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Crampes et déshydratation : encore un mythe ?



Crampes et déshydratation : encore un mythe ?
Dans la lignée des « idées reçues» mais non prouvées comme « boire avant d’avoir soif », « perdre plus de 2% de son poids est délétère pour la performance », les crampes musculaires associées à l’exercice (CMAE) sont pour beaucoup de gens provoquées par la déshydratation. En effet, la théorie standard stipule que les crampes musculaires seraient causée par une perte des fluides et des électrolytes ce qui romprait l’homéostasie liquidienne et augmenterait l’excitabilité des nerfs. Cependant, aucune recherche expérimentale ne vient appuyer scientifiquement cette « idée ».

Une étude parue en décembre dernier dans le BJSM [1] vient confirmer une « nouvelle » théorie déjà énoncée dans les années 1990 par Schwellnus [2] puis reprise plusieurs fois par différents auteurs; celle de l’altération du contrôle neuromusculaire. Deux observations cliniques s’imposaient déjà à l’époque à ces chercheurs: primo les muscles les plus atteints étaient ceux ayant travaillé le plus lors d’un exercice physique et secundo les crampes touchaient localement certains muscles ce qui ne plaidait pas en faveur d’un problème systémique comme la déshydratation. De même, les étirements calmant les crampes, une action si locale mettrait en jeu le rôle de l’innervation réciproque par mise en cours externe du muscle et donc, pencherait en faveur d’une action neuromusculaire.

L’étude du BJSM portait sur 10 sujets alternant plusieurs sessions d’entrainement dans une ambiance chaude (39.1±1.5°C) avec un taux d’humidité important (18.4±3%). Ces sessions entrecoupées de phases de repos, consistaient en un effort des membres supérieurs sur ergomètre et un pédalage du membre inférieur (jambe non dominante uniquement). Durant le test plusieurs mesures étaient réalisées (sueur, poids, fréquences cardiaques, température rectale, analyses sanguines…) et l’exercice physique fut stoppé quand les sujets perdirent 5% de leur poids corporel en eau ou furent trop fatigués pour poursuivre l’effort.
Suite à une période de repos (30min), des impulsions électriques furent réalisées sur le court fléchisseur de l’hallux (couplées à un EMG) de la jambe dominante afin de déclencher des crampes. La jambe dominante ayant été choisie pour éliminer les effets de la fatigue musculaire. Les résultats montrent que lorsque la fatigue et l’intensité de l’exercice sont contrôlés, il n’y a pas de différence dans la susceptibilité du muscle à déclencher une crampe malgré un protocole de déshydratation intense.

D’autres études précédentes (2010) avaient trouvé les mêmes résultats. La première comparait des triathlètes enclins aux crampes à d’autres qui n’en avaient pas et avait découvert que l’hydratation et les niveaux d’électrolytes dans les 2 groupes étaient pratiquement imperceptibles avant et après la course [3]. La deuxième avait provoqué par l’exercice une perte en eau de 3% de la masse corporelle chez des sujets et n’a pas trouvé de modification dans leur susceptibilité à avoir des crampes électriquement stimulées [4].

Tim Noakes, scientifique réputé et spécialiste de la course à pied, soutient également la conclusion dans son livre « Waterlogged, the serious problem of overhydratation in endurance sports » [5], que la théorie du déficit en sodium et de la déshydratation n’explique pas le développement des crampes musculaires associées à l’exercice. Il rajoute même qu’un niveau de déshydratation de 7-10% présent à la fin de l’exercice n’est associé à aucun risque immédiat pour la santé s’il est temporaire.

En résumé, la déshydratation modérée et/ou grave n'augmente pas le risque de crampe. Par conséquent, ces dernières survenant chez les personnes déshydratées pourraient être davantage liées à des désordres d’ordre neuromusculaire. Des stratégies pour augmenter l'endurance neuromusculaire ou corriger des déséquilibres musculaires peuvent être plus à même de minimiser l'apparition des crampes que les stratégies de réhydratation (tant en qualité qu’en quantité).

Texte réalisé par Arnaud Douville de franssu
 
[1] K.W. Braulick, K.C. Miller, J.M. Albrecht, J.M. Tucker , J.E. Deal. Significant and serious dehydratation doesn’t affect skeletal muscle cramp threshold frequency. Br J Sports Med.  2012 Dec 6.
[2] M. Schwellnus. Cause of exercice associated muscle cramps altered neuromuscular control, dehydratation or electrolyte depletion? Br J Sports Med, 2009, 43, 401-408.
[3] K. Miller et al. Reflexe inhibition of electrically-induced muscle cramps in hypohydrated humans. Medecine and Science in Sport and Exercice, 2010, 42(5), 953-961.
[4] K. Miller et al. Three percent hypohydratation does not affect the threshold frequency of electrically-induced cramps. Medecine and Science in Sport and Exercice, 2010, 42(11), 2056-2063.
[5] T. Noakes. Waterlogged, the serious problem of overhydratation in endurance sports (Human Kinetics, 2012)