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De Mondenard: "On est dans le dopage intégral"



De Mondenard: "On est dans le dopage intégral"
Le dopage dans le football, comment ça marche? Expert en matière de doping en tout genre, Jean-Pierre de Mondenard vient de voir publier son premier livre traitant de ce fléau dans le sport roi (Dopage dans le football: la loi du silence). Cet ancien médecin du sport aujourd'hui "en retraite administrative" dénonce sans concession l'hypocrisie de la Fifa en matière de lutte contre le dopage. Pour le "Doc", un joueur professionnel qui se dope n'a aucune crainte d'être rattrapé par la patrouille. Ambiance...

Bonjour Docteur, votre livre Dopage dans le football: la loi du silence a été publié le 25 novembre dernier. C'est la première fois que vous consacrez un manuscrit entier à ce sport, quel a été le moteur de votre démarche?
Docteur de Mondenard:
 Depuis des décennies, le monde du football nous raconte des histoires pieuses sur l'impossibilité que le dopage soit efficace dans ce sport. C'est un discours qui s'adresse aux enfants de maternelle. J'étais dernièrement sur le plateau d'Infosport et le journaliste (Eric Besnard, ndlr) a interviewé Nicolas Plestan après la polémique née des propos de Jean-Michel Aulas sur Schalke 04. Et là, il lui pose la question: "Avez-vous déjà assisté à du dopage dans le football?" Comment peut-on poser une question aussi débile à ce niveau-là? Le joueur ne va jamais répondre que la triche biologique est présente sur les terrains de foot. On est toujours dans un système qui n'apporte rien, avec une langue de bois internationale. Stagnant depuis des années, ce discours n'informe pas le public.

Malgré cela, le public ne semble pas trop croire à l'absence du dopage dans le football...
Non, loin de là. Lors de l'opération Puerto diligentée par la Guardia Civil en 2006, le Docteur Fuentes (au coeur d'un trafic de produits dopants dans le cyclisme) avait avoué dans Le Monde qu'il soignait aussi des grands joueurs espagnols du Barça et du Real Madrid, avant que le FC Barcelone n'attaque le journal français en justice et que les deux témoins pouvant crédibiliser l'implication des footballeurs ne se rétractent miraculeusement et ne viennent même pas au procès. Après cette affaire, le quotidien L'Equipe avait posé la question au public: "Pensez-vous que le football soit également gangréné par le dopage?" 83% ont répondu positivement, sur un total de 91 530 votants! Donc, malgré le pilonnage de la désinformation de Blatter (Président de la Fifa, ndlr) et des responsables de la commission médicale de la même instance, le public n'est pas dupe.

"C'est dans la nature humaine de tricher"

Pourtant, leur discours ne change pas...
Oui, ils passent leur temps à répéter que le dopage ne sert à rien dans le football. Moi, j'attends la preuve qui m'explique par quel miracle le football est épargné par le dopage. Il n'y a aucune raison physiologique, technique, tactique ou mentale scientifiquement démontrée qui empêcherait le dopage d'être efficace dans le football. Si on suit l'évolution du football depuis une trentaine d'années, c'est le physique qui a pris la première place. Si vous courez plus vite que votre adversaire, si vous sautez plus haut sur les corners, si vous tapez plus fort dans le ballon de la tête et du pied, et si vous tenez 90 minutes plus le temps additionnel sans faiblir, et bien vous serez toujours plus performant que celui qui a un pied magique mais qui se traîne. Le dopage est parfaitement efficace dans le football. Pour élever une voix contre ces idées reçues, cette langue de bois, parfois même de plomb, j'ai décidé de faire ce bouquin.

Était-ce aussi pour vous défaire de cette image "anti-vélo?"
On m'avait catalogué pourfendeur du dopage dans le vélo, alors que c'est archi-faux. Dès le départ, depuis mon entrée dans le sport de haut-niveau au début des années 70, j'ai dénoncé le dopage dans toutes les disciplines. Et la principale raison qui motive le dopage n'est pas l'argent. Ceux qui pensent ça n'ont rien compris. Ils ne savent même pas de quoi ils parlent. L'argent n'a jamais été le moteur du dopage, le moteur numéro un, c'est l'ego. C'est la compétition. Regardez les enfants en bas âge quand ils jouent aux petits chevaux, au jeu de l'oie, etc... souvent ils trichent. Pour certains, la simple perspective d'avoir leur nom dans le journal après la victoire remplace toutes les justifications de se doper. Le lundi, au boulot, ce sont eux les rois. Dans la rue, ils pavoisent. C'est dans la nature humaine. On ne veut jamais être dernier, on veut gagner. On veut être applaudi, encensé, bomber le torse après un bon match. Et comme la triche est consubstantielle à l'homme, et que le dopage fait partie de la fraude, alors les conduites dopantes et le dopage sont très répandus. Et la seule façon pertinente de lutter, c'est que les règles soient claires, précises, les mêmes pour l'ensemble du monde sportif et surtout que les contrôles soient efficaces. 

