Introduction
Les blessures aux ischio-jambiers sont la blessure musculaire sans contact la plus fréquente dans le football masculin [1-3]. La grande majorité d'entre elles survient lors d'une course à haute vitesse, où le muscle est défaillant structurellement ou fonctionnellement [4], en raison d'une charge excentrique intense et répétée au début de la phase d’appui [5-9].
La force et la flexibilité des muscles, les caractéristiques morphologiques et métaboliques, ainsi que la neurodynamique et la tolérance à l'étirement ont été mis en relation avec la vulnérabilité de blessures aux ischio-jambiers [1-3,10,12]. En outre, en raison du lien fonctionnel entre membres inférieurs et complexe lombo-pelvien, la mobilité articulaire de la colonne vertébrale et des membres inférieurs ainsi que de multiples autres facteurs responsables du contrôle fonctionnel lombo-pelvien (contrôle postural, coordination, force, etc.) ont été démontré comme étant cruciaux en réhabilitation et en prévention [1,13-19].
Bien que l'entraînement du contrôle lombo-pelvien et du gainage de base se soient révélés très utiles en réadaptation et en prévention secondaire des blessures [15,22-29], leur rôle exact dans la vulnérabilité primaire de l'athlète et son influence sur la mécaniques musculaires lors de la course ou de la frappe reste peu clair.
Il est frappant de constater que la cinématique à grande vitesse n'a jamais été corrélé directement avec la survenue d'une blessure aux ischio-jambiers. Par conséquent, cette étude visait à étudier l'association entre la cinématique des membres inférieurs et du tronc durant une accélération maximale jusqu’au sprint, et la susceptibilité de blessures aux ischio-jambiers dans un échantillon de joueurs de football masculins.
Matériel et méthode
- Population :
Au cours de la deuxième moitié de la saison 2013, 30 joueurs de soccer présentant un historique récent de blessure (24 derniers mois) et 30 témoins appariés, tous participants au même championnat amateur (Oost -Vlaanderen, Belgique), ont été recrutés.
- Procédure de test :
Après avoir réalisé le protocole d’analyse cinématique de course détaillé ci-après, les sujets ont été invités à compléter tous les lundis et mercredi pendant une saison et demi un sondage en ligne (http://www.hsi.ugent.be) permettant l’enregistrement :
- De l’incidence des plaintes et des blessures.
- De leur exposition hebdomadaire (match et entrainement).
Le suivi a pris fin à la pause hivernale de la saison 2014-2015, période au cours de laquelle tous les participants ont été contactés de nouveau pour une enquête finale sur les blessures survenues.
- Protocole d’analyse cinématique tridimensionnelle
40 marqueurs réfléchissants infrarouges passifs ont été fixés conformément au modèle LJMU des membres inférieurs et du tronc pour l'analyse du mouvement (Van Renterghem J., Université Liverpool John Moores), représentant les repères osseux respectifs et indiquant la position des segments (figure 1 (a)).
L'analyse cinématique de l'accélération linéaire vers le sprint à pleine vitesse a été réalisée sur une piste de course de 40 m, entourée de 8 caméras de capture de mouvement 3D. Ces caméras ont été installées entre les mètres 15 et 25 de la piste de course, car c'est la distance moyenne sur laquelle l'accélération maximale est atteinte pour atteindre la vitesse maximale (Fig. 1.b) [31].
Un système Optogait de 10 mètres a été utilisé pour la détection des appuis, car nous voulions effectuer une analyse cinématique d'une foulée entière, ce qui aurait été impossible avec une plateforme de force.
Après un échauffement de 5 min, chaque participant a été invité à courir sur la piste sur une distance d’au moins 30m, essayant d'atteindre la vitesse de sprint maximale dès que possible. La collecte des données 3D et la détection des appuis ont été effectuées simultanément dans les 10 mètres mesurés. Chaque joueur de football devait effectuer 12 sprints maximum.
Nous avons effectué 2 analyses statistiques :
Aucune différence significative entre les groupes n'a pu être démontrée. La cinématique de la cheville, du genou, de la hanche, du bassin et du thorax dans les plans coronaux, sagittaux et transversaux n'a pas présenté de différences significatives basées sur la présence ou l'absence d'antécédents de blessures aux ischio-jambiers.
Dans le groupe témoin original (n = 29), 4 joueurs ont subi une blessure, entraînant une incidence de 13,8% au cours du suivi de 1,5 saison.
Évaluant les courbes cinématiques des joueurs de football qui ont subi une première blessure aux ischio-jambiers pendant le suivi (n = 4) en référence aux témoins sains (n = 25), la cartographie paramétrique statistique a révélé des différences significatives dans les mouvements pelviens et thoraciques avec :
Après un échauffement de 5 min, chaque participant a été invité à courir sur la piste sur une distance d’au moins 30m, essayant d'atteindre la vitesse de sprint maximale dès que possible. La collecte des données 3D et la détection des appuis ont été effectuées simultanément dans les 10 mètres mesurés. Chaque joueur de football devait effectuer 12 sprints maximum.
Résultats
Nous avons effectué 2 analyses statistiques :
- Une rétrospective dans toute la cohorte afin de déterminer les conséquences cinématiques d'une blessure antérieure aux ischio-jambiers.
