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Douleurs d’épaules : intérêt de la compréhension dans le diagnostic/traitement clinique



La gestion de la douleur est l’un des problèmes principaux auquel le kinésithérapeute est confronté durant sa pratique clinique. La compréhension de ces causes permet au praticien de mettre en place une stratégie thérapeutique adaptée au patient et à la pathologie, dans un souci d’efficacité.
La douleur est une information qui doit être prise en compte par le praticien, mais qui ne doit pas ralentir le processus de rééducation/réhabilitation.
La gestion des douleurs relatives à l’épaule rentre dans ce cadre de prise en charge thérapeutique complexe, où la compréhension des causes de la douleur permettra d’éviter les non sens de prise en charge et de communication avec le patient et aidera à optimiser le traitement.
 
Rappels sur la nociception
 
La nature de la douleur est un sujet très controversé depuis des siècles, où bien des théories se sont confrontées.
Au 17ème siècle, Descartes (1596-1650) proposait une théorie où l’intensité de la douleur était directement liée à la quantité de tissu lésé. Selon Descartes, la douleur utilisait une voie de traitement spécifique.
Au 20ème siècle, deux courants scientifiques s’opposent, avec d’un côté ceux prônant la théorie de la spécificité ou « specificity theory » et d’un autre côté ceux prêchant la « pattern theory ».
Les partisans de la théorie dite « spécifique » ou théorie de Descartes voient la douleur comme une modalité distincte d’entrée sensorielle, utilisant son propre appareil de traitement. Au contraire, les défenseurs de la « pattern theory » estiment que la douleur résulte de la stimulation intense de récepteurs non spécifiques.
 

 
Récepteurs sensoriels périphériques
 
Nous savons aujourd’hui qu’il n’existe pas de structure spécifique histologiquement individualisée pour capter la douleur. La grande variabilité des récepteurs sensoriels périphériques permet un classement relatif à la fonction (mécanorécepteurs, thermorécepteurs, nocicepteurs) ou la morphologie (terminaison libre ou encapsulée).
Ces différents types de récepteurs peuvent ainsi être classés en sous groupe, en se basant sur la présence de certains marqueurs chimiques. Il est acquis qu’il existe un lien entre les différents types de récepteurs, comme par exemple entre les mécanorécepteurs et les nocicepteurs, ce qui est à l’origine de bien des confusions.
Les messages nociceptifs sont générés au niveau des terminaisons libres des fibres nerveuses, constituant des arborisations plexiformes dans les tissus cutanés, musculaires, articulaires ainsi que dans les parois des viscères. 
 

 Il faut donc comprendre que le système nociceptif peut être activé par une grande variété de formes d’énergie (mécanique, thermique, chimique). Cependant, le caractère commun de cette variété semble se situer dans l’intensité de la stimulation, capable de créer une vraie lésion tissulaire.
La lésion tissulaire provoquée est responsable d’une série d’évènements étroitement liée aux processus inflammatoires, venant prolonger l’activation des nocicepteurs induisant ainsi une sensibilisation
Douleurs d’épaules : intérêt de la compréhension dans le diagnostic/traitement clinique

A ce jour, les mécanismes de la génération des messages nociceptifs ne sont pas entièrement élucidés. Cependant, il semble clair qu’une multitude de substances chimiques très diverses dite « soupe périphérique » interagissent entre elles, pouvant ainsi moduler l’activité́ des nocicepteurs.
Les fibres sensitives ne sont pas uniformes, elles propagent l’information sensorielle à des vitesses de conduction différentes, en fonction de leur diamètre et de l’épaisseur de leur gaine de myéline.
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L’existence de ces deux groupes de fibres afférentes fines a permis de mieux comprendre le phénomène dit de double douleur parfois ressentie lors de l’application de stimulations cutanées brèves et intenses. 

Cheminement de l’information nociceptive
 
La fibre nerveuse est en réalité le prolongement périphérique ou axone du premier neurone dont le corps cellulaire est situé dans le ganglion spinal (ganglion trigéminal de Gasser).
Douleurs d’épaules : intérêt de la compréhension dans le diagnostic/traitement clinique

Après avoir emprunté le nerf périphérique puis pour certains un plexus, l’influx nociceptif se dirige vers le nerf spinal. Dans la grande majorité́ des cas, les afférences du système nerveux central gagnent la moelle spinale par les racines dorsales ou leurs équivalents au niveau des nerfs crâniens.
Le message nociceptif va ensuite être transféré de la moelle épinière vers le cerveau au niveau du thalamus et du cortex.
Nous simplifions au maximum dans un souci de compréhension, l’importance de notre point de vue est de comprendre que le message nociceptif peut être transmis à partir de différents types de stimulation, et que ce dernier passe différents étages où il pourra être régulé.

