Conference histoire et civilisation vendredi 21 mars 2025 à 18h30

"Montazel, le camp oublié"
Entrée libre




Conférence présentée par Georges Chaluleau
 
Georges Chaluleau, audois d’origine, a été journaliste à L’Indépendant du Midi et à La Dépêche du Midi. Il collaborera à l’Express Méditerranée, au Figaro, et à Ouest France. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages touchant au patrimoine de l’Aude et de la région, dont « Le carnaval de Limoux » Édition Atelier du Gué, « Histoire d’un terroir : Limoux » coécrit avec Laurence Turetti, Éditions Loubatiere, prix Histoire de l’Organisation internationale de la vigne et du vin.

A propos de la conférence

1939. Camp des réfugiées espagnoles  de Couiza dans l'Aude

A la différence de la majorité des camps de réfugiés espagnols, le camp de Couiza-Montazels qui héberge début février 1939 dans le département de l’Aude est un camp composé exclusivement de femmes et d'enfants de moins de 15 ans. C'est le plus misérable de tous les camps installés dans ce département où 10% de la population est d'origine espagnole, considéré comme « le bas fond de la société espagnole » comme l'a dit l’ historien français Bernard Salques lors d'un colloque organisé à Carcassonne en 2003.
La "vengeance" politique n'est pas la seule raison de la descente aux enfers à laquelle elles sont soumises. La république espagnole avait concédé aux femmes le droit de vote et celui d''avorter. Les françaises attendront un demi- siècle. Cette différence pèsera lourd dans le comportement des autorités,  le machisme ordinaire du pays d'accueil trouvant-là l'occasion de renforcer son sentiment de rejet au regard de l'ordre social ainsi brouillé par des droits exorbitants accordés aux femmes, analyse  les actes du colloque .
"On n'accepte pas que ces femmes aient pu avoir des droits  que n'avaient pas les femmes françaises (vote et avortement). Ces droits, considérés comme au-delà de ce que tolère une certaine doxa en vigueur, dénotent, pour l'administration française, une outrecuidance qu'il faut implicitement sanctionner et qui relève même d'un manque de civilisation, une certaine vision de l'ordre social estimant que celle-ci est davantage garantie par la restriction des libertés que par un trop grand usage, qui conduit alors à des comportements animaux ou primitifs. L'excès de droits lui apparait alors hors normes et mis hors normes, un groupe social se retrouve automatiquement dans l'exclusion".
Le livre raconte le quotidien de la vie de ces femmes dont l'une d'entre elles, Elisa Reverter originaire de Badalona près de Barcelone, qui avait 22 ans, rédige un journal qui deviendra un livre des années plus tard « Dones a l’infern ». Il montre la rencontre impossible entres les réfugiées venues d'un pays voisin dépouillé de sa légitimité politique et historique et le pays d'accueil « rêvé » dans un contexte de pré guerre, économiquement et politiquement aux abois. Le scénario parfaitement organisé est subordonné à la pression des circonstances et à la volatilité des événements. Les témoignages des rares personnes qui ont réussi à pénétrer dans l'enceinte gardée jour et nuit par des gendarmes en armes, dénoncent des conditions de vie lamentables, relayées dans les archives par les notes de l'administration de l’époque au ton ouvertement misogyne et raciste. Le calvaire des 900 réfugiés coïncide avec l’arrivée du froid, la vétusté des locaux, une ancienne usine à chapeaux désaffectée constituée d'immenses salles ouvertes aux quatre vents : litières en paille, pas de couvertures les premières semaines. Le régime alimentaire rationné et insuffisant semble relever d’un vieux fond de kermesse oublié par les rats, gâtés par les débordements aux abords des 6 robinets d'eau en plein air pour la toilette, et des 6 trous en guise de WC pour une population approchant le millier de personnes, accrochées des heures durant à de longues queues d’attente Un détachement de gendarmes en armes assure nuit et jour la garde de l'usine transformée en prison.  Dans les 15 jours suivant leur arrivée, plusieurs enfants en bas âge succombent aux misérables conditions de vie, carences alimentaires ; des femmes meurent également malgré l'assistance des hôpitaux de la région. Une révolte éclate et une vingtaine de gendarmes disperse la foule des contestataires réunie dans la cour de la chapellerie. Les meneuses du mouvement sont emprisonnées à Carcassonne
La tension est à son comble, lorsqu'une épidémie de rougeole se déclare au même moment et qu'une vingtaine d'enfants en sont affectés. Les internées sont terrifiées lors des visites sanitaires organisées par le médecin du camp. Ses sanctions sans appel majorent des situations anxiogènes désastreuses : déplacement de malades pendant la nuit et menace de reconduction à la frontière, intrusion de policiers espagnols pour accélérer le rapatriement en Espagne par le chantage, fouille au corps en pleine nuit par les gendarmes, isolement total et absence de contact avec l'extérieur, rares visites d'organisations d'entre aides internationales. Abus de toutes sortes dont les plaintes ne dépassent pas le seuil de l’oralité. Repliée sur elle-même la population compatissante et méfiante à la fois, n'a pas l'empathie facile, et ne leur sera d'aucun recours, conditionnée par la double propagande gouvernementale française qui voit dans la présence de l'étranger une menace pour la sécurité économique et politique du pays. Et qui succombe à celle qui vient d'Espagne, taxant les « rouges » « d'assassins de curés et de bonnes sœurs, de collectivistes et de voleurs ». 

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Rédigé par Association Espace Gibert le Vendredi 27 Septembre 2024
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