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Descripteurs cliniques pour la reconnaissance de la sensibilisation centrale de la douleur chez les patients souffrant d'arthrose du genou



Descripteurs cliniques pour la reconnaissance de la sensibilisation centrale de la douleur chez les patients souffrant d'arthrose du genou

Introduction


L'arthrose du genou est l'une des principales causes de douleur chronique, d'invalidité et de perte de qualité de vie affectant plus de 80% de la population âgée [1,2]. Alors que plusieurs « structures génératrices de douleur » ont été proposées pour expliquer la douleur arthrosique du genou [3], l'étiologie exacte de la douleur n'est pas bien comprise [4].

Il existe des preuves solides que la sensibilisation centrale est un phénomène important chez certaines personnes souffrant d'arthrose du genou [6,7], en particulier chez les femmes [8]. La sensibilisation centrale est un concept large englobant de nombreux mécanismes physiopathologiques complexes et est définie comme une « réceptivité accrue des neurones nociceptifs dans le système nerveux central à une entrée afférente normale ou infra-seuil » [9].

Actuellement, il n'y a pas de descripteurs cliniques largement acceptés pour identifier la sensibilisation centrale de douleur « dominante » chez les personnes souffrant de douleurs musculo-squelettiques, y compris l'arthrose du genou [10,25].

Le but de cet article est de fournir aux cliniciens un ensemble de descripteurs cliniques pour la reconnaissance d'une possible sensibilisation centrale chez les patients souffrant d'arthrose du genou. Ces descripteurs ont été passés en revue par neuf cliniciens et chercheurs de sept pays différents en utilisant la compréhension actuelle de la sensibilisation centrale dans le contexte de la douleur de l'arthrose du genou. Ils seront classés en deux catégories pour une meilleure vue d'ensemble : les descripteurs issus de l'évaluation subjective (descripteurs subjectifs) et les descripteurs extraits de l'examen physique (descripteurs objectifs).
 

L'évaluation subjective


Intensité de la douleur et son association avec les changements structurels des articulations et la durée de la douleur

Les personnes souffrant d'arthrose du genou présentant une altération du traitement central de la douleur sont significativement plus susceptibles de déclarer des niveaux de douleur modérés à sévères [6,21,27-29]. (douleur sur une échelle visuelle analogique> 5/10) [30]
 
Une corrélation incohérente entre le degré de dommage structurel et la douleur et l'invalidité pourrait être un indicateur de sensibilisation centrale [31,32], bien que l'écart entre les résultats structurels et cliniques soit bien connu dans l'arthrose en général [31].

En ce qui concerne la durée des symptômes, il existe une controverse dans la littérature, certaines études rapportant une association entre un long historique de symptômes et une sensibilisation centrale [21] alors que d'autres ne le font pas [29]. Ceci supposerait que certains individus peuvent être prédisposés à une sensibilisation centrale quelle que soit la durée de l'arthrose du genou [29].

Distribution de la douleur

La méthode la plus courante consiste à demander aux gens de dessiner la zone où ils ressentent de la douleur sur un schéma [37-39]. Chez les personnes souffrant d'arthrose du genou, la région médiale du genou est l'endroit de la douleur le plus fréquemment rapportée [38,39], mais une douleur généralisée ou diffuse au genou peut également être décrite [18,39,40]. [40-45].

Pour objectiver la présence d'une douleur généralisée, les cliniciens peuvent calculer le nombre total de sites de douleur corporelle dans un tableau divisé par région [23,47] ou demander au patient de compléter un schéma de douleur (par exemple, sur une tablette numérique) et calculer ensuite la zone totale douloureuse (par exemple, le nombre total de pixels à l'intérieur de la carte numérique) [42] (Figure 1). Visser et al. [44] ont identifié que les sujets avec une douleur généralisée chronique, définie comme un pourcentage de surface de douleur > 20%, ont rapporté des scores élevés (>19) au questionnaire painDETECT (suggérant une "sensibilisation" de la douleur ou une douleur neuropathique) par rapport aux sujets témoins présentant un pourcentage inférieur de surface de douleur.

