auchan assassinu
Venari u 24 di Nuvembre 2017

La France reine de la laideur et de l’aberration économique

Qui n’a jamais été effaré, à l’abord d’une ville, de cette succession de blockhaus aux couleurs criardes, de ces panneaux à perte de vue, de ces parkings aux dimensions soviétiques ? Qui ne s’est jamais senti agressé par ces publicités hurlant leurs slogans en lettres disproportionnées ? Qui, alors, n’a jamais songé que l’Occident, en ce XXIe siècle, avait inventé un nouveau genre d’univers concentrationnaire, d’autant plus dangereux que l’enfermement y est volontaire ?

Les privilégiés qui peuvent s’échapper de leur pays défiguré auront sans doute remarqué que ni l’Italie ni l’Espagne ne subissent cette agression dont le « plus beau pays du monde », le pays aux 80 millions de touristes, s’accommode sans plus de protestations. Ah si, à chaque nouvelle implantation, une association de riverains tente un baroud d’honneur, fait valoir la survie des commerces locaux, la qualité de vie, l’esthétique… Peine perdue. Dans le sud de la France, dans ce pays de Giono, de Pagnol, de Mistral, l’horreur est un mode de vie. Manosque, ville martyre. Mais le constat vaut partout ailleurs. Quel lecteur de ces lignes, s’il vit dans une commune de moins de 30 000 habitants, n’a eu vent du projet de construction d’une nouvelle grande surface dans son secteur ?


Le bassin d’Avignon compte 250 000 habitants. Son offre de grandes surfaces équivaut à celle d’une ville de 600 000 habitants. Et les achats de foncier se poursuivent. Autour de Carpentras, ville de 30 000 habitants qui compte déjà tout ce qu’il faut d’enseignes diverses et de laideur urbaine, on vit avec le projet d’un nouvel hypermarché et d’une galerie marchande. Pendant ce temps, le centre-ville se désertifie, les commerces ferment, et l’ambiance s’assombrit. Dans toute la France, plus de 50 grandes surfaces sont actuellement en construction, au point que la surface commerciale augmente tous les ans de plus de 3 %, alors que la consommation évolue à moins de 1 %. Et l’équivalent d’un département entier recouvert de goudron en l’espace de dix ans, pour les routes et les parkings. Dans la colère que les Français ont exprimée aux élections municipales, sans doute y avait-il un peu de cette impuissance face à la dégradation inexorable de leur cadre de vie.

Mais ce sont des emplois, rétorquera-t-on, de l’activité, de la croissance ! C’est en général l’argument des maires qui se laissent convaincre de s’ouvrir à cette merveilleuse modernité. Passons sur les éléments qui peuvent faire basculer leur décision, financement d’une route d’accès ou d’un rond-point, quand on ne soupçonne pas quelque proposition moins avouable. Au nom de l’emploi, donc. Mais à ce compte-là, la France devrait manquer de main-d’œuvre !

Précisons donc qu’au titre du crédit impôt compétitivité emploi, Auchan aurait touché quelque 25 millions d’euros. Carrefour, lui, s’est fait rembourser 125 millions. Pour la création d’emplois non délocalisables, non soumis à la concurrence internationale, et dont 40 % sont des emplois précaires. Pour le dire autrement, le choix de la France est de favoriser un système qui détruit son urbanisme, sa qualité de vie, son agriculture, ses emplois de proximité (trois emplois détruits pour un emploi créé dans la grande distribution), au profit d’emplois non qualifiés, précaires et générateurs d’une frustration immense.

Le choix de la France, mais pas le choix de ses citoyens. Car tel est le paradoxe : ce phénomène d’enlaidissement généralisé et de désertification des centres-villes est partout dénoncé. 8 % de vacance de commerces dans les villes françaises, plus de 10 % dans certaines villes comme Béziers ou Perpignan. Quiconque y verrait un lien avec le vote de ces villes aux élections municipales n’aurait sans doute pas complètement tort.

Dans le sentiment de désespérance qui frappe de nombreux Français, dans la crise identitaire qui les mine, il entre pour une part l’impression que ce qui faisait la beauté de leur cadre de vie, le cœur de leur sociabilité, est en train de disparaître. S’en inquiéter ne relève plus d’une coupable nostalgie pour un monde révolu, d’un manque de sensibilité aux merveilles de la modernité et d’un refus obtus de considérer les nécessités économiques, mais du minimum de responsabilité politique pour qui veut éviter le chaos idéologique.


Natacha Polony
Le Figaro du 19 avril 2014

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