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EFFETS DE L’IMMERSION EN EAU FROIDE APRES UN ENTRAINEMENT DE RUGBY SUR LA PUISSANCE MUSCULAIRE ET LES MARQUEURS BIOCHIMIQUES



 
INTRODUCTION 
 
Malgré la popularité de l’immersion en eau froide (IEF) comme technique de récupération, peu de recherches ont été menées. Le traitement par IEF lors de lésions aiguës a été utilisé pour expliquer les effets physiologiques présumés de la récupération post-exercice. 
Toutefois, l’effet positif de l’IEF sur la récupération de la force, de la puissance musculaire ou encore des DOMS après une activité musculaire n’a pas été clairement démontré. 
Bailey et col. (2007) ont rapporté que l’IEF réalisé immédiatement après 90 minutes d’un effort intermittent de courses (navettes) ayant entraîné des dommages musculaires induit une atténuation de la gravité des douleurs musculaires, du dysfonctionnement musculaire temporaire et de l’élévation de certains marqueurs sériques des lésions musculaires à 1, 24 et 48 heures post-exercice [1]. 
Pournot et col. (2011) ont relevé des améliorations significatives de la force maximale volontaire et de la puissance après 30 secondes en IEF pour un groupe et en  immersion contrastée pour l’autre groupe, 1 heure après 20 minutes d’un exercice intermittent en comparaison aux pré-tests [2]. 
Kevin et col. (1996) ont suggéré que 20 minutes d’IEF à 13°C a significativement diminué les performances au saut vertical et lors de courses navettes par rapport à un groupe contrôle [3]. 
Sellwood et col. (2007) ont quant à eux montré que 3 x 1 minute d’IEF à 5°C étaient inefficaces pour atténuer les marqueurs des DOMS chez des individus non entraînés [4]. 
Malgré ces études, les effets de l’IEF sur la force et la puissance des athlètes sont encore aujourd’hui controversés (Bleakly et col., 2012) [5]. Les différences entre les méthodes d’IEF (durée et température), le type de travail (endurance ou puissance et type de sprints) et la population (sportifs ou non), ainsi que les méthodes statistiques utilisées, sont des explications possibles aux résultats contradictoires  existants. 
Plusieurs des études préliminaires ont été réalisées en laboratoire. Néanmoins, pour connaître l’efficicacité de l’IEF chez des joueurs de rugby après une journée d’entraînements ou après un match, l‘expérience doit être menée dans un environnement réaliste dans lequel on retrouve les nombreux contacts, les accélérations et les freinages accompagnés des contractions excentriques à haute intensité. 
Le nombre de contacts dans le jeu au rugby est corrélé à l’augmentation des marqueurs des dommages musculaires tels que la créatine kinase (CK) et la myoglobine (Takarada, 2003) [6]. Gill et col. (2006) ont révélé que l’immersion contrastée était plus efficace que la récupération passive pour réduire l’augmentation de la CK chez des joueurs de rugby après un match [7]. Malheureusement, les modifications de la puissance musculaire et des performances n’ont pas été mesurées dans cette étude. 
Elias et col. (2012) ont évalué les effets de l’IEF sur la puissance musculaire et les DOMS en récupération après entraînement chez des footballeurs australiens [8]. Dans cette étude, les auteurs ont indiqué les effets positifs de l’IEF sur la puissance musculaire. Toutefois les données concernaient uniquement la moyenne et l’écart-type. 
Par conséquent, il est précieux d’étudier les effets de l’IEF sur les dommages induits et la puissance musculaire après un match de rugby avec contacts et contractions musculaires de haute intensité. 
Les auteurs de cette étude, publiée en 2014 dans le Journal of Sports Science and Medicine, émettent l’hypothèse que les entraînements et les matchs avec contacts et plaquages entraînant des dommages musculaires conduisent à la diminution de la puissance musculaire tandis que l’IEF protège contre les dommages musculaires et le déclin de la performance musculaire. 
Cette étude a examiné l’impact de l’utilisation de l’IEF après une session d’entraînement incluant des contacts corporels intenses entraînant des modifications des paramètres biochimiques, témoins des dommages musculaires ainsi que des tests musculaires fonctionnels chez des joueurs de rugby. 
 

METHODES
 
Sujets
 
20 joueurs de rugby universitaires se sont portés volontaires pour cette étude. Les participants étaient au début de leur saison et n’était pas blessés au moment des tests. 
 
Conception de l’étude
 
Les auteurs ont effectué 2 fois les mêmes essais expérimentaux. Les 20 participants ont été séparés en 2 groupes, 1 groupe IEF (n=10), 1 groupe contrôle (n=10). Lors du 2ème essai, les groupes ont été inversés (cross-over). Ainsi le nombre de sujet par groupe était de 20 personnes. 

