Nous devons remonter aux années 30 que la popularité du renforcement musculaire apparaisse. Les années d’après-guerre seront celles des avancées significatives au niveau de la recherche scientifique (avec la prise en charge du personnel militaire) où il est constaté l’effet positif d’un entraînement avec augmentation progressive des charges sur la force et la masse musculaire. Cette notion de progressivité s’est ensuite développée sur les différents paramètres qui constituent une séance de musculation : intensité, répétitions, tempo d’exécution, temps de repos entre les séries, temps de repos entre les exercices, temps sous tension.
Les années 70 feront la part belle aux exercices aérobies en lien étroit avec la prévention des risques cardio-vasculaires. Par manque de données scientifiques, la musculation est alors délaissée. Il faudra attendre les années 80 pour avoir une nouvelle mise en avant du renforcement musculaire, dont les vertus positives sont reconnues sur les capacités fonctionnelles des individus et sur la santé.
Le concept de renforcement musculaire est un concept large allant de la « tonification » à la musculation proprement dite. La pratique de la musculation répond à plusieurs objectifs. Le plus médiatique est évidemment celui de la performance, relayé par les athlètes de haut niveau. Néanmoins, cet objectif ne concerne qu’un très faible pourcentage de la population.
Pour le reste de la population, la musculation trouvera sa place pour répondre à des objectifs de santé ou d’hygiène de vie, de prévention et fera partie intégrante d’une prise en charge rééducative.
La réalisation d’un programme de renforcement musculaire implique la mise en place de méthodes spécifiques aux objectifs recherchées : optimisation de la cicatrisation, lutte contre le « détraining » (désentraînement), prévention des blessures, rééquilibrage musculaire, entretien ou développement musculaire.
Lors de la réalisation d’un programme pour un patient, le kinésithérapeute se doit de définir l’objectif afin de proposer un travail individualisé propre aux objectifs du patient, à sa pathologie et la physiologie musculaire.
Liens entre musculation et santé
Très nombreux et étayés dans la bibliographie, nous pouvons citer quelques effets bénéfiques retrouvés de la musculation sur la santé :
- Force et vieillesse : Une part importante des accidents chez les personnes âgées proviennent de déficiences dans la marche, la course, le saut avec une diminution des capacités de coordination. Ainsi, l’entraînement musculaire de l’appareil locomoteur se révèlera extrêmement important. Le renforcement des principaux groupes musculaires pratiqué tout au long de la vie pourra aider à prévenir de déséquilibres, de défauts posturaux et des conséquences que cela peut entraîner. De même, un entraînement général de la force, adapté et dosé permet de diminuer l’incidence de l’ostéoporose chez les personnes âgées.
- Force et immobilisation : Après une phase d’immobilisation, le travail de la force musculaire aide à retrouver les capacités initiales. Le travail isométrique (voir ci-après) peut être un mode de travail utilisé chez les patients immobilisés ou en post-opératoire en première intention.
- Force et prévention : Lors d’un entraînement, l’organisme est confronté à d’énormes contraintes qui seront supportées par des muscles et des tendons préparés. Le travail préalable de force permettra un meilleur respect de l’intégrité physique des patients.
La musculation, une affaire de filière energétique
Les méthodes utilisées vont être dépendantes de l’objectif recherché et de la filière énergétique visée. L’effort produit en musculation met en jeu différentes filières énergétiques simultanément avec plus ou moins d’importance en fonction du temps sous tension et de l’intensité de l’exercice. La filière aérobie sollicite les fibres de type I par des efforts longs et peu intenses utilisant l’oxygène comme substrat énergétique. La filière anaérobie sollicite quant à elle les fibres de type II qui permettent des contractions musculaires à des intensités supérieures à la filière aérobie (filière lactique et alactique).
Place de la musculation dans la lutte contre le detraining ?
Lors d’une rééducation, l’objectif sera de traiter les conséquences même de la blessure sur la structure dont la baisse réversible de la force ainsi que celles du detraining sur la structure dont la perturbation de l’état biologique des cellules musculaires et une perte de force dépendant du temps d’arrêt. Il a été estimé qu’au bout d’une semaine, la perte de force était de 3 à 4%, de 8 à 13% au bout de 2 semaine sur la force excentrique et allant jusqu’à 45% au bout d’un an.
Afin de répondre à ces conséquences, il est important que le sportif blessé ne soit (presque) jamais au repos complet et cela particulièrement quand une blessure entraîne un arrêt supérieur à 4 jours.
Mesurer la force musculaire en rééducation ?
Comme tous les tests, l’objectif est d’avoir une méthodologie de mesures permettant d’obtenir des résultats valides et reproductibles.
Le bilan initial permettra une première évaluation de la capacité de force du sujet. En musculation, une mesure indirecte se fera par l’estimation de la charge ou répétition maximale (RM) correspondant à la capacité du sujet à réaliser une répétition d’un exercice donné. Une fois cette 1RM connue, elle nous servira à définir les pourcentages auxquels nous souhaitons faire travailler notre individu. Cette évaluation progressive se fait jusqu’à l’échec.
