Rythmes scolaires : valse ou swing ?


Franck Martin

Le constat est sans appel : la qualité de notre enseignement primaire se dégrade.

Et, pour la première fois en France, les communes sont appelées à la rescousse. Il s'agit de construire autour et au service de l'enfant, un projet éducatif territorial associant tous les acteurs de la vie locale : parents d'élèves, enseignants, services municipaux.

La ville de Louviers prendra ses responsabilités. Je ne transigerai ni la qualité, ni sur la quantité - considérable - des moyens à mettre en oeuvre pour la réussite de ce projet éducatif.

Mais pour construire ensemble, pour co-produire un projet territorial il faut le temps nécessaire à la concertation et à l'organisation de tous les acteurs. S'impliquer totalement dans la réussite d'une réforme exclut toute précipitation, toute impréparation.

De plus, pour éviter d'accroitre les inégalités territoriales, il me semble que l'intercommunalité doit également s'impliquer pour mutualiser des moyens, tant matériels qu'humains.


Un constat sans appel : la France décroche !

Le constat est sans appel. En 2011, une enquête de l'OCDE a mesuré la dégradation de notre enseignement primaire, naguère dans les premiers au monde, aujourd'hui 29 ème sur 45 pays développés !

Dans le classement par la qualité de l'enseignement primaire, la France décroche un peu plus chaque année et si rien n'est fait, notre pays décrochera, en queue de peloton des pays développés.

Paradoxalement, les écoliers français sont fatigués... parce qu'il n'y a pas assez de jours d'école. Unique au monde, l'organisation du temps de travail scolaire fait que, dans une année civile de 365 jours, l'élève français ne se trouve face à un professeur que 144 jours par an !

Pour compenser de longues vacances d'été, de nombreuses vacances intermédiaires et la semaine de 4 jours, le système éducatif impose à nos écoliers une durée d'enseignement quotidien beaucoup trop longue pour maintenir une concentration durable sans fatigue et éparpillement des facultés.

Année scolaire trop courte, jours sans classe trop nombreux ont pour conséquence des horaires journaliers beaucoup trop chargés pour que l'attention de l'enfant se maintienne de façon satisfaisante. Le retour à la semaine de quatre jours et demi est donc un minimum indispensable pour la qualité de l'enseignement.

Heureusement, la réforme ne se limite pas à ce minimum soutenable.

Très attendue, la réforme des rythmes scolaires vise à mieux répartir les heures d’enseignement par une meilleure articulation entre le temps scolaire et péri-scolaire. Elle veut offrir à tous les élèves un accès aux activités extra-scolaires pour éveiller leur curiosité intellectuelle et renforcer le plaisir d’apprendre et d’être à l’école.

Le temps passé en activités éducatives sera organisé par les communes, dans le cadre d'un projet éducatif territorial établi par la concertation entre les enseignants, les parents d'élèves, les associations et les élus locaux.

Le décret paru le 26 janvier 2013 fixe l'horaire hebdomadaire à 24 heures d’enseignement sur 4,5 jours répartis comme suit :
5 h 30 maximum pour une journée de classe
3 h 30 maximum pour une demi-journée de classe - Mercredi matin et par dérogation le samedi matin
1 h 30 minimum de pause « méridienne », à mi-journée.

Le décret précise l'obligation d'organiser 4 heures de temps éducatif où les écoliers seront pris en charge à raison  de
- 3 heures de temps éducatif pour les communes.
- 1 heure de temps éducatif pour l’Education nationale.

A noter que si la présence des élèves est facultative pour ces temps éducatifs hors enseignement scolaire, les acteurs du PET ( projet éducatif territorial ) sont dans l'obligation d'assurer l'accueil durant ces 4 heures de temps éducatif et de pourvoir à l'encadrement des écoliers ainsi qu'à l'organisation d'activités éducatives.

Facultatif pour les élèves, obligatoire pour les communes, le temps éducatif exige un effort considérable de concertation, d'organisation, de financement. Il ne s'agit en rien d'un temps de « garderie » supplémentaire.

 

Pour les communes, la mise en place de ce projet éducatif soulève d'emblée plusieurs difficultés : le lieu, le temps, le personnel, le transport.
D'emblée se pose, pour de nombreuses communes, la question des locaux : l'Education nationale souhaite - à juste titre - que la salle de classe soit sacralisée et que l'on n'y pénètre pas en l'absence du maïtre d'école. On comprend bien que les activités hors temps scolaire puissent déranger ou salir la salle de classe.
Alors, où accueillir les élèves ? D'autant que si l'on souhaite pratiquer des activités sportives ou artistiques, de plein-air comme à l'abri, nombre de communes ne disposent d'aucun lieu adapté.
Il faudra donc prévoir aussi le transport des écoliers. Mais comment ajuster le temps de transport à des tranches horaires très courtes ?



La gestion du personnel  est cruciale pour la réussite du PET : il ne s'agit en aucun cas d'une garderie, il faudra donc disposer de personnel qualifié pour des horaires très variables et pour des effectifs incertains, du fait de l'absence d'obligation pour les écoliers à assister aux temps éducatifs.
Même si le gouvernement a assoupli, en quantité, les normes d'encadrement, le recours à des animateurs qualifiés pour assurer la qualité de l'encadrement exclut de fait, le bénévolat.
Pour une petite commune, embaucher 3 ou 4 animateur (sportif, artistique,scientifique,littéraire) pour 3/4 d'heure par semaine, disposer d'un remplacement pour pallier l'absence de l'un d'entre eux, est une mission quasi impossible.
La mutualisation des moyens ( encadrement, transport, gestion de personnel ) soit par l'intercommunalité, soit par le recours à des associations locales me semble incontournable.

Ca va coûter... bonbon !

Les communes doivent se préparer à un choc financier majeur ! Car pour toutes les villes, les incertitudes sur le financement demeurent. Organiser trois quarts d'heure d'activités périscolaires en plus, chaque jour, pour compenser l'allégement du temps de classe, a un coût : entre 100 et 150 euros par élève, estime l'Association des maires des grandes villes de France. Soit 600 millions d'euros par an, plus de deux fois plus que le "fonds d'amorçage" de 250 millions d'euros promis aux villes engageant la réforme dès 2013. "Il faut que ce financement soit pérenne", réclame Cédric Szabo, de l'Association des maires ruraux de France (AMRF).
Une estimation rapide, menée par les services municipaux, amène la Ville de Louviers à une prévision de plus de 250 000 euros par an ! Et le financement avancé par l'Etat, uniquement pour l'année 2013, serait de 150 000 euros, pour disparaître ensuite. Cela mérite quelque réflexion...

2013 ou 2014 ?

Ma décision n'est pas définitive, mais je pense que Louviers attendra la rentrée 2014 pour appliquer cette réforme. En effet, le centre de cette réforme est bien de produire et de mettre en place un projet éducatif performant, par la concertation entre tous les acteurs concernés.
Le nombre de difficultés à résoudre est considérable. La mutualisation de certains moyens demandera une discussion à l'échelle intercommunale.
En conscience, je ne me sens pas prêt à bâcler cette chance de réforme. Et si nous retardons l'engagement de la Ville jusqu'en 2014, c'est pour faire mieux, pas pour faire moins : pour financer ce temps éducatif, la Ville mettra tous les moyens nécessaires. Parce que la réussite de nos écoliers, quel qu'en soit le coût, n'a pas de prix.


Franck Martin