Diversité des contrôles de la nociception
 
Il est acquis à ce jour, que le message de la douleur peut être régulé à différents niveaux tout au long de son cheminement vers le cerveau.
En 1965, Wall et Melzack montrent que la stimulation des fibres de gros diamètre myélinisées (conduction nerveuse plus rapide, cf. tableau) stimule un neurone intermédiaire dit inhibiteur, qui va éteindre les messages douloureux issus de la périphérie. Ce neurone ou interneurone va éteindre les messages douloureux provenant des fibres nerveuses Aδ et C. Il s’agit de la théorie du gate control.
 

Depuis 1975, nous savons que le corps sécrète ses propres substances anti-douleur, telles que les endomorphines ou endorphines.
L’objet n’est pas ici de rentrer dans le détail trop complexe des systèmes de régulation de la douleur, mais il nécessaire une nouvelle fois d’avoir à l’esprit que la douleur peut être régulée à différents étages.
 
Douleurs d’épaules : intérêt de la compréhension dans le diagnostic/traitement clinique

Récepteurs périphériques et épaule
 
Au vu des informations précédentes, il nous semble intéressant de savoir où sont localisés les récepteurs sensoriels au niveau de l’épaule. L’objectif étant de permettre au thérapeute de mieux appréhender la prise en charge du phénomène douloureux dans la rééducation d’une pathologie de l’épaule, et ainsi de potentialiser son diagnostic et sa thérapeutique.
 
En 1999, Minaki et al. démontrent lors d’une étude sur le rat, la présence d’une densité importante de nocicepteurs au niveau de l’insertion humérale de la coiffe des rotateurs. L’étude nous montre que le muscle supra-épineux est très densément innervé par des mécanorécepteurs et des nocicepteurs (figure ci-dessous), en particulier au niveau de la partie postérieure de l’épaule. 
Douleurs d’épaules : intérêt de la compréhension dans le diagnostic/traitement clinique

Dans une étude histologique sur le rat, Backenkholer et al. montrent que l’on retrouve au niveau des muscles de la coiffe des rotateurs les organes tendineux de Golgi principalement au niveau de la jonction myo-tendineuse et proche de l’insertion tendineuse au niveau de la capsule articulaire.
Deux études sur des cadavres nous montrent que les ligaments gléno-huméraux supérieur, moyen et inférieur contiennent une densité importante de mécanorécepteurs et de terminaisons libres.
Les études de Tarumoto et al. et de Solomonow  et al. nous montrent que la partie inférieure de la capsule articulaire est la plus densément innervée en mécanorécepteurs (Pacini) et en propriocepteurs (Ruffini, Golgi).
De manière générale, une densité importante de mécanorécepteurs dans certaines régions de l’épaule coïncide avec des zones où le contrôle sensoriel est essentiel. La présence des ces récepteurs au niveau de la capsule articulaire et du labrum prouve leur rôle important dans les réflexes de protection lors des mouvements anormaux ou extrêmes.
 
Au niveau de la bourse sous acromiale, Ide et al. montrent la présence en nombre important de fibres nociceptives de type C et A delta (nociceptives) de mécanorécepteurs types Ruffini et Golgi. Cependant ces derniers ne sont pas réactifs à la substance P, donc non nociceptifs dans le cas présent.
Douleurs d’épaules : intérêt de la compréhension dans le diagnostic/traitement clinique

Le rôle de la portion longue du long biceps dans les douleurs d’épaule est relativement controversé à ce jour. Cependant, il ressort que ce dernier ne peut pas à lui seul expliquer les douleurs antérieures de l’épaule. Le lien étroit de son insertion proximale avec la capsule articulaire permet de mieux appréhender les confusions qui peuvent être émises à son sujet.
Une étude de Tamai et al. nous montre l’implication des tissus mous péri-articulaires entourant le ligament coraco-acromial dans la genèse des douleurs chez les patients avec atteinte de la coiffe des rotateurs.
 