Dans le cadre d’un suivi rééducatif, il apparaît difficile de réaliser une évaluation sous cette forme. Des outils comme la table de Brzycki nous permettrons alors d’obtenir une estimation mathématique permettant de prédire la force maximale théorique à partir de la charge mobilisée et du nombre de répétitions réussies.
Cet outil, bien que ne donnant qu’une estimation, pourra dans les premiers temps d’une rééducation nous aider à évaluer et quantifier la charge de travail à proposer à son patient.
Les appareils d’isocinétisme sont considérés aujourd’hui comme une technique de référence pour l’évaluation des performances musculaires. L’utilisation d’un dynanomètre isocinétique présente de nombreux avantages puisque cela va permettre un contrôle quantifié de la résistance et de la vitesse, une contraction optimale en raison de la résistance auto-adaptative, un feedback instantané, une individualisation de la charge de travail et un contrôle de l’amplitude du mouvement. Plusieurs articulations peuvent être explorées, genoux et épaules étant les plus fréquemment testées.
Quantification de la charge de travail
Un entraînement réussi ne doit pas comporter uniquement une surcharge, il doit également éviter ma combinaison entre surcharge excessive et récupération insuffisante. Aujourd’hui, il n’existe pas d’unité de mesure fiable qui pourrait être applicable à tous les exercices d’entraînement, les témoins physiologiques des filières présentant des limites.
La mise en place d’un carnet d’entraînement apparaît comme un élément essentiel de l’entraînement et de son suivi. Il va permettre de quantifier la charge externe (caractéristiques de l’exercice et de la récupération), d’évaluer les effets des charges d’entraînement (charge interne), de mesurer le niveau de performance et d’assurer un suivi longitudinal de notre patient.
Ci-dessous quelques exemples d’outils de quantification de la charge de travail :
- Nombre de répétitions
- Nombre de séries
- Intensité (%RM)
- Durée de la récupération entre les séries
- Durée de la récupération entre les exercices
- Vitesse d’exécution (durée des différentes phases du mouvement)
- Temps sous tension : Nombre de répétitions * Tempo d’exécution
- Charge pliométrique : Nombre de sauts, hauteur, angles de sollicitation.
Le mode de contraction au service de la musculation - Exemple de la Tendinopathie
Le renforcement musculaire dynamique négatif est depuis les travaux de Stanish au cœur des traitements des lésions tendineuses. Il est utilisé dans toutes les étapes de la préparation du sportif, que ce soit en prophylaxie, en rééducation, en réathlétisation ou comme méthode de développement de la force.
Afin de ne pas se tromper de vocabulaire, il est important de rappeler que le travail dit excentrique correspond à un travail avec des charges supérieures à 100% de 1RM. Pour les charges inférieures à 100%, on parlera plus volontiers de travail dynamique négatif.
Bien que la physiologie du travail excentrique présente encore des inconnues, il est admis qu’il existe un effet spécifique du travail de renforcement excentrique sous-maximal.
La production de force dans ce régime de contraction est supérieure à celle observée dans les autres régimes. A tension égale, la contraction excentrique nécessite moins d’activité électrique que lors des contractions concentriques et isométriques. Les unités motrices recrutées produisent chacune une force supérieure. Les fibres sont ainsi sollicitées de façon plus intenses que dans les autres régimes.
Le couple musculo-tendineux étant capable de plasticité, il sera possible d’obtenir une modification des propriétés mécaniques. Ce type de travail aura une action sur la maturation du collagène et entraînera une augmentation du nombre de liaisons entre les fibres de collagène ce qui permet de renforcer la résistance du tendon à l’étirement.
Comme exemple d’application pratique, nous pouvons citer les travaux d’Alfredson qui ont complété les programmes de renforcement musculaire excentrique existants.
Dans le cadre des tendinopathies achilléennes, le traitement le plus souvent rencontré est composé des paramètres suivants :
- Nombre d’exercices : 2 (genoux tendus / genoux fléchis)
- Séries : 3
- Répétitions : 15
- Fréquence : 2 fois par jour
- Durée du traitement : 12 semaines
- Intensité : Poids de corps au départ puis incrémentation de la charge par le port d’un sac lesté ou par l’utilisation d’appareils de musculation.
L’isocinétisme est également une méthode de renforcement utilisée en dehors des phases aiguës en utilisant des paramètres de progression conditionnant l’efficacité du traitement :
- Vitesse : De 30°/s au départ puis progressivement augmentée jusqu’à 180°/s selon les protocoles,
- Intensité : Sous-maximale au départ à 30% puis progressivement augmentée jusqu’à 80% de l’intensité maximale,
- Amplitude articulaire : De la course interne ou moyenne au départ vers la course externe,
- Volume : Entre 100 et 150 répétitions réparties en séries,
- Nombre de séances : 20 – 30 séances, 3 fois par semaine.
Spécificité et progressivité au service de la musculation - exemple de la lesion myo-aponevrotique
- Phase 1 : Phase cicatricielle
Suite à une lésion musculaire, il va falloir de très précoce bouger. La stimulation précoce permettra une augmentation rapide de la vascularisation tissulaire, une accélération de la résorption hématique, d’augmenter le nombre de cellules inflammatoires, une augmentation de la régénération des fibres musculaires, une meilleure orientation des fibres et une prolifération des capillaires plus précoce et plus intense.
