Dieudonné : l'indignation change de camp...


Franck Martin


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J'ai ardemment souhaité que l'on fasse taire Dieudonné. Le moyen choisi pour le faire m'indigne et me fait peur. La jurisprudence d'exception instaurée par le Conseil d'Etat, manifestement sur ordre du gouvernement, rend légal le procès d'intention. Elle est potentiellement liberticide, sans l'ombre d'un doute.

Je veux que l'on fasse taire Dieudonné. Je suis et je serai le premier à dire que nul ne peut s'abriter derrière la liberté d'expression pour tenir des propos racistes.Toute atteinte à la dignité humaine doit être sanctionnée, lourdement. Oui, l'expression du racisme, de l'anti-sémitisme est un délit que la justice peut et doit sanctionner.

Militant anti-raciste de toujours, ami de Christiane Taubira, je sais que le racisme n'est pas une opinion, mais un délit. Un propos raciste ou antisémite n'est pas une idée dont on débat, mais un acte délictueux que l'on doit condamner.

Mais pour qu'un délit existe, encore faut-il qu'il soit commis.

Jusqu'à hier, tous les juristes s'accordaient donc sur l'impossibilité d'interdire le spectacle de Nantes avant que Dieudonné y ouvre la bouche et y tienne des propos... condamnables. Fort logiquement, le tribunal administratif de Nantes a donc constaté l'impossibilité d'interdire le spectacle a priori, sans porter atteinte à la liberté d'expression. Avant que le Conseil d'Etat, avec une rapidité qui surprend ceux qui croyaient encore en son indépendance, ne censure cette décision.

Depuis hier soir, l'Etat peut censurer l'expression de chaque citoyen sur la base de l'intention qu'il lui prête de commettre un délit. A priori, sans que le délit ait été commis...

C'est la légalisation du procès d'intention, c'est le monde de Minority Report et de Big Brother. Le procès d'intention est la marque de toutes les dictatures, le droit s'est construit contre cette abomination.

L'exceptionnelle rapidité du Conseil d'Etat montre bien que le procès était fait d'avance, selon les instructions du ministre. Le revirement à 180 degrés de la jurisprudence du Conseil d'Etat atteste, hélas, qu'il s'agit d'une jurisprudence d'exception, visant les intentions d'un seul homme.

Mais, dira-t-on, Dieudonné est un récidiviste, il a déjà été condamné pour des propos avérés... Et alors ? Rien n'empêche le législateur de durcir les peines encourues pour propos racistes.

 Va t on condamner des gens sur l'intention que leur prête la police de commettre un délit ?  Interdira t on la publication d'un livre parce que l'auteur a été précédemment condamné et que l'Etat lui prête l'intention de récidiver, avant que le livre ne soit publié ? Interdira-t-on la réalisation d'un film parce que le réalisateur a été condamné pour atteinte aux bonnes moeurs, à l'image de Roman Polanski ? Va-t-on fermer des sites Internet en fonction de la personnalité de celui qui s'y exprime et sans qu'on y relève des propos condamnables ? Interdire des pratiques artistiques sur des soupçons politiques ? La jurisprudence Valls-Dieudonné ouvre une porte permettant à l'Etat policier de se substituer à l'Etat de droit, protecteur des libertés. Cela donne froid dans le dos.

Hostile à tout procès d'intention, je ne prête aucune intention liberticide à Manuel Valls, républicain irréprochable. Mais la fin ne justifie pas le moyen choisi par le gouvernement. Comme la Ligue des Droits de l'Homme, comme Jack Lang, comme le Syndicat de la magistrature, je pense qu'il fallait s'en tenir au droit existant et ne pas créer une jurisprudence d'exception. Plus qu'un crime, c'est une faute.

Je souhaitais ardemment que l'on fasse taire Dieudonné. Le moyen choisi pour le faire taire lui offre le plus puissant haut-parleur dont puisse rêver un anti-sémite. En attendant le retentissement international qu'aura l'inéluctable condamnation de la France par la Cour européenne pour atteinte à la liberté d'expression. Quel cadeau pour Dieudonné !

 





Franck Martin