Neuro-anatomie de l’épaule
 
Depuis de nombreuses années, la vision de la neuro-anatomie de l’épaule nous a permis de mettre en place des stratégies thérapeutiques efficaces pour lutter contre certains spasmes musculaires à l’origine de douleurs référées.
Nous pouvons considérer 2 parties dans l’innervation de l’épaule : la partie antérieure et la partie postérieure.
La partie antérieure est constituée des nerfs subscapulaire (C6), axillaire (C5/6), pectoral latéral (C5/6).
Le nerf axillaire passe au travers du muscle subscapulaire et sort en avant au niveau de la capsule articulaire antéro-inférieure. Il possède deux branches principales, une médiale au niveau de la partie scapulaire de la capsule et une latérale au niveau de la tête humérale. Ce dernier innerve en particulier le muscle petit rond et subscapulaire, donnée importante lors de la prise en charge d’une pathologie d’épaule.
Douleurs d’épaules : intérêt de la compréhension dans le diagnostic/traitement clinique

 
La partie postérieure est constituée du nerf suprascapulaire (C5/6) et axillaire (C5/6). Le nerf suprascpulaire innerve les muscles supra et infra-épineux. Le trajet du nerf suprascapulaire nous semble important, en effet ce dernier a pour origine le tronc (primaire) supérieur constitué de la réunion des racines C5 et C6. Il rejoint rapidement la scapula près de l’apophyse coracoïde qu’il croise médialement en empruntant un tunnel sous le ligament transverse au niveau de l’échancrure coracoïdienne.
Douleurs d’épaules : intérêt de la compréhension dans le diagnostic/traitement clinique

Quels apports en rééducation ?
 
L’examen clinique et la connaissance de l’historique des douleurs et des lésions du patient permettront au thérapeute d’affiner sa prise en charge, et d’en améliorer l’efficacité.
Le nombre important de possibilités d’afférences sensorielles nociceptives dans des secteurs très rapprochés et connexes rend la prise en charge des pathologies d’épaule complexe. Il faudra s’attacher à repérer une atteinte structurelle vraie (problème tendineux, syndrome d’impingement, calcification), d’un problème de sensibilité centrale lié à la douleur.
Yamashita et al. nous montrent que la sensibilité des mécanorécepteurs peut varier au niveau de l’épaule en réponse à une inflammation de la coiffe des rotateurs. Les récepteurs HTM (high-threshold mechanoreceptors) stimulés au départ par des contraintes de force importante, vont dans ce cadre là diminuer leur sensibilité à la stimulation. Lorsque l’on sait le croisement entre HTM et nocicepteur, on comprend facilement la difficulté de prise en charge qui va suivre.
L’apport de la neuro-anatomie nous permet également de positionner la prise en charge rééducative de l’épaule comme une entité globale, où chaque élément joue un rôle important et où toutes les techniques du kinésithérapeute ont leur importance.
Un diagnostic clinique de départ bien compartimenté et l’apport de l’imagerie semblent aujourd’hui prépondérants dans la prise en charge des pathologies de l’épaule.
 
Pour conclure, nous pouvons dire que la connaissance de ces notions pourra nous permettre de mieux se placer par rapport à certaines douleurs d’épaule qu’il nous est parfois difficile à comprendre.
L’arsenal thérapeutique du kinésithérapeute devra toujours se baser sur les éléments fondamentaux que sont la mobilité articulaire, le renforcement musculaire, la qualité de la cinétique scapulo-thoracique et la levée des tensions musculaires et conjonctivo-fasciales.
La compréhension du lien entre certains types de douleur et la localisation anatomique d’éléments nociceptifs permettront d’affiner le diagnostic clinique du kinésithérapeute, dans l’optique d’améliorer la prise en charge du patient.
Au regard de tous ces éléments, nous avons la confirmation de l’importance d’une approche globale et pluridisciplinaire du patient présentant une pathologie de l’épaule.
 
Germain Saniel
 
Article de référence : Why does my shoulder hurt ? A review of the neuroanatomical and biochemical basis of shoulder pain ; Br J Sports Med 2013;47:1095–1104
 
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3. Hashimoto T, Hamada T, Sasaguri Y, et al. Immunohistochemical approach for the investigation of nerve distribution in the shoulder joint capsule. Clin Orthop Relat Res 1994:273–82.
4 . Tarumoto R, Murakami M, Imai S, et al. A morphometric analysis of protein gene product 9.5-, substance P-, and calcitonin gene-related peptide immunoreactive innervation in the shoulder joint of the Japanese macaque. J Shoulder Elbow Surg 1998;7:522–8.
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9. Hegedus EJ, Goode A, Campbell S, et al. Physical examination tests of the shoulder: a systematic review with meta-analysis of individual tests. Br J Sports Med 2008;42:80–92; discussion 92.
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