L’utilisation de travail excentrique de façon précoce permettra la synthèse protéique, un arrangement architectural, une augmentation de la résistance à l’étirement intense, l’augmentation du nombre de sarcomère et la stimulation de l’activation et de la prolifération des cellules satellites.
Méthodes
- Fréquence : 1 fois par jour entre J2 et J5 puis 1 fois tous les 2-3 jours,
- Séries : 3 – 8
- Répétitions : 5 – 15
- Intensité : Résistance manuelle puis avec charges additionnelles
- Spécificité : Se rapprocher de la spécificité de la contraction
Dès J5 - J7, il est possible de débuter un renforcement isocinétique.
- Evaluation : La force contro-latérale (CL) sera évaluée à 5°/s, 10°/s et 15°/s dans un premier temps puis à 20°/s, 30°/s et 60°/s dans un second temps, sera le point de départ du protocole de renforcement.
- Amplitude et vitesses : Le travail débutera en excentrique à 5°/s à 45% de l’amplitude maximale et 35% de la force maximale CL. Après avoir recouvert l’amplitude articulaire complète, le pourcentage de force sera augmenté (50% à 90%) ainsi que la vitesse de travail (de 5°/s à 30°/s).
- Fréquence : 1 séance par jour au départ puis 1 tous les deux jours
- Séries et Répétitions : Commencer par un petit volume de travail au départ (4 x 5 reps) puis augmenter le nombre de répétitions (4 x 8 reps).
- Phase 2 : Phase de renforcement (en coordination avec le travail de la filière aérobie)
A cette phase, il faudra mettre en place un travail précoce de la filière aérobie. Un des objectifs sera la reprise précoce de l’endurance aérobie permettant de lutter contre les effets du detraining. Le travail proposé sur la structure musculaire elle même se fera en respectant le travail de la filière, par un travail en force-endurance.
Méthodes :
- Quantification de l’intensité : Par la table de BRZYCKI
- Séries : 3 – 5
- Répétitions : 15 – 25
- Repos : 1’ – 3’
- Intensité : 30% - 60%
- Temps sous tension = 50’’ – 120’’
- Phase 3 : Phase de reprise (en coordination avec la reprise du travail de la filière anaérobie)
Plus notre sportif se rapprochera de la reprise, plus il faudra proposer des séances en lien avec la spécificité de la contraction musculaire.
Méthodes :
- Méthode concentrique : 85% - 100% 1RM, de 4 à 1 répétitions, sur 6 à 10 séries avec des temps de repos plus long permettant la resynthèse des substrats énergétiques (de 3 à 6 minutes).
- Explosivité : Travail en force-vitesse, méthode stato-dynamique, méthodes bulgares
- Pliométrie : Basse, moyenne puis haute.
Le kinésithérapeute par ses connaissances de la physiologie musculaire, de la biomécanique et de l’anatomie va pouvoir proposer un renforcement progressif et adapté. Il n’est pas possible d’appliquer une méthode de renforcement à l’ensemble des groupes musculaires. En effet, il faudra adapter le renforcement proposé en fonction du type et de l’architecture du muscle atteint.
Prenons l’exemple des ischio-jambiers : Constitués majoritairement de fibres de type II, à vitesse de contraction rapide mais faiblement vascularisées, ils répondront plus favorablement à un travail « court et lourd ».
Des erreurs de paramétrage d’une séance de musculation par un travail inadapté à la physiologie du muscle travaillé, que ce soit dans le travail préventif ou rééducatif, seront des facteurs de blessures ou de récidives.
La biomécanique au service de la musculation - Exemple du syndrome femoro-patellaire
La limitation de l’amplitude articulaire durant les exercices de renforcement musculaire du quadriceps peut aider à diminuer les contraintes subies par l’articulation fémoro-patellaire.
Ainsi, lors de la mise en place d’un programme de renforcement du quadriceps, le thérapeute pourra conseiller de réaliser des exercices type squat entre 0° et 45°. Lors d’un travail isolé du quadriceps sur une chaise à quadriceps (Leg Extension), la position de départ se fera en position assise et la jambe devra s’éléver jusqu'à la mi-course (90° - 45°). La restriction de l’amplitude lors de ces exercices pourra aider à minimiser les douleurs lors de la réalisation de ceux-ci et ainsi permettre de développer le niveau de force, et par la suite, l’amplitude articulaire.
La musculation appliquée à la kinésithérapie est bien difficile à résumer car dépendante du contexte pathologique de nos patients et des objectifs de travail selon les phases. Il est important de retenir que cela sera par nos connaissances de la pathologie, de son évolution, de la physiologie musculaire et de la biomécanique que nous pourrons proposer un travail individualisé et réaliser une musculation optimale.
Par Erwann Le Corre avec la participation de : Arnaud Douville de Franssu et Arnaud Bruchard
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- Speed meeting Kinesport, www.kinesport.info.