 

Procédure

Simulation de l’entraînement

Tous les participants ont d’abord subi 80 minutes de jeu avec plaquages et contacts : 1ère session. L’entraînement était composé de 2 types d’exercices :
1-     Durant l’entraînement, 2 joueurs étaient désignés comme attaquant ou défenseur, à 10m l’un de l’autre. Durant l’attaque du premier joueur, il était demandé au défenseur de venir au plaquage.

Ensuite, l’attaquant devait pousser la défense à la ligne de départ.
Après cela, les joueurs étaient mis à 15m puis à 22m l’un de l’autre et ont répété les mêmes exercices.
Les joueurs ont ensuite inversés les rôles et ont répété la même séquence d’exercices. 10 séries ont été effectuées.

2-     Dans le jeu, 10 joueurs ont joué en attaque, 10 en défense. Séparés de 10m, le groupe « défense » a pour objectif de bloquer le groupe « attaque ». Si le groupe d’attaquants est stoppé avec succès, le ½ de mêlée du groupe « attaque » essayait une nouvelle attaque. Cet exercice a été effectué pendant 50 minutes.
Les groupes ont été inversés de façon périodique afin que les joueurs aient le même volume de phases d’attaque et de défense.  

Pendant l’entraînement, la fréquence cardiaque et la distance parcourue ont été enregistrés pour 6 sujets choisis au hasard (VXsport et GPS). 

Eléments de mesure

Immédiatement après l’entraînement (2 minutes), un échantillon de sang a été prélevé et la puissance musculaire a été mesurée.
Pour les indicateurs des dommages musculaires, 5ml de sang on été prélevés et analysés, s’intéressant à la CPK, l’asparate aminotransférase (AST), le lactate déshydrogénase (LDH) et la créatine (Cre). Le lactate sanguin (La) a été mesuré par capillarité à partir d’une piqure au doigt, témoin de la fatigue et de l’intensité de l’exercice.
Le sprint sur 50m, le Counter Movement Jump (CMJ), le temps de réaction, les pas latéraux pendant 20 secondes et la puissance maximale sur cyclo-ergomètre pendant 10 secondes ont été mesurés comme indices de la puissance musculaire et de la performance neuromusculaire. 
La fatigue a également été mesurée par évaluation subjective sur une visuelle numérique (de 1 à 10).
La température corporelle a été évaluée par 2 méthodes : température axillaire et température de la surface corporelle (cutanée).
Ces éléments ont été mesurés avant, immédiatement après puis 24h après l’entraînement. La température corporelle  et la sensation de fatigue ont également été évaluées dans les 30 secondes suivant l’IEF.

Immersion en eau froide
Immédiatement après le prélèvement sanguin (1 minute) et les mesures de la puissance musculaire, le groupe IEF a été immergé (sauf tête et cou), dans de l’eau froide à 15°C pendant 10 minutes (5 minutes après la fin de l’entraînement).
La température de l’eau a été contrôlée avec un thermomètre et maintenue constante tout au long de l’expérience.
Le groupe témoin était au repos, en position assise sur une chaise pendant 15 minutes.


Résultats

-        La distance totale parcourue a été de 4,7± 0,8 km, avec une vitesse moyenne de 22,2 ± 1,6 km/h. 37,6 ± 3 plaquages ont été effectués avec 10,4 ± 2,5 contacts.
La fréquence cardiaque moyenne lors de l’entraînement était de 134,2 ± 8,7 bpm et 186,8 ± 5,3 bpm pour la FC max.
La durée totale de l’entraînement était de 83,4 ± 5,4 minutes.
 
-        Température corporelle :
Une interaction significative a été trouvée entre le temps et les groupes pour la température corporelle. La température axillaire en pré et post-entraînement pour les 2 groupes était quasi identique, néanmoins, la température cutanée a significativement diminuée immédiatement après IEF et récupération passive. De plus, une différence significative a été trouvée pour la température cutanée entre les groupes : 20,5 ± 1°C pour le groupe IEF vs 28,2 ± 1,4°C pour le groupe contrôle. Après 24h, aucune différence significative n’a été trouvée entre les groupes.
 
-        Fatigue :
Une interaction significative a été trouvée entre le temps et le ressenti de la fatigue. La sensation de fatigue augmentait après entraînement pour les deux groupes. Par contre, elle diminuait immédiatement après l’IEF, significativement plus bas que le groupe contrôle (4,9 ± 1,6 pour le groupe IEF vs 6,7 ± 1 pour le groupe contrôle). Après 24h, la sensation de fatigue était significativement plus basse pour les 2 groupes, mais aucune différence n’a été retrouvée entre les groupes.
 

-        Marqueurs sanguins :
Aucune différence significative n’a été trouvée entre le temps et les groupes pour les marqueurs sanguins. Les marqueurs sanguins de dommages musculaires (AST, LDH, CPK et Cre) ont significativement augmenté après l’entraînement.