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Comportement de la douleur au genou

La douleur liée au mouvement a été associée à une sensibilisation centrale chez les personnes souffrant d'arthrose du genou [53]. En particulier, une sensibilité accrue à l'activité physique (mesurée en évaluant les changements de la douleur autodéclarée du patient au cours d'un test de marche de 6 minutes) est associée à des indices psychophysiques de sensibilisation centrale comme une sommation temporelle de la douleur [53]. De plus, l'hypoalgésie / analgésie induite par l'exercice est moindre dans différentes populations de douleur chronique où la sensibilisation centrale est une caractéristique clé par rapport aux sujets sains [54].

Par conséquent, un « schéma de provocation douloureuse disproportionné, non mécanique et imprévisible en réponse à des facteurs aggravants / atténuants multiples / non spécifiques» [58] peut indiquer la présence d'une douleur de sensibilisation centrale chez les personnes souffrant d'arthrose du genou.

Présence de symptômes de type neuropathique ou à médiation centrale

Une contribution potentielle de la sensibilisation centrale à l'arthrose du genou a été suspectée chez des patients présentant des symptômes de type neuropathique [59] ou centraux (perturbation du sommeil, troubles de la mémoire, fatigue générale) [60,61]. Ces symptômes sont fréquents, mais pas exclusivement, chez les patients avec une sensibilisation centrale, ils n'offrent donc qu'une preuve indirecte de sensibilisation centrale dans l'arthrose du genou et doivent être intégrés dans le contexte d'autres résultats [62]. Deux  questionnaires validés se sont avérés utiles pour mesurer les caractéristiques qui indiquent un traitement nociceptif central altéré chez les patients souffrant d'arthrose du genou: le Central Sensitization Inventory [63] et le painDETECT (modifié) [64].

Facteurs psychosociaux

Les facteurs psychosociaux sont connus pour expliquer une partie de la variation dans la déclaration de la douleur chez les personnes souffrant d'arthrose du genou [74]. Certaines données indiqueraient une relation entre les facteurs psychosociaux et émotionnels inadaptés et la sensibilité centrale chez les personnes souffrant d'arthrose du genou, y compris l'hypervigilance à la douleur, le pessimisme, le catastrophisme et les stratégies d'adaptation médiocres [75-77].

Réactivité au traitement antérieur

Il a été soutenu qu'une réponse incohérente, imprévisible ou infructueuse à des traitements locaux ciblés de la nociception, ou une forte exacerbation de la sévérité des symptômes après le traitement peut aider à reconnaître la sensibilisation centrale chez les patients souffrant de douleurs musculo-squelettiques chroniques [78].

Moins de réponse aux analgésiques et antidouleurs anti-inflammatoires non stéroïdiens ainsi que de meilleurs résultats avec l'administration de certains médicaments à action centrale (la duloxétine) est un autre facteur qui peut consolider le rôle de la sensibilisation centrale dans la douleur arthrosique du genou [83].
 
Une douleur postopératoire persistante survient chez environ 20% des patients souffrant d'arthrose du genou après arthroplastie totale du genou [84] et est peut être liée à la présence d'une sensibilisation centrale [85,86] ; les prétendues sources nociceptives périphériques étant remplacées et les patients continuant d’expérimenter des douleurs persistantes.
 

L'examen physique


Réponse aux tests cliniques

Une réponse incohérente ou confuse aux tests cliniques appliqués à l'articulation du genou pendant l'examen physique (c.-à-d. que la majorité des techniques d'évaluation provoquent des symptômes) peut suggérer la présence d'une sensibilisation centrale.

Hyperalgésie mécanique généralisée et allodynie

L'hyperalgésie mécanique généralisée est une manifestation clinique bien connue de la sensibilisation centrale [4,16,17]. L'hyper-réactivité aux stimuli mécaniques comprend des réponses exagérées à la pression et au toucher, pouvant être mesurée cliniquement avec un algomètre de pression.