"Enfantin de passer à travers les contrôles"

On en est très loin selon vous?
C'est tout simplement impossible dans le système actuel et dans tous les sports, puisque c'est le milieu lui-même qui doit se tirer une balle dans le pied. Du coup, on tire à côté et bien sûr au final, ça ne marche pas. Dans une telle situation où l'organe répressif est aussi l'entrepreneur du spectacle, la lutte antidopage est forcément inefficace. On s'appuie sur des contrôles négatifs, alors qu'ils ne prouvent rien. Les tricheurs comme ceux qui doivent les empêcher de "sortir des clous" se prévalent de ces résultats négatifs, or, c'est enfantin de passer à travers les contrôles. Et à partir de là, en tant que gagnant on est félicité par les dirigeants internationaux, par le milieu, comme toujours. On se retrouve ainsi labellisé propre... Pourtant, ces derniers n'évoquent jamais la vingtaine de substances indécelables, ou les autres produits dopants que j'appelle "borderline", qui ne sont pas sur la liste et pas recherchés mais qui répondent parfaitement aux critères d'une substance dopante. Donc les possibilités de tricher et de se doper sont multiples. 

Vous peignez un tableau très noir de la situation...
Non, le football a les résultats les plus nuls de la planète en termes de lutte antidopage. Depuis 1966, il y a des contrôles antidopage en Coupe du monde. Il y a eu 3 tests positifs sur 2854 contrôles, ce qui fait 0,11%. Il n'y a pas une instance internationale au monde qui a un chiffre si bas. Et de loin. La Fifa se gargarise de ce chiffre pour dire "voyez comme je suis efficace, le dopage n‘est qu‘un épiphénomène dans le football". Si moi je suis patron d'une entreprise qui me sort des résultats pareils, je les vire tous en disant "vous êtes incompétents". C'est une aberration. Est-ce que vous connaissez un jury d'assise où c'est la famille du prévenu qui le juge? Est-ce que vous connaissez un PDG qui est délégué syndical? Et bien dans le football et dans tous les sports, c'est comme ça que ça se passe. Et puis, il y a une question que l'on peut se poser: comment se fait-il que les Fédérations veulent avoir la mainmise sur le département de la lutte contre le dopage, alors qu'il est censé ne leur apporter que des ennuis? C'est tout de même surprenant...

Comment peut-on instaurer une indépendance des instances de lutte contre le dopage selon-vous?
C'est aux politiques de prendre leurs responsabilités. Dans toutes les affaires qui ont éclaté ces trente dernières années (des enfants sont morts à cause d'hormones de croissance contaminées, le sang contaminé, l'amiante, etc...), il a fallu imposer un système de surveillance indépendant. Dans le sport, non. On nous bluffe avec l'AMA (l'Agence mondiale antidopage), alors que c'est le CIO (Comité International Olympique) qui est partie prenante numéro un. Donc, ce n'est absolument pas indépendant. 

"Je dénonce une dérive qu'ils essayent de cacher"

Vous débutez votre livre en évoquant l'omerta qui frappe le football concernant le dopage. Avez-vous eu des difficultés pour être publié?
Pas vraiment.... Sauf que ce n'est pas en 2010 que je voulais le sortir, je voulais en faire un en 1998. Ça fait 12 ans. A l'époque, je venais de sortir un livre qui avait eu beaucoup de succès à l'échelle des médias et qui s'intitulait Le dopage aux Jeux Olympiques: la triche récompensée. C'était en 1996. J'avais alors sollicité mon éditeur pour le prévenir que j'avais l'intention d'en faire un sur le dopage dans le football. Il ne m'en a pas dissuadé, mais il a affirmé qu'il n'était pas preneur: "Non, il y a la Coupe du monde en France", m'avait-il rappelé. De mon côté, je n'avais pas une volonté maximale de faire le bouquin à ce moment-là, car pour le publier il aurait fallu frapper aux portes des éditeurs et je préférais travailler dans mon cabinet que de faire la tournée des sociétés susceptibles de l'imprimer. 

