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Coup de froid sur la cryothérapie

Cryothérapie et Lésion musculaire






Dire que le froid est une solution à la prise en charge des lésions musculaires est-il une vérité ?

Ce qui est sûre c'est qu'à ce jour personne ne peut certifier que le froid est néfaste pour la cicatrisation et la régénération des pathologies musculaires chez l'homme. Des professionnels tentent pourtant d'imposer sans argument cette nouvelle approche encore non fondée sur les preuves.  Certains d'entre eux proposent même un acronyme maladroit concernant la lésion musculaire, et lié en communication  à la notion périmée de "déchirure musculaire".

Tentons d'avancer plus sérieusement dans le cheminement de réponse. 

1)    Présentation théorique / Description de la technique

a)    Champ d’application de la technique 
La cryothérapie, consiste à utiliser l’action du froid pour soulager certains symptômes résultants de traumatismes ou de maladies. Le froid peut être utilisé localement ou globalement. La cryothérapie peut relever des procédés les plus simples (vessie de glace) aux plus complexes (Cryothérapie Corps Entier (CCE), Cold Water Immersion (CWI)…).  Il n’existe pas à l’heure actuel de consensus clairs dans les modalités d’application. 

b)    Effets escomptés de la technique 
La cryothérapie engendre plusieurs effets potentiels parmi lesquels, la réduction temporaire de la température musculaire, la vasoconstriction, la limitation des processus inflammatoires et l’inhibition de la douleur. Elle possèderait aussi un effet anti-hémorragique. Ces bénéfices supposés confèrent à la cryothérapie une utilisation importante en médecine du sport avec 2 objectifs principaux : récupération et traumatologie aigüe.
Si elle fait consensus dans le management des lésions musculaires (1), des preuves émergent récemment sur la potentielle influence de la cryothérapie précoce dans le retard de régénération musculaire post lésion. 

MAIS, QU'EN EST-IL SUR LE POINT DE LA PHASE INFLAMMATOIRE ET DE LA RÉGÉNÉRATION MUSCULAIRE POST-LMA

2) Cryothérapie précoce et modèle sur le rat 


a) Cryothérapie précoce : retard et diminution de qualité de régénération musculaire ? 

Dans leur étude publiée en 2011, Takagi R et al (2) s’intéressait à l'influence du glaçage sur la régénération musculaire après une blessure musculaire par écrasement chez le rat. 76 rats ont été distribués aléatoirement soit dans un groupe cryothérapie (20 min, 5 min après la lésion) soit dans un groupe contrôle. Les résultats suggéraient que le glaçage appliqué de manière précoce pourrait avoir retardé la prolifération et la différenciation des cellules satellites par l’intermédiaire d’un retard de la migration des macrophages dans la phase initiale de régénération musculaire.   

A 14 et 28 jours, les auteurs ont également noté une formation de collagène plus importante autour de la fibre musculaire dans le groupe glaçage. 
La cryothérapie initiale précoce pourrait alors avoir retardé mais aussi altéré la qualité de la régénération musculaire, remettant en cause son utilisation bien que largement répandue en médecine du sport. 

Par la suite, le but de l’étude de Daniel P. Singh en 2017 (3) dans leur étude randomisée contrôlée sur 80 rats était d’examiner les effets du glaçage (administré selon la méthode décrite par Takagi et al.) peu après une lésion par contusion musculaire, sur l’inflammation, l’angiogenèse, la revascularisation et la régénération de la myofibre. 

