveillance de la douleur pour empêcher la surcharge comme la sous-charge des tissus. Une telle stratégie peut permettre aux patients de jouer un rôle plus actif dans la gestion de leur pathologie.
Il est souvent mentionné la nécessité de respecter un seuil de 75% du volume total de contractions excentriques afin d’avoir les meilleurs résultats (entre 135 et 180 répétitions) [15, 20, 21].
Dans cette étude, le groupe « standard », le nombre de répétitions a été supérieur au seuil de 75%. En revanche, le groupe B était en dessous de ce seuil. Au vu des résultats, cela implique que des patients n’ayant pas une bonne tolérance au travail excentrique peuvent quand même bénéficier de résultats positifs par un protocole d’Alfredson modifié.

Conclusion
A la fin du protocole excentrique de 6 semaines, aucunes différences significatives pour les scores du VISA-A et de l’EVA n’ont été retrouvées entre les deux groupes, tous deux constitués de patients atteints de la partie médiane du tendon d’Achille. Les deux groupes ont présenté en fin de protocole des améliorations de ces deux scores.
Une détérioration du score du VISA-A a été relevée à la 3ème semaine pour le groupe devant réaliser 180 répétitions par jour.
Davantage de recherche semble nécessaire pour déterminer les paramètres optimaux du dosage des exercices excentriques dans le traitement des tendinopathies de la partie médiane du tendon d’Achille.

Texte écrit par Erwann Le Corre
Bibliographie
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