Faut-il supprimer les indemnités d'élus et...


Franck Martin

... remplacer les élus par des militaires ?

Question posée sur l'excellent blog de José Alcala, Caméra Diagonale, où Paule Gervois m'interpelle en ces termes : « La dernière phrase de F.Martin maintient le "suspens " Mais puisque vous évoquez, José, les indemnités des élus, il serait peut être temps en cette période électorale de lever le voile et de révéler aux citoyens ce que leur coûte la "CASE " et la "CREA " . »

Voici ma réponse : "@Paule. Désolé d'être brutal, mais VOTRE QUESTION PUE. Elle est contaminée par la peste démagogique. Les indemnités des élus sont transparentes, publiques, définies par une loi et encadrées par une grille. Prenez le temps de vous informer, même si le temps, c'est de l'argent.

Oui, le métier de maire, dans une ville moyenne, impose plus de 35 heures de travail par semaine. Et les citoyens exigent toujours plus de présence, de contact avec leurs élus Un salarié est contraint abandonner son gagne-pain pour être maire, de prendre le risque d'un CDD de six ans, sans ASSEDIC au bout...

Alors, qui fera le boulot ? Si vous supprimez les indemnités, plutôt modestes, vous interdisez l'élection à ceux qui sont dans la vie active et vous confisquez la vie démocratique aux profits des riches, des rentiers, des fonctionnaires, catégories déjà sur-représentées chez les élus. Et pour cause.

Si on pousse votre insinuation jusqu' au bout de sa logique, il faut se débarrasser des élus. Trop coûteux. Administrer la France, ses régions, ses communes par des fonctionnaires, des fonctionnaires d'autorité.

Les militaires sont souvent tentés par cette musique... Les régimes de colonels, en Grèce, Libye, Egypte on connait. C'est ce que vous voulez ? Car il faut choisir ce que l'on veut : les colonels ou les élus.


La démocratie a un coût

Oui, la démocratie a un coût. Modeste. Mais indispensable.

Car si les indemnités ont été mises en place, c'est pour que tout le monde puisse être élu, y compris les pauvres et ceux qui d ont besoin d'un revenu tiré de leur travail pour vivre. Sans indemnités, la démocratie sera confisquée par une oligarchie de riches rentiers...

C'est le sens que donnait Victor Hugo à l'épisode du député Baudin, interpellé sur son indemnité de 25 francs de l'époque, au moment où il se battait sur une barricade à Paris : " Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs". Il est mort sur la barricade.

Dans ma jeunesse, servir la cause du peuple, faire de la politique était un idéal. La démagogie actuelle veut en faire une honte. Une société qui jalouse ceux qu'elle a élus et déteste ses élites est bien malade.


Le temps et la vie

Nos sociétés sont complexes, leurs lois multiples. Une mairie comme Louviers c'est une PME de 340 salariés à piloter. Impossible si vous n'y travaillez pas à temps complet. De plus, les citoyens se plaignent toujours de ne pas assez voir leurs élus ! Aux élus de se débrouiller,  c'est leur devoir de trouver le temps de rencontrer les citoyens.

Alors, après une journée de travail aux horaires de bureau, le maire commence sa seconde journée de travail, la journée politique, de 18 heures à... pas d'heure : réunions de quartier, assemblées d'associations, évènements culturels,inaugurations occupent ses soirées... et tout le week-end. Sans parler des permanences pour recevoir les administrés. Soyons sérieux : un maire doit être maire à temps plus que complet, 2 fois 35 heures minimum !

Si vous supprimez les indemnités, vous confisquez la démocratie au profit des riches. Vous écartez l'accès à l'élection de tous ceux qui doivent vivre et faire vivre leur famille par leur travail. Qui peut se permettre, sans revenu, de bosser pendant les 70 heures hebdomadaires qu'exige la gestion de la mairie d'une ville moyenne ? Un retraité ou un rentier. Point final.

Maire, c'est un métier. Et bien plus...

Le métier de maire, outre une solide culture juridique, administrative, financière exige d'être un bon manager et un bon communicant : écrire bien et beaucoup, faire des discours, savoir négocier avec un préfet, un industriel, des avocats...
Autant d'exigences professionnelles qui, valorisées en entreprise, vaudraient au maire d'une ville moyenne un salaire de cadre moyen dans le privé.
J'en suis loin !  Et j'ai tenu à étaler dans la presse, non seulement mon patrimoine ( il n'existe pas ) ou mes revenus. Si vous voulez, je vous communique le montant de mon impôt sur le revenu, et des impôts locaux que je paie comme tout le monde.

N'en déplaise aux sots, la politique ne paie pas !

Non, la politique ne paie pas  ! Les 500 000 élus locaux ne sont pas en politique pour faire de l'argent, mais pour servir leur ville ou leur village. Si la fonction publique territoriale était un métier de nabab, cela se saurait : les salaires des fonctionnaires municipaux n'ont rien de mirobolant.

Or, savez vous que
le maire de Louviers gagne moins que certains cadres de sa propre administration ?

Et certainement moins que le colonel d'active qui serait amené à  s'asseoir dans le fauteuil de maire de Louviers… si on suivait votre raisonnement, Paule, et que l'on remplace les élus par des fonctionnaires, au prétexte que les élus ça coûte cher. Et si vous ne voulez ni des élus, ni des colonels, qui fera le boulot ?

Etre maire, cela n'a pas de prix

Personnellement, j'ai gagné et je gagnerais bien mieux ma vie dans le privé : je le sais, j'étais cadre sup' avant d'être maire. Mais non, je ne me plains pas : être maire est le plus beau métier que j'imagine et il m'apporte les plus grandes satisfactions : me sentir utile et surtout passer l'essentiel de ma  vie à bâtir des dossiers enthousiasmants, réaliser des projets concrets, embellir ma ville et construire son avenir. Cela n'a pas de prix.


Franck Martin