Mariage pour tous : on ne vous a pas tout dit !


Franck Martin

A la veille de la manifestation des "anti", on peut croire que tout a été dit sur le mariage pour tous. Si tout a été dit, tout n'a pas été entendu. Je me permets d'ajouter au débat mon point de vue citoyen, mais aussi le point de vue du maire, officier d'état-civil et premier représentant de l'Etat que je suis à Louviers.
En France, il y a deux formes de mariage, que le débat actuel finit par confondre. La République a séparé le mariage religieux, qui sacralise une conception du monde, de la famille, de la parentalité spécifique à chaque religion et le mariage civil qui laisse la liberté de conscience à tous, mais règle par la loi une relation entre deux individus, protège les droits de l'enfant et ouvre des droits au couple marié.
Les partisans du statu-quo confondent sciemment les deux mariages afin de souder ce qui appartient au mariage-sacrement, une conception de la famille qu'ils veulent éternelle et unique, au mariage civil. Les valeurs morales portées par l'union du couple ne regardent que la conscience des époux. Elles peuvent être sacralisées devant le prêtre.
Le maire, officier d'état-civil, garantit au couple l'accès aux droits ouverts par le mariage. Le débat doit donc porter, non sur la conception de la famille, mais sur l'égalité devant la loi entre majorité et minorité sexuelle.


Officier... et citoyen

Pour imposer à tous leur conception de la famille, les "antis" ne font pas dans la dentelle !
Je suis officier d'état-civil, mais d'abord citoyen !

En tant que citoyen, je me suis engagé en politique pour défendre et étendre une valeur suprême : celle de la liberté. En matière d'orientation sexuelle, le combat pour la liberté a d'abord été d'établir que l'homosexualité n'était ni un crime, ni un délit, ni une pathologie mentale. Ce combat est en passe d'être gagné en France, mais il reste bien des pays où l'homosexualité est passible de la peine de mort.

Dans les années soixante, ceux qui étaient contre le mariage était dans le camp de la liberté ! Aussi, j'ai longtemps été dubitatif sur la revendication du mariage pour tous. Pour les générations précédentes, le combat pour la liberté passait par... l'union libre, le droit de vivre sa sexualité, le droit de vivre en couple, le droit de fonder une famille en dehors du mariage. Combien de vies, combien de femmes ont été écrasées par la tyrannie morale qui interdisait tout amour en dehors du carcan du mariage ? Alors pourquoi revendiquer pour une minorité le droit à un mariage qui, des siècles durant, a symbolisé la dictature morale de la majorité sur les tenants de l'amour libre ?

Hétérosexuel, partisan de l'union libre, pacsé, j'avoue qu'il m'a fallu du temps - le temps qui m'a conduit à devenir maire -  pour comprendre la revendication du mariage pour tous. Devenu officier d'état-civil, j'ai mieux compris que le mariage règle par la loi un statut accordé à deux personnes, statut qui ouvre des droits concrets.

Vu sous cet angle là, pour tout républicain conséquent, le débat est vite clos ! Si la société reconnait la liberté de l'orientation sexuelle, au nom de quoi interdire l'accès, le droit au mariage à une minorité sexuelle ?

Sous un masque  à peine plus tolérant qu'à l'époque de la mobilisation anti-Pacs, la mobilisation des "antis" reste, au fond, un refus de la liberté et du droit à la tolérance sexuelle. Le combat pour la liberté est aujourd'hui celui du droit à la différence d'une minorité homosexuelle. Le refus du mariage pour tous est un refus de l'égalité des droits.

Mais non, mais non ! disent les "antis"

Le fameux « baiser de Marseille » symbolise le défi citoyen à l'homophobie militante
« Mais non !  » prétendent - un peu jésuistes sur les bords - ceux qui, naguère braillaient contre le PACS avec les mêmes arguments qui les font manifester contre l'égalité du droit au mariage. « Nous ne sommes pas homophobes ! Le Pacs, que nous vomissions hier, est la solution d'avenir !  »

La contradiction est flagrante et ne peut s'expliquer que par la confusion entretenue entre mariage civil le mariage-sacrement. Les anti-mariage pour tous veulent que le mariage civil, comme le mariage religieux, consacre, au sens fort du terme, sacralise devant la société une seule forme d'union, une seule forme de famille, dont la conception serait unique et éternelle.

Bien entendu, il n'est en rien. Inutile de se plonger dans l'anthropologie pour savoir l'extrême diversité, tant géographique qu'historique des modèles familiaux. Le modèle que l'on nous présente comme intangible : un papa, une maman, des enfants n'a rien d'universel, il existe de par le monde et dans l'histoire de l'humanité une multitude de modèles familiaux fort différents.

Ainsi, à l'époque où le mariage religieux exprimait le modèle dominant, l'amour n'y avait guère de place : un couple se formait pour se reproduire, peu importait que le mariage soit arrangé par les familles et ne soit pas librement consenti. Le mariage était essentiellement une affaire financière, une façon d'assurer et de règler les successions. Quand à l'enfant, dans les familles riches, il était arraché à papa-maman pour être élevé, loin des yeux, loin du coeur, par une nourrice et des précepteurs, avec la bénédiction de l'Eglise catholique.


La famille homosexuelle et le désir d'enfant

Les couples homosexuels doivent inventer leur façon de vivre au grand jour
En confondant mariage civil et mariage religieux, on tente d'imposer comme éternel et universel un modèle familial historiquement daté et spécifique à la société française. Et l'on veut fait croire que ce modèle est le socle de notre société et qu'il n'y a pas d'autre famille possible...

Bien entendu, ce modèle est culturellement dominant et fait rêver la majorité des jeunes, selon les sondages.

Très bien ! Qu'il reste un modèle pour la majorité des Français me convient parfaitement. Personne de sensé ne propose de faire du couple homosexuel le principal modèle à offrir aux jeunes ! La société de demain sera diverse et la prétention d'y imposer un modèle unique de relation amoureuse est parfaitement ringard. La liberté du choix est ma seule exigence, mon seul guide.

Que chacun se marie selon sa conscience, donne au mariage le sens - et la durée - qu'il veut lui donner, sacralise - s'il en éprouve le besoin - son union devant le prêtre, l'imam, le rabbin. Et laissons aussi aux athées le droit de célébrer des baptêmes républicains, qui n'ouvrent aucun droit civil !

Parce que la famille formée par des couples homosexuels et des enfants adoptés est un mode de relation moderne, nouvelle, ces nouveaux couples doivent inventer leur façon de vivre au grand jour. Mais la difficulté - évidente - liée à cette nécessité d'invention me donne une certitude : la place de l'enfant y sera désirée et mûrement réfléchi. La difficulté d'assumer un désir d'enfant dans un couple homosexuel garantit que cette adoption sera un geste d'amour. Ce qui n'est pas toujours le cas dans le modèle hétérosexuel dominant !

Ne confondons pas le mariage civil et le sacrement du mariage ! Laissons chacun libre de consacrer son union devant tel ou tel autel, donnons le droit au mariage civil à tous, sans en exclure la minorité sexuelle, sans imposer un modèle unique de famille.

Vive la liberté !


http://radical27.blogspot.fr/

Le "Café-Radical" de Louviers organise un débat qui sera animé par Eddie Aït, maire de Carrières sous Poissy, membre du bureau national du parti radical de gauche sur le thème :
mercredi 16 janvier 2013
à 18h30
au Jardin de Bigards
39, rue du Quai à Louviers


Franck Martin