Cette étude est la première à démontrer que le glaçage retardait et/ou atténuait l'expression de facteurs pro-angiogéniques à 7 jours post blessure. Elle entrainait également des modifications du volume des vaisseaux sanguins dans le muscle en régénération dans les 7 jours suivant la lésion. Malgré ces différences, la densité capillaire et la section transversale des myofibres ne différaient pas de manière significative entre les groupes glaçage et contrôle à 28 jours. Ces résultats suggèrent que, bien que le glaçage puisse supprimer légèrement l'inflammation et certains aspects de l'angiogenèse / revascularisation, ces effets ne suffisent pas pour retarder la régénération musculaire après une lésion par contusion. Il est à noter que la cryothérapie a été appliquée de façon unique le jour de la lésion pendant 20 min, et on peut supposer qu’une cryothérapie répétée aurait eu des effets différents sur l’inflammation, l’angiogenèse et la régénération musculaire.

b) Cryothérapie Vs Thermothérapie 

En 2016, l’étude de Shibaguchi et all (4) s’intéressait à comparer dans une étude randomisée contrôlée l’influence de la cryothérapie ou de la chaleur sur la régénération musculaire de plus de cent rats. De la bupivacaïne a été injectée bilatéralement dans les muscles soléaires pour provoquer des lésions musculaires. La cryothérapie (0 ° C, 20 min) a été effectué immédiatement après la blessure. La thermothérapie par chaleur (42 ° C, 30 min) a été appliqué à J2 tous les jours jusqu’à J14. 
Il a été montré que le niveau de dépôt de collagène chez les animaux sous l’effet de la thermothérapie était maintenu au niveau de base, et était significativement inférieur à celui observé sous l’effet du glaçage à 15 et 28 jours. De plus, la récupération de la masse musculaire, la teneur en protéines et de la taille des fibres musculaires du muscle blessé vers les niveaux de référence étaient partiellement facilitée par la thérapie par chaleur

C’est la première étude à démontrer que la thermothérapie procure une formation de collagène moins importante que la cryothérapie dans les blessures du soléaire par suggérant que la thérapie par chaleur peut être un traitement bénéfique dans la régénération musculaire.

c) Une étude plus tempérée
L'étude de Durigan et. al (8) de 2016, met en évidence que l'application de froid ( 30 min /2h) précoce ( dans les 48 h), toujours chez le rat, et ses effets à 3 , 7 et 14 jours post-lésionnels, n'améliorent pas la régénération myogénique et le remodelage de la matrice extra cellulaire,  mais ne l'altère pas non plus. D'après leurs résultats, la cryothérapie réduit la réponse inflammatoire. 

3) Cryothérapie et modèles humains : Exercice Induced Muscle Damage  

On retrouve très peu de littérature de bonne qualité concernant la cryothérapie sur le modèle humain, dû notamment à la difficulté de recréer des lésions musculaires chez l’homme.
Une des alternatives consiste à simuler la lésion musculaire par EIMD (Exercise Induced Muscle Damage), consistant en de multiples contractions excentriques visant à engendrer des lésions musculaires de bas grade.
Ainsi, dans leur étude randomisée contrôlée, Siqueira et al (2018, 5) ont mesuré l’influence de multiples cryothérapie par immersion en eau froide à 10 degrés pendant 20 min après un protocole EIMD de 5 séries de 20 sauts depuis une plate forme de 60 cm. La cryothérapie a été appliquée 10 min post exercice puis toutes les 24h pendant 3 jours. La force musculaire, la hauteur de saut, l’épaisseur musculaire, les DOMS (Delayed Onset Muscle Soreness), la créatine kinase systémique (CK), la protéine C-réactive (CRP), les cytokines inflammatoires, et l’activité de la matrice metalloprotéinase-2 (MMP-2) ont été mesurées pré, post, 24, 48, 72, 96 et 128 heurws post EIMD. 
A 24h, l’épaisseur musculaire était revenu au niveau initial pour le groupe CWI et était moins élevée que le groupe contrôle. A 168h, les DOMS étaient revenus au niveau initial pour le groupe CWI, pas pour le groupe contrôle. La CK était également plus élevée pour le groupe contrôle. Pas d’interaction temps x groupe pour les autres variables. 
L’étude conclut que la CWI peut être efficace pour atténuer les dommages musculaires, mais pas pour diminuer l’inflammation systémique et la récupération de la fonction musculaire. 