Après 24h, L’AST est resté inchangé tandis que la LDH a significativement diminué dans les 2 groupes, restant élevée par rapport au pré-entraînement. 

La CPK a significativement augmenté après 24h par rapport à la mesure post-entraînement dans les deux groupes. Après IEF, la CPK a tendance à être plus basse que dans le groupe contrôle bien que la différence ne soit pas significative.

La Cre a significativement diminuée après 24h dans les deux groupes.

Le lactate sanguin a significativement augmenté après entraînement pour les deux groupes, retrouvant son niveau initial après 24h.

Ainsi il a été retrouvé des effets à court terme sur les marqueurs sanguins mais aucune différence n’a été relevée entre les groupes. 



-        Tests fonctionnels :

Le temps au 50m a significativement augmenté pour le groupe IEF après entraînement. Après 24h, le temps au 50m reste plus long par rapport au temps pré-entraînement mais ne différait pas du temps post-entraînement. Dans le groupe contrôle, le temps au 50m a significativement augmenté de immédiatement après l’entraînement jusqu’à 24h après.

Les performances au CMJ, au temps de réaction, aux pas latéraux, à la puissance maximale développée sur vélo pendant 10 secondes n’ont pas été modifiées après l’entraînement. Néanmoins, les performances du  temps de réaction et des pas latéraux ont significativement déclinées entre le pré ou le post-entraînement et après 24h pour le groupe contrôle.

Ainsi, quand on regarde les résultats de l’analyse statistique des tests fonctionnels (cf. tableaux ci-dessous), aucune interaction significative n’a été trouvée entre le moment de la mesure et les groupes (IEF et contrôle). 

Conclusion

Les résultats suggèrent qu’un match de rugby induit des dommages musculaires et des dysfonctionnements musculaires. Cependant, l’IEF n’a montré aucun effet significatif réparateur après 80 minutes de rugby sur les marqueurs des dommages musculaires.

D’un autre côté, en se basant sur la sensation de fatigue et sur la mesure de certains tests fonctionnels, l’IEF pourrait être un moyen de récupération utile après un exercice physique intense.

D’autres études devraient également s’intéresser à la mise en application de l’IEF à différents délais (48h, 72h) afin de déterminer la stratégie de récupération la plus efficace pour les athlètes pratiquant des sports de contacts à haute intensité.
Par Erwann Le Corre


Article original :
Masaki Takeda, Takashi Sato, Tatsushi Hasegawa, Hiroto Shintaku, Hisashi Kato, Yoshihiko Yamaguchi and Zsolt Radak. The Effects of Cold Water Immersion after Rugby Training on Muscle Power and Biochemical Markers. ©Journal of Sports Science and Medicine (2014) 13, 616-623

Bibliographie :
[1] Bailey, D.M., Erith, S.J., Griffin, P.J., Dowson, A., Brewer, D.S., Gant, N. and Williams, C. (2007) Influence of cold-water immersion on indices of muscle damage following prolonged intermittent shuttle running. Journal of Sports Sciences 25(11), 1163-1170.
[2] Pournot, H., Bieuzen, F., Duffield, R., Lepretre, P.M., Cozzolino, C. and Hausswirth, C. (2011) Short term effects of various water immersions on recovery from exhaustive intermittent exercise. European Journal of Applied Physiology 111(7), 1287-1295.
[3] Kevin, M.C., Rick, W.W. and David, H.P. (1996) Functional performance following an ice  immersion to the lower extremity. Journal of Athletic Training 31(2), 113-116.
[4] Sellwood, K., Brukner, P., Williams, D., Nicol, A. and Hinman, R. (2007) Ice-water immersion and delayed-onset muscle soreness: a randomised controlled trial. British Journal of Sports Medicine 41(6), 392-397.
[5] Bleakley, C., McDonough, S., Gardner, E., Baxter, G.D., Hopkins, J.T. and Davison, G.W. (2012) Cold-water immersion (cryotherapy) for preventing and treating muscle soreness after exercise (Review). The Cochrane Database of Systematic Review 15(2), CD008262.
[6] Takarada, Y. (2003). Evaluation of muscle damage after a rugby match with special reference to tackle plays. British Journal of Sports medicine 37(5), 416-419.
[7] Gill, N.D., Beaven, C.N. and Cook C. (2006) Effectiveness of postmatch recovery strategies in rugby Players. British Journal Sports Medicine 40(3), 260-263.
[8] Elias, G.P., Varley, M.C., Wyckeisma, V.L., McKenna, M.J., Minahan, C.L. and Aughey, R.J. (2012) Effects of Water Immersion on Posttraining Recovery in Australian Footballers. International Journal of Sports Physiology 7(4), 357-366.