Hyperalgésie thermique généralisée

Outre une hyperalgésie mécanique généralisée, une plus grande sensibilité à la chaleur [62] et aux stimuli froids [91] sur des sites éloignés du genou sont considérés comme des indicateurs cliniques du traitement central déficient de la nociception dans l'arthrose du genou.

À l'instar du seuil de détection mécanique altéré, un sens de vibration réduit peut être révélateur d'une sensibilisation centrale chez les personnes souffrant d'arthrose du genou [16] et à différents sites du membre inférieur [95].
La présence de toute douleur avec les stimuli de vibration peut également être enregistrée. Une réponse douloureuse avec test (allodynie vibratoire) a été rapportée comme reflétant des changements nociceptifs centraux [16].

Mesures dynamiques de sensibilisation centrale

La sommation temporelle et la modulation de la douleur conditionnée sont des mesures dynamiques de l'hyperexcitabilité centrale nociceptive [4]. Bien que ces deux mesures aient été couramment utilisées comme mesures de laboratoire, leur utilité en tant que mesures cliniques pourrait être développée à l'avenir. Par exemple, la sommation temporelle a été évaluée en utilisant des monofilaments de von Frey [96]. L’utilisation d’une petite pince à ressort peut être une mesure cliniquement applicable intéressante pour évaluer la modulation de la douleur conditionnée avec un test de pression à froid comme précédemment effectué sur les patients souffrant de maux de dos [90].
 
Le tableau 2 fournit une liste de tous les descripteurs extraits de l'évaluation subjective et de l'examen physique qui pourraient indiquer la présence d'une sensibilisation centrale chez les patients souffrant d'arthrose du genou.

Descripteurs cliniques pour la reconnaissance de la sensibilisation centrale de la douleur chez les patients souffrant d'arthrose du genou

Discussion


Un équipement de laboratoire coûteux nécessitant une formation poussée rend les méthodes d'analyse sensorielle utilisées pour déterminer la présence d'une sensibilisation centrale peu pratiques pour la plupart des cliniciens. Des protocoles et des équipements plus courts et moins coûteux permettant l'identification clinique des mécanismes de la douleur, y compris la sensibilisation centrale chez les patients souffrant de douleur arthrosique au genou, sont donc nécessaires [26].

Ces descripteurs ne doivent pas être considérés comme des signes uniques de sensibilisation centrale, mais ils peuvent plutôt être intégrés dans le processus de raisonnement clinique, car ils indiquent une contribution potentielle des mécanismes centraux de la douleur à l'arthrose du genou, qui peut affecter l'approche thérapeutique appropriée.

La présence de la sensibilisation centrale dans l'arthrose du genou a des implications cliniques pour sa prise en charge. L'identification précoce de la douleur de sensibilisation centrale dominante chez les personnes souffrant d'arthrose du genou est cruciale car sa présence peut prédire de moins bons résultats après un traitement de physiothérapie [81] ou une chirurgie [85,86]. Les personnes souffrant de douleur arthrosique du genou, où un mécanisme de douleur centrale altéré dominant est démontré, pourraient bénéficier d'interventions ciblant les mécanismes du système nerveux central tels que l'éducation thérapeutique neuroscientifique ou la thérapie cognitivo-comportementale mais les preuves à l'appui de cette notion font défaut.
 

Conclusions


Cet article présente un ensemble de descripteurs cliniquement pertinents utilisables lors de l'évaluation subjective et de l'examen physique de patients souffrant d'arthrose du genou qui pourraient conduire le clinicien à suspecter la présence et la sévérité de la sensibilisation centrale. De futures études sont nécessaires pour tester empiriquement ces descripteurs et d'explorer leur pertinence en tant que critères futurs pour la reconnaissance de la sensibilisation centrale dans la pratique clinique
 

Article original


Enrique Lluch, Jo Nijs, Carol A. Courtney, Trudy Rebbeck, Vikki Wylde, Isabel Baert, Timothy H. Wideman, Nick Howells & Søren T. Skou (2017): Clinical descriptors for the recognition of central sensitization pain in patients with knee osteoarthritis, Disability and Rehabilitation, DOI: 10.1080/09638288.2017.1358770

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