Un bel après midi de printemps au jardin François Mitterrand


Olivier Taconet

Serge Moati et Paul Quilès, deux acteurs importants de la prise du pouvoir du 10 mai 1981, ont répondu hier à l'invitaiton de Michel Champredon, maire radical d'Evreux.
Sous un ciel radieux, on a beaucoup échangé les souvenirs autour du mûrier planté pour l'occasion, chacun y allant de ses souvenirs et de ses émotions en attendant Serge Moati, arrivé comme tout le monde par le train à la gare toute proche. Le tout se mélangeait aux sujets du jour : la récente adhésion de Michel Champredon au parti radical de gauche,les états comparés de la gauche de 1981 à celle de 2011, les rancoeurs des communistes à la suite de leur retrait de délégations de signature ... Mais les comparaisons apparaissent bien vite comme autant de déformations. Ainsi, notre propension à enjoliver le passé n'a souvent d'égal que celle que nous avons à dramatiser le présent...


Le mûrier

Serge Moatti, Paul Quilès aux cotés de Michel Champredon, dans le jardin François Mitterrand
En fait, dans ce type de cérémonie, le plus dur est de trouver un ton. Il aurait été inconvenant de se lancer dans une célébration trop solennelle, et pire encore dans une démarche de condoléances. La victoire du 10 mai, au fond, était une intense libération... elle était l'autorisaiton de la fête, pour tout une population, celle du peuple de gauche, qui s'était tristement habitué à supporter la victoire des autres.
Les interventions de Michel Champredon et de Paul Quilès ont magnifiquement replacé les choses dans le contexte.
Michel Champredon a certes fait part de son émotion et de ses souvenirs de jeune militant au soir de la première victoire de la gauche ... mais, par la gentillesse et l'humour, il a souligné de facto la capacité de la gauche à aller au delà de ses tensions, et de tracer des perspectves. Une anecdote qui aura marqué les esprits : le choix de l'arbre. François Mitterrand n'aimait pas les résineux et avait accusé leur plantation massive d'avoir défiguré les plateaux du Morvan. C'est la raison pour laquelle c'est un mûrier qui a été planté en l'honneur du 10 mai.
Paul Quilès, quant à lui, a montré que la gauche, jusqu'au soir du 10 mai, était dans l'expectative, dans la division, et dans l'incapacité de croire à la victoire. C'est la victoire elle-même qui a soudé autour de François Mitterrand les français et en tout premier lieu le peuple de gauche qui venait de retrouver la fierté grâce à lui.

Les anecdotes ...

un contre-jour regrettable... mais moins que la trop grande brièveté des débats.
Personnellement, j'attendais beaucoup du débat... Peut-être un peu trop. L'emploi du temps de Serge Moatti en a voulu autrement. On s'attendait à un film émouvant basé sur les souvenirs de la glorieuse époque... mais les conditions de visionnage ont été un peu difficiles entre les bruits venant de l'extérieur de la salle et la présence du soleil qui créait dans la salle un contre jour et un éblouissement terrible. De toute façon, Serge Moatti était trop pressé. Le film a été interrompu, le temps pour Paul Quilès et Serge Moati de livrer quelques anecdotes amusantes, surtout que le premier, directeur de campagne, et le second chargé des prestations audiovisuelles, situaient bien la force et la fragilité intime du candidat Mitterrand.
Serge Moati a insisté sur l'épisode de Mitterrand refusant le débat avec Giscard d'Estaing (il avait perdu le débat de 1974, sur la petite phrase qui tue : "la gauche n'a pas le monopole du coeur")... demandant à son entourage de fixer de telles conditions que Giscard devrait les refuser ... Manque de pot, l'équipe de Giscard cède à tous les caprices. Ne reste plus qu'à préparer le débat... pour ce faire, on fait appel à un jeune énarque, Laurent Fabius ... qui prend son sujet au sérieux ... à tel point que le sparring partner déstabilise le champion qui lui lance :" vous n'êtes pas mon professeur !"
La formule était trouvée ! Et alors que Mitterrand allait jeter l'éponge, Moatti le rattrappe et l'invite à ressortir la même phrase dans le grand débat.
Paul Quilès lui a chambré gentiment le grand Séguéla ... sur la manière dont avait été trouvée la formule "La force tranquille". Au départ, un projet qui n'avait rien à voir sur un grand élan pour la France... et Paul Quilès, militant dans l'âme, d'imaginer lesdites affiches recouvertes de cornes d'élan... avant que finalement de slogans utilisés pour d'autres campagne à des projets divers, on en arrive à une force tranquille, transformée rapidement en la force tranquille qui allait devenir le slogan emblématique de François Mitterrand.

Un vrai débat à avoir

Mais tout cela n'est pas qu'une histoire de slogan. Il y a la réalité historique. Une gauche en voie de recomposition ... et ça ne se passe pas tout seul. Les débats au sein du PS sont saignants. Mitterrand semble minoritaire entre Rocard et Mauroy... Les sondages donnent Mitterrand battu contre Giscard un an avant, avec 40 % des voix contre 60. ...
Mais la France veut changer, finalement. La gauche apparait bien comme le seul moyen de renverser une société sclérosée... La droite est en dehors du coup. Elle pronostique des chars russes un peu partout. Place de la Concorde, dans les rues de Rouen et sur le plateau du Neubourg... Des prophéties qui faisaient déjà sourire mais qui montraient bien à quel point une droite sans projet était incapable de s'adapter au monde qui vient.
Et d'ailleurs, tout compte fait, l'une des principales leçons du 10 mai, c'est aussi ça : un pouvoir à gauche, c'est possible. La politique, c'est possible, c'est difficile, mais ça intéresse tout le monde.
Et finalement, chacun le sait bien, s'il y a des leçons à tirer du 10 mai 1981, la situation a bien changé.
On est sorti de la bande des 4 ... avec un rapport de force évoluant entre doitre gaulliste et droite centriste à droite ... et à gauche entre communistes et socialistes...Le tout condamné par un Le Pen inexistant politiquement et qui appelait ça "la bande des 4", en référence à aux déchirements du pouvoir post-maoïste en Chine, mais c'est une autre histoire.
Aujourd'hui, quelles sont les attentes à gauche ? Le 10 mai 1981 se basait sur une vraie vision socialiste. Celle à qui Jospin a tordu le cou en 2002, déclarant que son programme n'était pas socialiste.
Et d'ailleurs, qui veut du socialisme aujourd'hui ? En France, plus personne, même Mélenchon ne se prononce pas trop sur le sujet. En tous les cas, le socialisme est directement rejeté par les peuples qui au sud de la Méditerrannées, on vu ce terme justifier trop de dictatures. Au fond, le monde veut de la liberté, de l'égalité, de la fraternité et de la laîcité. C'est le programme radical depuis le début !
Nous devons certes retenir les leçons du passé, tout ce que 1981 nous a apporté de joie et de déception. Tout ce qu'elle a modifié en profondeur dans capacité à agir.
C'est cette société à construire ensemble, dans la vérité, dans la lucidité, dans le débat et dans la joie qui doit constituer l'ossature de la gauche ...


Olivier Taconet