4) L'intervention du DR CHAZAUD au symposium KINESPORT 2019

Écouter son intervention ici

Les cellules satellites dormantes se réveillent, prolifèrent et rentrent en différenciation myogénique terminale et se terminent par fusions des cellules entre elles ou d'anciennes  fibres pour créer de nouvelles fibres fonctionnelles. 
Ce programme est parfaitement gouverné sur le plan génomique, afin de permettre cette myogénèse  adulte. Sans cellule satellite il n'y a pas de régénération musculaire.  Une partie des cellules satellites repartent en quiescence pour maintenir un pool de cellules satellites quiescentes. Ces satellites sont entourées de  différents types cellulaires : macrophage, cellules fibroblastiques, vaisseaux, cellules endothéliales, périendothéliales... et toutes fonctionnent de façon coordonnée pour la régénération musculaire.

L'INFLAMMATION en 2 phases:

1) Phase pro-inflammatoire
2) Phase anti-inflammatoire
(réparation/ cicatrisation/ régénération)

Les macrophages sont des cellules essentielles intervenant lors de ces process inflammatoires. Elles héritent d'un précurseur dans la moelle osseuse , et sont ensuite sous l'état de monocyte dans le sang circulant et pénètrent dans le tissu en lésion avec des propriétés d'adhesion et de migration. Leur rôle est de phagocyter des débris tissulaires et cellulaires. Ils sont alors pro-inflammatoires et participent au montage de la réponse inflammatoire, font proliférer les cellules myogéniques, tuent certaines cellules pour éviter le surplus de fibrose, puis changent de phénotypes et de statut inflammatoire et deviennent alors anti-inflammatoires ( ce n'est pas un recrutement de nouvelle cellule dans le sang circulant mais une mutation insitu. C'est la phagocytose de débris apoptotiques et nécrotiques dans le tissu qui provoque cette mutation) pour
- stimuler la différenciation myogénique,
- stimuler les nouvelles myofibres,
- stimule le remodelage matricielle,
- stimule l'angiogénèse , indispensable à la régénération musculaire.



Faut il laisser la phase pro-inflammatoire ?  

OUI, elle ne doit pas être altérée au risque d'impacter la régénération musculaire. Il est démontré que la prise d'AINS ou de glucocorticoides ( lire l'étude de CHAZAUD et al. de 2019 à télécharger ci-dessous ), provoque une réduction de l'efficacité de cette régénération. Les glucocortocoides transforment les macrophages pro-inflammatoires en anti-inflammatoires.  Si ces topiques sont administrés trop tôt, il y a une perturbation de la régénération ( <3 jours ) mais >3 jours, il n'y a alors pas d'incidence  ( étude du laboratoire neuromyogène de LYON).

Le glaçage : reprenant les études précédentes , chez la souris

1. Après crush musculaire
- 14 jours après, + de fibres en régénération pour le groupe glacage
-    1 mois après : taille des fibres + petites pour le groupe glacage

Ceci est corrélé dans le temps avec le délai de l'apparition des macrophages et de la résolution de l'inflammation. La réponse inflammatoire est délayée par le refroidissement du muscle juste après la lésion, et n'est pas bénéfique pour la régénération musculaire.

2.  Après lésion toxique 

- groupe glaçage : pas d'effet bénéfique / groupe non glacé
- + de fibrose dans le groupe glaçage 

Chez l'homme il n'y a pas de preuves évidentes de l'aspect bénéfique des AINS et du froid en prise en charge post lésionnelle de la lésion musculaire.  De plus après glaçage, on note un effet négatif sur la fatigue.


Ces notions chez l'homme restent à préciser en fonction notamment de la baisse de force musculaire en aigue puisqu'à ce jour le raisonnement est basé sur les lésions qui impactent une baisse de force de + de 50%.