- Une prospective au sein de la cohorte n’ayant jamais subi de lésion aux ischio-jambiers avant l'admission initiale afin de déterminer si une cinématique déviante pouvait causer une blessure aux ischio-jambiers.
- Analyse rétrospective : historique des blessures aux ischio-jambiers et cinématique de course ?
Aucune différence significative entre les groupes n'a pu être démontrée. La cinématique de la cheville, du genou, de la hanche, du bassin et du thorax dans les plans coronaux, sagittaux et transversaux n'a pas présenté de différences significatives basées sur la présence ou l'absence d'antécédents de blessures aux ischio-jambiers.
- Analyse prospective : la cinématique de course et susceptibilité de blessures aux ischio-jambiers lors du suivi ?
Dans le groupe témoin original (n = 29), 4 joueurs ont subi une blessure, entraînant une incidence de 13,8% au cours du suivi de 1,5 saison.
Évaluant les courbes cinématiques des joueurs de football qui ont subi une première blessure aux ischio-jambiers pendant le suivi (n = 4) en référence aux témoins sains (n = 25), la cartographie paramétrique statistique a révélé des différences significatives dans les mouvements pelviens et thoraciques avec :
- Un tilt antérieur du bassin supérieur durant toute la foulée, avec une différence statistiquement significative durant la phase d’oscillation postérieure (p = 0,0445), comparée aux témoins sains (Fig 4).
- Une inclinaison latérale thoracique supérieure tout au long de la phase d’oscillation antérieure, comparativement aux témoins sains (p = 0,028) (figures 5,).
- Une instabilité de la cinétique thoraco-pelvienne avec des fluctuations et des discontinuités supérieures par rapport aux témoins sains.
Discussion
À l'opposé de nos découvertes rétrospectives et de celles de Lee et al., les résultats de l'étude récente de Daly et al. [36] ont révélé une association possible entre une blessure antérieure et une cinématique de course altérée. Dans leur cohorte de footballeurs gaéliques (9 avec une blessure aux ischio-jambiers et 9 contrôles) les sujets précédemment blessés ont présenté une augmentation de la flexion de la hanche, de l'inclinaison pelvienne antérieure et de la rotation externe du tibia pendant le début du mouvement comparativement aux contrôles sains.
En ce qui concerne nos résultats prospectifs, en particulier la cinématique du tronc et du pelvis, nos résultats pourraient suggérer que les joueurs qui semblent plus vulnérables aux blessures des ischios jambiers, souffrent d'un manque de contrôle proximal et d'une capacité dissociative insuffisante dans le complexe lombo-pelvien. En tant que telles, ces modifications cinématiques pourraient impliquer que la qualité de gainage dynamique et la capacité à dissocier les mouvements des membres inférieurs (extension et flexion de la hanche) du tronc et du bassin sont essentielles dans la prévention primaire des blessures des ischio-jambiers.
Parce que ces différences cinématiques du bassin et du tronc ont été spécifiquement trouvés dans le groupe blessures à posteriori, nous croyons que ces caractéristiques cinématiques contribuent fondamentalement à un modèle de course moins sécuritaire, rendant l'athlète plus enclin à subir des blessures aux ischio-jambiers répétées, lorsqu’il n’est pas reconnu et corrigé.
Bien qu'il soit suggéré comme étant un élément clé dans la prévention des blessures sportives [1,3,15,22,23,26,27,29,37], la présente étude est la première à donner lieu à des preuves scientifiques réelles concernant l'importance du contrôle fonctionnel de l'unité lombo-pelvienne proximale dans la prévention des blessures.
Par ailleurs, Sherry et ses collègues ont comparé l'efficacité d'un protocole de réadaptation constitué d'exercices d'étirement et de renforcement des ischios jambiers isolés à celle d'un entraînement en chaîne cinétique intégrée comprenant des exercices de gainage et d'agilité [40,41]. Ils ont trouvé que les taux de récurrence et le délai de RTP étaient significativement plus bas chez les joueurs affectés au protocole de gainage.
Afin d'obtenir un meilleur aperçu de cette interaction, les recherches futures devraient tenter une étude intégrée de la cinématique des membres inférieurs et du tronc, couplée à une électromyographie de surface (sEMG) et analyse de la mécanique musculaire.
Conclusion
Étonnamment, il s'agissait de la première étude à relier la cinématique des membres inférieurs et du tronc pendant le sprint au risque de blessure primaire aux l'ischio-jambiers. Nos résultats indiquent que le manque de contrôle de l'unité lombo-pelvienne (« core stability »), représenté par un mouvement excessif du bassin et du tronc pendant les phases d'oscillation de la course, est lié au risque de blessures. Les cliniciens devraient reconnaître l'importance d'une technique de course correcte dans la réadaptation et la prévention des blessures musculaires au football, dans laquelle une technique de course bilatéralement symétrique et convenablement alignée devrait être recherchée, avec un contrôle neuromusculaire proximal adéquat.
Article d’origine
Deviating running kinematics and hamstring injury susceptibility in male soccer players: Cause or consequence ? Joke Schuermans, Damien Van Tiggelen, Tanneke Palmans, Lieven Danneels, Erik Witvrouw http://dx.doi.org/10.1016/j.gaitpost.2017.06.268
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