Un assassinat qui accrédite la collusion entre politique et criminalité corses

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Màrcuri u 25 di Marzu 2015

Un assassinat qui accrédite la collusion entre politique et criminalité corses

LE MONDE | 18.03.2015 à 11h16 • Mis à jour le 19.03.2015 à 16h35 | Par Jacques Follorou (/journaliste/jacques­follorou/)

A défaut d’avoir encore identifié les responsables de la mort de Jean Leccia, directeur général des services du conseil général de Haute­Corse, tué, le 23 mars 2014, au sortir d’une soirée électorale, la justice a ouvert, fin 2014, « une piste non encore explorée ». « Il nous paraît utile, disent les enquêteurs dans une note de travail transmise au juge chargé de l’affaire à Marseille, de développer l’hypothèse d’un mobile lié aux marchés de travaux publics en Corse et (…) au conflit entre la société Betag, la Société routière de Haute­Corse (SRHC) et la SAS Corse Travaux ». Plusieurs dizaines de personnes, dont les plus hautes autorités politiques de Corse, ont été entendues dans ce dossier criminel qui lève le voile sur l’aveuglement des services de l’Etat, le rôle trouble des collectivités territoriales et une guerre sans merci entre les entreprises insulaires de BTP.

Abattu dans sa voiture, vers 23 h 15, alors qu’il revenait du dépouillement des élections municipales à San ­Gavino ­di ­Fiumorbo, sa commune natale, où régnaient de vives tensions, les enquêteurs ont d’abord exploré la piste locale. La victime soutenait, en effet, la liste menée par sa fille contre le maire sortant, accusé de malversations par ses opposants.

Les investigations attesteront l’existence d’affrontements physiques et la collusion entre le maire et une petite entreprise travaillant exclusivement pour la commune. Entre 2005 et 2013, 365 743 euros sont encaissés par la société BTP La plaine. Plus de la moitié des fonds sont retirés en espèces peu avant les virements. Une manne qui cesse brutalement après l’arrêt des subventions du conseil général de Haute ­Corse.

Liens avec des voyous

Ce mobile, enrichi de liens avérés avec des voyous et d’une lutte locale pour le contrôle de la communauté de communes, acteur ­clé pour les marchés de déchets, a été abandonné fin 2014. Les enquêteurs s’orientent alors sur « l’opposition de plus en plus forte entre le défunt, présenté comme le M. Propre de la collectivité territoriale », et un membre du conseil général de Haute ­Corse, « aux responsabilités aussi floues que présumées déterminantes ».

L’enquête se focalise, aujourd’hui, sur le rôle joué par Jean Leccia dans les marchés d’entretien du réseau routier et l’irruption de la société Betag. Jusque ­là, la SRHC et Corse travaux se partageaient ce marché. Les deux entreprises disposent de leurs propres centrales à bitume installées sur l’île, un atout indispensable pour prétendre à l’obtention de ces contrats, parmi les plus lucratifs de l’île.

« Fin 2013, rapporte une note des enquêteurs, il apparaît, à la surprise générale, qu’un troisième opérateur manifeste son intention de s’implanter sur le marché du bitume, le groupe Brandizi, via la société Betag. » Alors qu’il semble ne pas avoir les moyens techniques et les autorisations nécessaires pour répondre à ces marchés, ce nouvel acteur voit, début 2014, tous les obstacles se lever un à un.

En janvier 2014, la Collectivité territoriale de Corse, dirigée par Paul Giacobbi, modifie les règles d’attributions du marché de l’entretien du réseau routier territorial. « Contrairement aux formulations habituelles, disent les policiers, les sociétés ayant une demande d’autorisation d’exploitation d’une centrale de bitume accordée ou en cours d’instruction » sont autorisées à concourir, ce qui permet à Betag de postuler.

«Procédure totalement inédite»

Le 14 mars 2014, les services de l’Etat accordent finalement à Betag l’agrément « pour une centrale temporaire d’enrobage à chaud ». Pourtant, l’obtention d’une telle autorisation n’est permise que pour des marchés de travaux d’une durée maximale d’un an, condition non remplie en l’espèce, d’après les policiers.

Enfin, le 17 mars, le président du conseil général de Haute ­Corse, Joseph Castelli, fait signer à Jean Leccia, en sa qualité de directeur général de services, un courrier indiquant aux sociétés SRHC et Corse Travaux « la non ­reconduction annuelle du marché alloué pour quatre ans ». Les enquêteurs affirment que la « procédure est conforme à la réglementation mais totalement inédite ». Jean Leccia a-t-­il payé de sa vie la volonté de bloquer cette procédure dérogatoire ou au contraire, celle de la favoriser ?

Le 23 mars, il tombe sous les balles de tueurs.

Interrogés en qualité de témoins, MM. Giacobbi et Castelli se sont abrités derrière le contrôle de l’Etat sur les marchés publics et ont défendu le changement de règles au nom de « la concurrence et du meilleur prix » en démentant toute concertation. Patrick Brandizi, président du groupe contrôlant Betag, a renchéri, assurant qu’il s’agissait, avant tout, de mettre fin « à un monopole de trente ans sur ces marchés ».

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