Avez-vous reçu des réactions du monde professionnel quant à votre livre?
Non. Je suis passé dans de nombreux médias, il y a des articles et des interviews qui sont parus dans Le MondeLe FigaroFrance Soirle 10 Sport ou encore je suis intervenu en direct à l'After foot sur RMC, mais quasiment aucun média consacré uniquement au football ne m'a contacté. L'Equipe n'a pas écrit une ligne sur mon livre, ni leur site internet, ni leur magazine. Mais bon, ça, j'y suis habitué, ça fait plus de vingt ans qu'ils ne parlent plus de bouquin dansL'Equipe magazine. Ça ne m'étonne pas, je suis la mauvaise conscience du sport professionnel. Je dénonce une dérive qu'ils essayent de minimiser au maximum. 

Avez-vous l'impression de déranger?
Oui, je crois que le mot est faible...

A cet effet, vous reprochez aux médias de cautionner la triche dans votre avant-propos...
Oui, bien sûr. Le problème, c'est le mariage des médias et du sport. C'est compliqué pour eux, parce que d'un côté, ils vivent des exploits des sportifs et de leurs interviews, et de l'autre, il faudrait qu'ils parlent des choses déplaisantes. A partir de là, ils risquent de perdre leurs entrées dans les vestiaires ou leurs accréditations... Il y a certains sports où c'est verrouillé. En Formule 1, si vous écrivez un truc de travers, vous n'avez plus d'accréditations. 

"Insensé qu'une fédération dirige la lutte antidopage"

Pensez-vous que les médias manquent de courage?
Oui, je pense, dans l'ensemble. Il y en a quand même certains qui font leur boulot, mais ils ne sont pas nombreux. C'est la même problématique que pour le dopage dans le sport: comment un organisme peut-il désaccréditer un journaliste? Il faudrait un organisme indépendant qui intervienne pour ce genre de manoeuvres. Parce que si la Fifa peut donner des affectations à qui elle veut, comment voulez-vous que les journaux fonctionnent correctement?

Dans votre livre, vous évoquez par ailleurs le peu de contrôles effectués sur les footballeurs, par rapport au cyclisme notamment. Selon vous, est-ce que ces faibles moyens mis en place découlent d'une volonté de la Fifa de ne pas nuire au business généré par le football? 
Bien sûr. C'est pour cela qu'il est insensé qu'une fédération dirige la lutte antidopage. C'est incompatible! Ça devrait sauter aux yeux de tout le monde depuis des décennies. Ça fait 45 ans qu'il y a une lutte antidopage officielle, avec des lois, des contrôles etc... et elle est toujours aussi inefficace. 

"Pas là pour dire «Zidane, sale tricheur!»"

Pourquoi rares sont ceux qui s'offusquent de cette inefficacité?
C'est un peu partout pareil. Prenez l'exemple du Médiator. Il faut des années avant de voir les effets néfastes d'un médicament. Dans le dopage, quand les anabolisants ont été inventés au début des années 60, la communauté scientifique les a considérés comme des vitamines! La constitution d'un avis médical sur un produit demande du temps ; mais ceux qui produisent les discours ne savent pas de quoi ils parlent, et très peu sont en mesure de décoder la désinformation. D'où le faible nombre de voix contraires.

A cet effet, votre ouvrage livre davantage une analyse des effets médicamenteux plutôt qu'une dénonciation des Zidane, Ronaldo et autres clubs comme le Barça et le Real...
Ce n'est pas Zidane en tant que tel qui m'intéresse, ce n'est pas Cannavaro, ce n'est pas Ronaldo ou un joueur en particulier pour dire "sale tricheur!". Ce n'est pas dans ma démarche. J'utilise les exemples pour poser les questions. Dans les cas de Zidane et Cannavaro, ce qui m'interpelle, ce n'est pas de savoir si l'un s'est fait ou pas une transfusion sanguine, ou si l'autre s'est fait une perfusion de Neoton. C'est de m'interroger sur l'immobilisme de la Fifa. Comment se fait-il que cette dernière n'ait pas levé le petit doigt pour demander des explications à Zidane et à Cannavaro? C'est ça qui me pose problème et devrait prioritairement interpeller les médias.

On sent aussi une vraie envie d'éclairer vos lecteurs sur les questions de santé...
Effectivement, j'essaye de dénouer les confusions. Dans tout soin de la mécanique humaine, le repos est indispensable. Malheureusement, le repos seul est inefficace et ne vous guérit que pour faire de la chaise longue. De même, le médicament sans repos est inefficace. Pourtant, dans le football, pour faire revenir un joueur plus vite sur le terrain, on le piquouse. Et là, on est dans le dopage intégral, quel que soit le produit. A partir du moment où le corps ne veut pas jouer, si vous lui donnez un antalgique afin de pouvoir jouer sans douleur, vous êtes dans le dopage. Le serment d'Hippocrate impose au praticien de prodiguer des soins aux malades ou aux blessés mais certainement pas de "soigner" la performance.

source Jean CANESSE football.Fr