Conclusion  

À l'heure actuelle, l’utilisation de la cryothérapie dans le traitement initial de la lésion musculaire repose sur des consensus d’experts (1), mais on ne retrouve aucune étude randomisée contrôlée de bons niveaux sur l’homme. Les modèles actuels étant dérivés du rat, ou de l’EIMD pour l’homme qui ne recrée que des conditions équivalentes à des lésions musculaires de bas grade.  
Par ailleurs Tiidus et al. (6) nous rappelle que la cryothérapie ou le glaçage,  tels qu'ils sont pratiqués actuellement, ne réussiront probablement pas à refroidir suffisamment le muscle humain (10 degrés dans le modèle animal, 25 degrés dans le modèle humain)  pour avoir une influence significative sur la réparation musculaire, quelle soit positive, ou négative comme suggéré par les études mentionnées. 

Ainsi, malgré l'acceptation générale de la cryothérapie en tant qu'intervention efficace dans le management des blessures musculaires, les preuves sur lesquelles sont fondées ces conclusions demeurent très limitées (7). 

BIBLIOGRAPHIE 

1.  T. Hotfiel at al. Nonoperative treatment of muscle injuries - recommendations from the GOTS expert meeting Journal of Experimental Orthopaedics (2018) 5:24 https://doi.org/10.1186/s40634-018-0139-3 
2. Takagi R, Fujita N, Arakawa T, Kawada S, Ishii N, Miki A. Influence of icing on muscle regeneration after crush injury to skeletal muscles in rats. Appl Physiol . 2011 Feb;110(2):382-8.
doi: 10.1152/japplphysiol.01187.2010.
3. Singh DP, Barani Lonbani Z, Woodruff MA, Parker TJ, Steck R, Peake JM. Effects of Topical Icing on Inflammation, Angiogenesis, Revascularization, and Myofiber Regeneration in Skeletal Muscle Following Contusion Injury. Front Physiol. 2017 Mar 7;8:93.
doi:10.3389/fphys.2017.00093.
4. Shibaguchi T, Sugiura T, Fujitsu T, Nomura T2, Yoshihara T, Naito H, Yoshioka T, Ogura A, Ohira Y. Effects of icing or heat stress on the induction of fibrosis and/or regeneration of injured rat soleus muscle. J Physiol Sci. 2016 Jul;66(4):345-57.doi: 10.1007/s12576-015-0433-0.
5. Angelina Freitas Siqueira Multiple Cold-Water Immersions Attenuate Muscle Damage but not Alter Systemic In ammation and Muscle Function Recovery: A Parallel Randomized Controlled Trial SCIENTIFIC REPORTS | (2018) 8:10961 | DOI:10.1038/s41598-018-28942-51. 
6. Tiidus PM. Alternative treatments for muscle injury: massage, cryotherapy, and hyperbaric oxygen. Curr Rev Musculoskelet Med. 2015 Jun;8(2):162-7.
doi: 10.1007/s12178-015-9261-3.
7. Hotfiel T, Carl HD, Swoboda B, Heinrich M, Heiß R, Grim C, Engelhardt M. [Current Conservative Treatment and Management Strategies of Skeletal Muscle Injuries]. Z Orthop Unfall. 2016 Jun;154(3):245-53. doi: 10.1055/s-0042-100479.
8. Vieira Ramos, G. et al. Cryotherapy Reduces Inflammatory Response Without Altering Muscle Regeneration Process and Extracellular Matrix Remodeling of Rat Muscle. Sci. Rep. 6, 18525; doi: 10.1038/srep18525 (2016)
9. Desgeorges T, Caratti G, Mounier R, Tuckermann J and Chazaud B (2019) Glucocorticoids Shape Macrophage Phenotype for Tissue Repair. Front. Immunol. 10:1591. doi: 10.3389/fimmu.2019.01591
10. C. Latroche, M. Weiss-Gayet, L. Muller, C. Gitiaux, P. Leblanc, S. Liot, Sabrina Ben-Larbi, R. Abou-Khalil, N. Verger, Paul Bardot,M. Magnan, F. Chretien, R. Mounier, S. Germain, B. Chazaud. Coupling between Myogenesis and Angiogenesis during Skeletal Muscle Regeneration Is Stimulated by Restorative Macrophages. Stem Cell Reports j Vol. 9 j 2018–2033 j December 12, 2017