Gérard Depardieu : l'homme et l'oeuvre, la statue et le statut


Franck Martin

Enorme, le Gégé !
Depardieu a toujours été énorme : par son talent d'acteur devant la caméra, par sa verve à la ville, par ses frasques planétaires, par son statut de « french star » mondialement connue... il est unique. Et c'est parce qu'il est unique que ses énormes bêtises font autant de bruit.
Artiste, Gérard Depardieu a donné à la France infiniment plus que ce que dernier couac lui retire. De plus, il se glisse dans la peau de l'égoïste fiscal, ce qui est utile à la gauche. Car lorsque les très riches couinent si fort, ils démontrent au pays que l'effort de solidarité fiscal que demande le gouvernement est bien réel.
Ce que dit Gérard Depardieu est répugant, moralement condamnable. Mais nul ne demande aux les génies de l'art d'être, en plus, des modèles de civisme ! Beaucoup plus grave m'apparait la résistance fiscale, terne, sans talent, mais collectivement organisée de tous les corporatismes. N'avons nous pas vu les mandarins de la santé publique faire grève pour s'opposer à ce même effort de solidarité que le gouvernement nous demande, avec mesure et pour de bonnes raisons.


Contre Sainte Beuve !

J'ai appris, avec Proust et contre Sainte Beuve, à distinguer l'oeuvre de la vie de l'artiste. Que le docteur Ferdinand Destouches ait été pro-nazi n'empêche que les imbéciles d'admirer le génie littéraire de Céline. Jugée à cette aune, la parole depardivine me fait sourire, pardi ! Et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on se marre, avec le Gégé !

Derrière l'intarissable jeu verbal, entre Devos et Lucchini, il dessine une silhouette originale, un personnage finalement très français, aussi cultivé que loubard, improbable fusion d'un Janus moderne : Bérurier et San Antonio sous la même coiffe, dans la même peau. Comme Alain Delon, comme tant d'autres, il ne déteste pas lustrer la statue qu'il dresse à son image. Mais tout lui sera pardonné, tant son amour de la langue en a fait un acteur parfait, un monstre sacré qui mérite notre révérence, quoiqu'il profère, quoiqu'il éructe.

Quand cet immense talent dit des bêtises, elles sont comme lui : énormes. Devenir belge pour payer moins d'impôt ? C'est ignoble, c'est répugnant, c'est grotesque. Mais qui peut le prendre au sérieux, le prendre comme modèle ?
Il veut devenir bouffon du tsar Poutine ? Peu m'importe, tant qu'il joue Cyrano chez Rappeneau.

Vive la solidarité fiscale !

En revanche, tout le bruit fait autour de cette parole depardivine commence à m'agacer. Tous les perroquets de la récupération politique s'en mêlent, feignant d'oublier ce qu'est une vedette de cinéma. Des ânes, dépourvus de tout talent, commencent à grasseyer des banalités pontifiantes, aussi chiantes que Depardieu est drôle.

Critiquer l'attitude de l'évadé fiscal ? Bien sûr. L'impôt, pour autant qu'il demande à tous à proportion des moyens de chacun est la base de la justice sociale, l'impôt c'est de la solidarité en acte et le consentement à l'impôt le fondement de la démocratie. Tout le monde devrait le savoir et il faut le répéter, afin que nul n'en ignore. Depardieu doit payer l'impôt à proportion de ce qu'il gagne, il n'y a rien d'autre à dire. A moins de citer Daniel Cohn-Bendit : « Depardieu, Bardot, sont des idiots finis." Et des stars étincelantes, à jamais.

Mais, attention, la glissade sordide, le dérapage dans l'odieux décor du prêt-à-penser pour nains n'est pas loin : glissant bien au delà du cas Gégé, on commence à s'en prendre à tous ceux à qui le talent ou le mérite permet d'être arrosés par une pluie d'or : acteurs, footballeurs, écrivains, peintres. On parle de limiter les gains des vedettes ? Au nom de quoi ?

A travail égal, salaire égal !

Je suis un républicain intraitable et je chéris notre devise : liberté, égalité, fraternité. Mais l'histoire nous a appris qu'il faut tirer la sonnette d'alarme lorsque que réapparait la haine de la différence,  déguisée sous le costume de l'égalitarisme, travestie en fausse égalité. L'égalité républicaine, c'est l'égalité des droits, ce n'est pas le nivellement des différences sous une toise brutale. Il faut prendre au sérieux l'idée que la richesse d'une société, c'est sa diversité.

Les primes de match d'un Zidane, un cachet "depardivin", les droits d'auteur d'un prix Nobel, voire le prix d'un tableau de Picasso récompensent un talent dont la société reconnait la valeur unique, non remplaçable. Economiquement,  socialement, cela n'a strictement rien à voir avec un salaire dont les républicains exigent qu'il soit le même pour un homme ou une femme. C'est justice : à travail égal, salaire égal.

Mais qui peut dire combien "vaut" dans une société donnée, dans une période historique donnée, l'instant de grâce éphémère créé par un artiste de génie ?




Et qui paiera les salaires de LVMH ?

Qu'un artiste, un sportif gagne des fortunes me gêne beaucoup moins que la misère où végète l'immense majorité des créateurs. C'est faire contresens absolu sur l'égalité que de croire que l'éradication de la pauvreté, que nous voulons tous, passe par la suppression des riches !

Une société fondée sur l'égalitarisme serait basée sur les pires sentiments humains : l'envie, la jalousie, la haine de la différence, d'autant plus dangereux qu'ils se cachent sous le masque de la vertu puritaine.

Que serait une société sans faste, sans luxe ? Ce serait une société sans rêves, sans création, triste à mourir. Et puis, s'il n'y a plus de riches, qui paiera les salaires de LVMH ou d'Hermès ? L'industrie du luxe est une force de la France... ne scions pas la branche sur laquelle tant de fortunés sont assis !



Franck Martin