Dans le XIe, les attentats ont un impact majeur sur le marché immobilier


Rédigé le Mercredi 16 Décembre 2015 à 10:00 | Lu 164 commentaire(s)


Le XIe arrondissement de Paris a été fortement impacté par les attentats en 2015. Après Charlie Hebdo le 7 janvier, l’arrondissement a payé un lourd tribut le 13 novembre dernier avec l’attaque de quatre bars et du Bataclan. Ces attentats ont causé la mort de 130 personnes et fait plus de 400 blessés. Plus de 5 000 habitants – témoins ou riverains - ont bénéficié par ailleurs d’un soutien psychologique mis en place par la mairie d’arrondissement. Depuis un mois, de plus en plus d’habitants des quartiers touchés par ces attaques affirment ouvertement vouloir quitter le secteur et sortir de Paris pour « protéger leurs vies et celles de leurs enfants ». Reportage


Au bistrot « A la bonne bière » situé rue de la Fontaine au Roi, où cinq personnes ont trouvé la mort et une quinzaine de clients grièvement touchés par les balles des assaillants, nous avons rencontré Christophe, un jeune homme rescapé de la tuerie. Ce soir-là, il prenait un verre avec une amie. « J’ai eu beaucoup de chance car je n’étais pas dans la ligne de tir directe des terroristes. J’ai été touché par une balle en ricochet qui m’a traversé le bras gauche. Mon amie, elle a eu moins de chance, elle a reçu trois balles dans le bras droit. Nous avons vécu un véritable enfer. Les gens autour de nous hurlaient de peur ou de douleur. » Christophe est sorti deux jours après de l’hôpital Tenon, beaucoup plus rapidement que son amie qui est restée quinze jours à l’hôpital. « Elle a perdu l’avant-bras droit dans l’affaire et son moral est au plus bas », témoigne Christophe. « Nous habitons depuis toujours ce quartier et nous nous posons vraiment la question de partir de là. Cela n’est pas du tout facile pour nous car nous aimons notre arrondissement et nous aurons un peu le sentiment d’abandonner les amis et ceux qui ont soufferts. Pour l’instant, nous restons. Ce qui me fait le plus souffrir c’est de voir comment notre si chouette quartier a changé de visage. Il n’y a pas une rue où rien ne nous replonge dans l’enfer du 13 novembre. »

Un quartier traumatisé

Une petite visite rapide de certains îlots du XIe sont là pour nous en convaincre : rue des Trois-Bornes, une montagne de fleurs est placée devant une fontaine. Là à quelques mètres, une jeune femme habitait un petit studio. Elle a été tuée au Bataclan. Ses voisins, ses amis ont alors érigé un petit mémorial pour rappeler son souvenir. Ailleurs encore, rue de la Folie Méricourt, à l’angle du parvis de l’église de Saint-Ambroise, encore un mémorial à la mémoire de Romain, le jeune gérant du bistrot « Cent kilos » mort à la terrasse d’un autre bar rue de Charonne. Boulevard Richard Lenoir, boulevard Voltaire, rue Oberkampf, rue Amelot, rue Saint-Maur, rue du Chemin Vert, rue de la Roquette, rue Sevan… : de très nombreuses rues rappellent le souvenir d’habitants morts ou blessés. 

« A l’ouest du XIe, les transactions sont au point mort »

Sur l’année 2015, l’immobilier sur le XIe résiste mais on assiste depuis mi-novembre à un réel fléchissement des transactions, en particulier dans le secteur République-Oberkampf et plus largement sur le secteur ouest de l’arrondissement délimité par la rue du Chemin Vert. Si à l’est de cette « ligne », le marché ne semble pas trop affecté par la vague d’attentats de 2015, il en est autrement pour l’autre partie. Selon Samuel Berrih, agent immobilier et sociétaire de la SO.CA.F., « les transactions sur le secteur République-Oberkampf sont au point mort depuis le 13 novembre. On avait déjà vécu cette situation au début de l’année avec l’attentat contre Charlie Hebdo, ce phénomène avait duré plusieurs mois. Nous avons observé un retour à la normale au début de l’été et jusqu’à novembre. Pour l’instant, il est encore un peu tôt pour expliquer la situation uniquement par les attentats, même s’il est fort probable que ces évènements y ont beaucoup contribué », estime Samuel Berrih.  

