Je suis Charlie, nous sommes la France !


Franck Martin

Le choc, la sidération, l'émotion partagée par tous les Français, l'indignation universelle un flot de paroles, de messages...
Un pays qui s'arrête, des gens qui se parlent et découvrent en se parlant, en affichant un slogan, en manifestant, qu'il sont citoyens, d'une même République, construite autour de valeurs trop souvent enfouies dans l'indifférence.

Le 7 janvier n'est pas le 11 septembre, mais il y aura, un «avant» et un «après» 7 janvier dans la mémoire collective. Cet attentat marque un tournant, voire une rupture dans l'histoire de notre pays, clairement attaqué dans son identité culturelle. Et je crois que leréveil sera salutaire. Qui peut dire aujourd'hui que tout se vaut, que la politique n'a aucun sens, que la conquête des libertés est une vieille histoire et que les Français sont incapables de s'unir ?

L'immense majorité de ceux qui disent « Je suis Charlie » ne le lisait pas. Qu'importe ? Avec le Canard Enchaîné, ce journal fait partie de l'ADN culturel de la France. En clamant « Je suis Charlie », nous voulons dire « Nous sommes la France ! », dans une impressionnante unanimité, une authentique union autour des valeurs républicaines et disons le mot, d'une identité laïque que l'immense majorité des musulmans de France s'engagent à défendre, comme citoyens français.

Dans la mémoire collective, après le mercredi noir, viendra le beau dimanche, le début du réarmement laïc de la nation, du peuple français. Martyrs de la liberté d'expression, hérauts de la laïcité combattante, fleurons de l'esprit français, nos amis de Charlie ne sont pas morts pour rien.


Un 11 septembre en France ? Oui...

Le 6 janvier n'est pas le 11 septembre. Les tueurs ont visé l'identité culturelle de la France
Après le 11 septembre, je me souviens... Drapeaux en berne, rassemblements citoyens, minute de silence... J'ai fait mettre les drapeaux en berne, appelé au silence et au recueillement dans un instant de communion citoyenne, annoncé par la sirène d'alarme sur le toit du musée. La ville immobile, dans le silence et le recueillement. "Aujourd'hui, nous sommes tous des Américains" avais-je dit et écrit...

Le 11 septembre, c'est un pays démocratique qui était visé, le pays qui a libéré la France au nom de la solidarité des démocraties. En écho, j'entends les média, le gouvernement et d'innombrables citoyens américains nous dire aujourd'hui :
"Je suis Charlie".

Au nom de l'indissoluble solidarité des démocraties, bâties autour de la Déclaration des droits de l'homme et d'institutions démocratiques qui garantissent la liberté d'expression, sans laquelle la démocratie est tout simplement impossible. L'histoire se répèterait-elle ?

 

... et non ! Le 6 janvier, c'est l'identité laïque de la France qui est visée

Le 7 janvier n'est pas le 11 septembre. Le terrorisme est tout sauf aveugle. Il choisit ses cibles. Il ne vise pas une impossible victoire militaire, mais l'affaiblissement de ses ennemis, la division du peuple, le chaos interne aux nations visées. Il utilise la violence armée pour frapper l'imagination et atteindre des objectifs politiques : déséquilibre de la terreur, inversion du le rapport de force entre le faible (militairement) / et le fort (politiquement).
Que nous disent les symboles visés par les terroristes ? Les Twin Towers étaient le symbole de la suprématie économique d'un pays démocratique, construit autour de la liberté d'expression et de la liberté de religion, mais où la religion joue un rôle dans la vie politique, comme dans beaucoup de démocraties européennes qui sont ( ne l'oublions pas ! ) encore des royaumes. 
Viser Charlie Hebdo, c'est viser le symbole d'une république laïque, construite autour de valeurs démocratiques mais aussi autour de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Or, le mot laïcité est intraduisible dans la plupart des langues...
La laïcité, qui permet la cohabitation pacifique des religions, est l'acquis de durs combats politiques, depuis l'ère des Lumières. La loi de 1905 ne s'est pas installée sans violence. Nous avons eu notre part de guerres de religions et il n'y a pas si longtemps que le blasphème n'est plus un crime.
La laïcité fait partie de notre ADN, elle est inscrite dans notre histoire, tant politique que culturelle. On ne s'explique pas autrement comment l'esprit français, l'humour français, se moque aussi souvent du curé et du militaire, du sabre et du goupillon !  Le terrorisme islamique, qui vise à imposer une dictature religieuse, n'a aucune chance de s'imposer en France : la laÏcité fait partie du patrimoine génétique de la République, depuis 1905.
Au delà de l'horreur ressentie, assassiner l'humour anti-clérical n'aura d'autre résultat que l'étonnement de ceux qui redécouvrent combien nous partageons un héritage trop longtemps oublié. Nous sommes en République, nom de Dieu ! C'est ce que disent - peut-être sans le savoir - ceux qui disent et affichent " Je suis Charlie"
. Ils le manifesteront demain.
 



Franck Martin