« Depuis le drame, je n’ai pas reçu le moindre coup de fil »

Un propriétaire qui cherche à vendre un appartement de 54 m² situé rue du Faubourg du Temple côté XIe, pratiquement en face du Palais des Glaces, est amère : « Mon appartement est situé face à la rue Bichat dans le Xe. Là, regardez, à 100 mètres, on voit Le Petit Cambodge et Le Carillon, les deux premiers restaurants mitraillés où une quinzaine de personnes ont été tuées. Là, à gauche, à 50 mètres, c’est « La bonne bière », où cinq autres personnes ont été abattues. J’ai mis mon appartement en vente en octobre. J’avais des visites prévues mais toutes ont été annulées. Depuis le drame, je n’ai pas reçu le moindre coup de fil ».   

« Mon père veut que je quitte le quartier avant Noël »

A ce croisement de quatre rues et deux arrondissements, tous les commerçants ont vécu un véritable enfer. Le boulanger situé en face du bar attaqué était assis dans son commerce, derrière sa caisse, au moment du drame. « Je n’ai rien compris, au début je pensais comme beaucoup d’autres à un règlement de compte. Mais, très vite un des terroristes a tourné son fusil vers ma boutique ! »  Jean se jette par terre, huit balles pénètrent son commerce et viennent se loger pour partie dans les baguettes et les pâtisseries. Indemne par miracle, le commerçant se dit encore sous le choc, un mois après. Si le boulanger ou le fast food Mc Donald’s ont remplacé les vitrines de leurs établissements criblés d’impacts de balles, de l’autre côté, la laverie automatique n’a pas encore effectué de grands travaux de rénovation. Des dessins d’enfants ou des cœurs ont été posés à l’endroit des impacts de balles. A tout juste 18 ans, Floriane est étudiante en langues en première année à la faculté de Paris Censier, originaire d’Indre-et-Loire, elle habite au début de la rue de la Fontaine au Roi. Elle habite un petit studio, au cinquième étage de l’immeuble dont le restaurant Casa Nostra au rez-de-chaussée a été mitraillé en même temps que La bonne Bière situé en face.  « J’étais en train de finir quelques travaux de traduction et je m’apprêtais à rejoindre des copines rue Saint-Maur pour passer la soirée dans un bar lorsque j’ai entendu des cris et des coups de feu. J’ai passé la tête à la fenêtre et là j’ai vu une voiture au milieu de la rue et des types tirer dans tous les sens. J’ai vu des corps par terre, les gens hurlaient, pleuraient. J’ai mis mes mains sur les oreilles, le bruit des tirs était épouvantable. Je ne savais pas quoi faire, j’étais tétanisée. Je n’ai rien compris, j’étais perdue. J’ai pleuré et la première des choses que j’ai faite c’était de téléphoner à mes parents. » La jeune fille « adore ce quartier » qu’elle a découvert l’année dernière en cherchant un studio pour la rentrée universitaire. Ses parents, médecin et ingénieur à Tours, se sont portés garants pour leur fille. « Mes parents ne veulent pas que je reste dans le XIe et souhaitent que je quitte sinon Paris, qu’au mieux je m’éloigne des quartiers qui ont été touchés ». Son père veut la voir partir à Noël. D’autres habitants qui louent dans le secteur eux aussi envisagent de déménager. Thibaud vit avenue Parmentier. Comme beaucoup de quadras, il a choisi de vivre « dans un quartier vivant où toutes les cultures cohabitent sans problèmes. » Marié et père de deux petits garçons scolarisés dans le quartier, il avoue réfléchir à partir. « Depuis quelques semaines, mes enfants dorment mal, mon dernier fait des cauchemars régulièrement, c’est pour les protéger que nous envisageons de quitter l’arrondissement. »



Dans la même rubrique :